La Route du Rock pour son édition 2023, se tenait du 17 au 19 août au Fort Saint-Pierre. L’évènement à l’affiche rock et pointue a su, comme chaque année, fédérer un public averti, désireux de vivre en trois jours tous les concerts qu’ils attendent à l’année. Édition plurielle, elle vivait son apogée en terme de fréquentation lors de sa première journée notamment grâce à la présence des très attendus King Gizzard & The Lizard Wizard, qui avaient annulé leur venue l’année précédente. Pour autant, les belles surprises ont peuplé les festivités de Sorry à Squid en passant par The Black Angels mais aussi une véritable proposition urbaine qui s’est habillement glissée dans une programmation très rock. On vous raconte les concerts qui nous ont marqué.
Dry Cleaning
Premier jour du festival, premiers émois. Dry Cleaning pose ses valises sur la scène de la Route du Rock pour son ouverture. Le groupe y est venu défendre sa seconde sortie Stumpwork publiée une année plus tôt. De quoi faire oublier son premier excellent album Long Legs ? En partie quand on s’intéresse de prêt à une set list qui lui fait la part belle au détriment d’un premier essai qui, à n’en pas mentir manquera aux puristes de la formation. Côté scène, le groupe que l’on compare aisément à Joy Division distille son essence à la Sonic Youth. En pratique, sa chanteuse, Florence Shaw vêtue d’une longue robe dorée ne semble pas à l’aise dans ses premières minutes scéniques. C’est ce que laisse transparaitre un jeu de scène timide, sur la pointe des pieds. Voilà qui n’impacte en rien les qualités musicales qu’on leur prête sans tergiverser. Doit-on pour autant les qualifier de formation de studio ? Oui et non. Le rendu musical est aussi qualitatif que celui de l’album, le son incroyable, le spoken word parfaitement posé, les instruments sonnent magistralement. L’instant est hypnotisant. Normal quand on voit le matériel de base et les qualités de composition démentes dont font preuve les britanniques qui ont depuis su se faire un vrai nom dans le milieu du post punk. Dry Cleaning a en lui ce qui rend la scène indé si grande. Pointu mais accessible, poignant et très écrit. La musicienne gagne en aisance à mesure que le set avance, sort de sa carapace de tortue (mais après tout le titre « Gary Ashby » parle bien d’une tortue) pour mieux se grandir et s’ouvrir à son audience. Le résultat se déguste comme un bon vin, l’ivresse apparaissant au bout de quelques titres pour rester dans les esprits longtemps après la fin du set.
SQUID
Étiqueté comme l’un des groupes les plus excitants du rock indé en ce moment, SQUID remplaçait ce jeudi 17 août sur la scène du Fort le rock stock et houblonné de Viagra Boys. Pari risqué mais qui, étonnamment, n’a pas semblé déplaire à la plupart, au vu de la vigueur des cris et des applaudissements à leur montée sur scène. Comme quoi, SQUID s’est déjà fait un nom. En même temps il faut le dire, leur dernier opus sorti plus tôt dans l’année, O Monolith, est une pépite comme rare il en est, tout comme leur précédent, Bright Green Field, qui s’était miraculeusement hissé en haut des tops albums 2021. Sur scène, comme en studio, leur musique est un vrai labyrinthe de composition. A tel point que nous avons entendu une dame à côté dire à son amie « je n’achèterai pas l’album, ça va n’importe où, ça ne va pas à l’essentiel ». Et nous la comprenons : SQUID manque un peu de concision. Mais les morceaux du dernier album, majoritairement joués, sont si charmants lorsqu’on les connait par cœur qu’ils sont en live d’autant plus jouissifs. Mention spéciale au groupe qui, dans un coup de génie, a repris la chanson Sports des Viagra. Un geste d’une grande classe et humilité, et en même temps un bol d’air frais au cœur de leur set labyrinthique. Merci.
GILLA BAND
Changement de nom : Girl Band, groupe composé de mecs irlandais uniquement, est récemment devenu Gilla Band.
Leur musique pour autant, n’a pas bougé d’un iota. La preuve en est : leur dernier album, Most Normal, sorti en 2022, est un concentré de rock abrasif, dur, sombre. Il en est même difficile d’en venir à bout, dû en partie à cette manière torturée qu’a le leader de chanter. Bon, le fait est que Gilla Band reste un groupe à suivre depuis leurs débuts en 2015, original, extrême. En live, leur musique prend de l’ampleur, et du relief. La scène des remparts a rarement si bien sonné qu’au travers de ces sonorités hurlantes et déchiquetées. Les plus courageux resteront jusqu’au bout de leur set. Pour notre cas, Shoulderblades nous suffira, leur plus grande chanson. Le palier de 30 minutes a quand même été atteint, nous sommes un peu fiers de notre prestation, après d’innombrables dos d’âne pris à 130.
