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Penelope Bonneau Rouis

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Tropical Fuck Storm (Crédits Photo : Théophile Le Maitre)

À l’occasion d’une tournée française d’à peine dix dates, le groupe australien Tropical Fuck Storm s’est produit sur la petite scène du Trabendo, le 13 septembre 2022.  En 1h30, le quatuor délirant a servi un show aussi explosif que discordant. 

19h30, Trabendo. La chaleur de cette mi-septembre est pesante, moite. Sans même avoir franchi les portes rouges de la salle, on ne pense déjà qu’à une chose : une pinte, un rosé, un verre d’eau… bref n’importe quoi pour pallier à ce que l’on aime qualifier « d’été indien » les chaleurs aberrantes de cette période. La terrasse est bien investie, et fait l’impression d’un bourdonnement continu.

20h sonnent et le duo, également australien, Party Dozen, monte sur scène. Armés d’un saxophone et de baguettes (et manifestement d’une clé USB où se trouvent des riffs de guitares préenregistrés), Kristy Tickle et Jonathan Boulet offrent un rock bien gras à la Slift, qui chauffe bien le public avant l’arrivée de Tropical Fuck Storm.

Party Dozen (Crédits Photo : Théophile Lemaitre)

Un show (très) chaud

Vers 21h, Gareth Liddiard et sa bande, Fiona Kitschin, Lauren Hammel et Erica Dunn débarquent sur scène et entament le set avec Braindrops, issu de leur deuxième album éponyme. Ce groupe majoritairement féminin (et ça fait plaisir) se prépare lentement, chauffe le public déjà tiédi par Party Dozen. 

Dans une quasi-obscurité, le public se laisse transporter dans une transe discordante et profondément punk.  Si au début, ce dernier semble relativement calme et attentif, une montée en tension (et en puissance) se fait très nette dès le milieu du concert. Ça commence à pogoter vers les premiers rangs. On observe cependant un certain décalage entre les premiers rangs qui crient et se jettent les uns contre les autres et les derniers rangs plus clairsemés et plus statiques.

Tropical Fuck Storm (Crédits Photo : Théophile Le Maitre)

Un moment électrique

Si des morceaux plus calmes viennent ponctuer le set, d’autres créent de véritable moment d’euphorie dans la salle; certains spectateurs se jetteront dans la foule comme un sac en plastique embarquerait dans une traversée de l’Océan Pacifique. La setlist ne contient d’ailleurs qu’un morceau de leur dernier album, Deep States, « Legal Ghost » et se composera essentiellement de leurs deux premiers albums, A Laughing Death in Meatspace et Brainstorms. 

Mais la surprise se fera véritablement quand Erica Dunn (guitare, synthé, voix) commence à reprendre le plus disco des morceaux qui existe, « Stayin’ Alive » des Bee Gees avec une énergie affolante. Ce n’est pas la seule reprise qu’ils ont fait puisque peu après retentissent les notes d' »Ann » des Stooges.

 

Tropical Fuck Storm (Crédits Photo : Théophile Le Maitre)

Un final discordant

Vers 22h20, le groupe quitte la scène sous les clameurs d’un public luisant de sueur et de béatitude. Pas d’inquiétude, ils reviennent très vite, et Lauren Hammel apparait sur les épaules d’un Gareth Liddiard occupé par un solo de guitare et la précaution de ne pas tomber. Chose faite, il s’agenouille et Lauren Hammel se laisse glisser en arrière. S’ensuit alors une quinzaine de minutes (un poil trop long, pour certains)  de composition musicale dissonante et délirante qui n’aura pour seul effet que d’enthousiasmer davantage la foule transie. Malgré les quelques trous dans la fosse, car le concert n’était pas sold-out,  la foule de fidèles et de nouvellement convaincu.es ressort de ce concert, avec dans le coeur, un soupçon de la folie et l’électricité d’un moment fédérateur comme celui-ci.