KING GIZZARD & the lizard wizard
Attendus comme les messis depuis leur annulation de l’année dernière, les lézards qu’on ne présente plus clôturaient la soirée du jeudi sur la scène de Fort. Avec trois albums l’année dernière, plutôt impro soul funk vibes, et un complètement métal cette année, les australiens les plus connus du rock de cette génération sont toujours aussi actifs et délirants. Leurs lives sont connus pour être des shots incroyables d’énergie et d’éclate. On y passe un peu partout, naviguant entre leurs multiples albums, sans jamais qu’un set ne soit similaire au précédent. Ce soir-là, nous avons été très chanceux, puisque le groupe n’a pas perdu une seule seconde pour nous en mettre plein la gueule. Comme ouverture : l’ouragan « the Dripping tap », folle chanson de 18 minutes sortie il y a deux ans, où les guitares n’en finissent plus de suer. C’est impressionnant. A quoi bon poursuivre après ? Ça serait mal connaitre le groupe que de penser ça, puisque qu’ils ont toujours plus d’un tour dans leur sac.
La suite du set, qui durera 1h30 en tout, reprendra pour notre plus grand plaisir plusieurs morceaux de leur album Ice, Death, Planets, Lungs, Mushrooms And Lava (2021), peut-être leur meilleur depuis des années, et pas loin d’un top carrière. On passera même par un morceau électro – funk – rap hallucinant (désolé pour les fans ultra, nous ne savons pas lequel était-ce…). Les loustiques sont connus pour être bons partout, et ça n’est définitivement pas un mythe. On pourra seulement leur reprocher de tout placer au même niveau, et de ne pas y trouver véritable construction. La fin du concert sera axé métal, avec l’incroyable « Planet B » (toujours leur plus grand morceau du genre, ça ne change pas).
Anecdote amusante du public durant le live : un mec, probablement déçu de l’annulation de son groupe préféré, était en train de regarder un live filmé de Viagra Boys, le téléphone brandis comme une croix. Chacun ses messies.
Grand Blanc
Changement de programme ce soir avec l’annulation en dernière minute de Billy Nomates, remplacée au pied levée par Grand Blanc qui sont également programmés sur la plage le lendemain matin. Les voilà de retour avec un nouvel album « Halo », bien loin de « Mémoire vive » qui les a fait connaître mais surtout de leurs incroyables premiers EPs sortis en 2014 et 2015. Ce nouveau jet harmonique a laissé derrière lui toute la crasse industrielle du groupe. En lieu et demeure, ces nouveaux Grand Blanc se sont offert un nouveau look (Camille prend ainsi des airs d’Adrianne Lenker) et surtout un tout nouveau son, bien plus doux et plus triste. Un voyage dans le Danube les a inspiré, évoque Benoit, le chanteur et la poésie qu’ils y ont trouvé. Si le groupe a toujours été sombre, cette fois, il se laisse porter par la voix de sa chanteuse. Tous.tes sur le fil comme happés dans un tourbillon de noirceur, une mélancolie plus brut. C’est du moins ce qui ressort de ce live. Le sentiment que le groupe a posé ses armes, se laissant ensevelir par ses démons et cohabitant avec eux, ici sur scène, les larmes aux bords des yeux. Les anciens morceaux eux aussi ont été passé au filtre, délaissant tout rythme soutenu pour se faire calmes, aériens et aidés par une harpe certes mais empli d’un doux désespoir. Le voyage est éprouvant. Les usines hantées de Metz sont loin derrière, l’ennui inspirant aussi, reste le calme, et celui-ci est éprouvant à recevoir.
Yo La Tengo
Les américains de Yo La Tengo sont la belle surprise de la journée. Les premiers à s’essayer à la scène du Fort en ce jour 2 déjouent les pronostiques en offrant une ouverture très rock à un set qui ne cesse de changer de visage avec cohérence. Sophistiqué le groupe fait la part belle à ses instruments sans jamais tomber dans la démonstration technique et mathématique de celui qui sait jouer de ses instruments. A la place, le groupe fait sonner follement ses guitares qui résonnent et appellent les oreilles. Une fois l’attention obtenue, les règles changent, pop enivrante vient rencontrer country expérimentale comme un trouple aussi surprenant que finalement divinement assorti. Si l’opération est réalisée d’une main de maître c’est aussi parce que la formation a eu le temps de roder son identité et de la tester. Formé en 1984, avec quelques 14 albums sous le coude, le groupe a de quoi se raconter et donner une leçon de capacités musicales et scéniques. Les paysages musicaux défilent en toute sobriété, la grandeur est là mais avec l’humilité qui caractérise les meilleurs. Pris par la main au milieu d’une justesse emprunte d’émotions à l’état pure, le public ne peut qu’adhérer à ce live puissant.
The Black Angels
Menu Best Off pour la Route du Rock qui invite les habitués de Black Angels à prendre possession de la scène du Fort en ce deuxième jour du festival. Moins rempli que le premier soir, l’évènement est aussi plus praticable et permet de mieux tourner autour de la scène pour découvrir pleinement le groupe culte. En 2022, la formation psyché d’Austin publiait Wilderness of Mirrors, son dernier né. C’est pour lui qu’elle est là et presque pour lui seulement. Voilà qui laissera un goût de trop peu pour les puristes, déçus d’une set list qui se concentre trop sur ses nouveautés et ne souhaite pas tracer sa route au milieu des 5 albums qui composent pourtant son paysage. Laissés uniquement sur leur faim ? Oui et non puisque The Black Angels reste une expérience immersive et intense en live. La batterie qui résonne particulièrement et l’univers puissant qui déverse ses titres comme une tempête, sont autant d’atouts pour se laisser prendre par la main et apprécier le voyage. Le groupe reste hypnotisant, sonne juste et envoûte avec la précision de ceux qui sont habitués au live et à la rigueur.
Young Fathers
Ce sont les acolytes de Young Fathers, en fin de soirée ce vendredi qui marquent le plus les esprits. Il faut néanmoins admettre, par souci d’honnêteté, que le groupe tranche avec une programmation très rock. Leur pop, hip hop, électro, word change le ton et forcément intrigue l’oreille pourtant déjà prise au tourbillon de 7 heures d’écoute intense. Ce postulat posé, le groupe aurait été une véritable claque en n’importe quelles circonstances. Draps posés en arrière scène, show déstructuré, fou, indomptable, le concert ressemble à un numéro à toute allure, mélangeant les registres pour aller bien plus loin que le postulat du simple concert. Messe surdimensionnée aux allures de cultes auxquels on adhèrerait les yeux fermés, la formation écossaise sait mettre en avant ses prêcheurs. L’opération prend en un rien, et la foule, maintenant adepte, suit aveuglément les demandes des trois meneurs qui la mêne à entrer en trans. La set list déstabilise par la variété musicale qui défile à toute vitesse. Le moment est bouillant et rend la nuit mythique d’autant plus que les choristes qui utilisent tout pour porter leurs voix dont un mégaphone. Un bordel organisé, une folie partagée.
Sorry
En ce dernier jour de festival, le groupe Sorry a la lourde tâche d’ouvrir les festivités. Il est dommage de les retrouver sur la petite scène tant la proposition menée par Asha Lorenz et Louis O’Bryen mérite à être vue et à l’étoffe des plus grandes prestations de cette édition. Sous un soleil de plomb, la formation distille son indie rock lancinant et fascine immédiatement. Il faut dire que le matériel qu’est son dernier jet solo, « Anywhere but here » a tout pour faire mouche. Des titres forts, bien dosés, un faux air blasé, une écriture très maitrisé et ici au Fort Saint Pierre un son excellent. les titres les plus forts sont interprétés en début de set dont « Let the Lights on » mais surtout l’excellent « Right Round the Clock » paru sur le premier album du groupe « 925 ». Le morceau qui a piqué les paroles du titre « Mad World » de Tears for Fears en extrait l’âme profondément sombre pour se faire plus répétitif et joue sur des rythmiques qui tapent fort. Surtout la voix d’Asha et sa douceur ajoutée à celle de Louis créent un moment d’osmose parfaite qui conquière les festivaliers. La formation aurait dû faire partie des têtes d’affiches de la journée, on insiste, sorry not sorry.
Brian Jonestown Massacre
La légende Anthon Newcombe. Sur le site du festival samedi un peu avant 22h15, l’interrogation générale est à savoir si le leader de Brian Jonestown Massacre, groupe mythique des années 90 qui sort encore un album par an actuellement, sera de bonne humeur ou non, puisque réputé pour n’en avoir rien à foutre de rien. Sauf de la musique peut-être. Ce qui est déjà pas mal. De ce côté-là, rien à redire. De longs et lents morceaux, ritournelles psychés aussi puissantes que bourrées d’un sincère et profond magnétisme. On ne sait jamais vraiment lesquels ce sont, de morceaux, bien qu’on reconnaisse quand même du dernier album (génial) ainsi que leur « tube » Anemone, mais ça n’est pas l’important. D’ailleurs, le temps pris par le groupe entre chacun, pour changer d’instruments et accorder les guitares, montre à quel point c’est le son qui importe avant toute chose. Au moins, le look d’Anthon Newcombe, cowboy moderne tout de blanc vêtu, suffit à nous faire patienter, guettant presque la moindre interaction qui pourrait surgir entre lui et le public, ou lui et ses musiciens (ils sont 7 sur scène en tout, dont Joel Gion et son fameux tambourin). Il y a beaucoup de monde devant la scène à ce moment-là, plus qu’à n’importe quel concert de la soirée. Preuve que BJM continue d’attiser les curiosités, et d’être maitre de leur rock unique.
ArtArticle : Julia Escudero & Léonard Pottier
Vidéo : Théophile le Maitre
Photos : Kévin Gombert
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