Maggie Rogers – Surrender (Crédits photo : Kelly Jeffrey)

Trois ans après la sortie de Heard It in a Past Life (2019), la chanteuse américaine Maggie Rogers revient en très grande forme avec Surrender, sorti le 29 juillet dernier. Cet album, plus fier que le précédent, présente Maggie Rogers plus libre que jamais. Elle y allie brillamment plusieurs influences musicales telles que l’electro, la folk et du rock saturé, le tout mêlé à une fureur de vivre et une frénésie déconcertante aux intonations très 90s/2000. 

UN OPTIMISME TEINTÉ DE FRUSTRATION

Il y a quelque chose d’exaltant, disons-le, à observer certains artistes grandir et trouver leur style. C’est le cas avec Maggie Rogers qui, le 29 juillet dernier, a sorti son deuxième et -pour le moment- meilleur album. Ne crions pas là au fameux « album de la maturité » dont la formulation est aussi trouble que lorsqu’il y a présence de CO2. Mais il y a bien là une évolution certaine qui se dessine. Avec Surrender, Maggie Rogers signe probablement son œuvre la plus aboutie. Si les trois premiers singles (That’s Where I Am, Horses, Want Want) sortis en préparation de l’album laissaient présager une certaine qualité, le reste de l’opus s’est avéré encore mieux qu’escompté.

Sur Surrender (notez l’assonance), Maggie Rogers se livre, pousse autant des cris de rage que de joie. Elle célèbre son émancipation, sa liberté avec une assurance rafraîchissante. Car c’est ce dont est question l’album; une assurance nouvellement acquise pourtant teintée parfois d’inquiétude et de frustration. Cette dualité des émotions et des sentiments est retranscrite notamment sur la chanson, Shatter, où les chœurs sont chantés par Florence Welch (Florence + The Machine).

Une ode à ses proches et… à elle-même?

Comme bon nombre d’artistes, Maggie Rogers s’est servi du confinement pour se réinventer et composer. Elle a troqué ses longs cheveux blonds pour une coupe garçonne lui donnant une allure de rock star des années 90 et s’affirme davantage musicalement. Sur le morceau Be Cool, Maggie s’adresse directement aux ami.es qui sont resté.es à ses côtés durant la pandémie. Il ne s’agit pas de la seule chanson où elle exprime sa reconnaissance pour ses proches : I’ve Got A Friend, balade touchante où l’on entend tout au long de la chanson des dialogues joués par les musicien.nes Clairo et Claud.

Cependant certains morceaux sont plus ambigus, mais pas dénués d’espoir pour autant. En effet, si les chansons sus-nommées laissent clairement entendre qu’elle s’adresse à des proches, d’autres pourrait tout aussi bien s’adresser à ces mêmes proches, un.e amant.e ou (et c’est très plausible) à elle-même. Si, Maggie Rogers a explicité la signification derrière le son Horses (véritable coup de coeur personnel) qui justement était une chanson qu’elle avait écrite pour elle-même, enregistrée en une prise, il est moins évident de déterminer le destinataire d’Anywhere With You. 

Maggie rogers, une fureur de vivre

Enfin, que serait cette critique si je ne mentionnais pas Want Want, véritable hymne pop à la priorité du plaisir dans la vie qu’elle décrit avec cette frénésie qui semble lui être désormais propre.

En somme, Maggie Rogers a réussi l’exploit de réunir dans un album d’à peine 45 minutes tant d’émotions multiples et complexes que l’on se croirait en face d’un  petit-déjeuner continental. S’il fallait résumer cet album en quelques ingrédients essentiels, je dirais : de la colère, de l’optimisme, de l’émancipation et en ingrédient secret, de la rage de vaincre. En espérant que l’album plaira à quiconque lira ceci, si c’est le cas, l’américaine passe par la Salle Pleyel le 17 novembre 2022.


 

ST. VINCENT live @ Philharmonie de Paris – © Joachim BERTRAND / Philharmonie de Paris

Mardi 5 Juillet 2022, pour le quatrième soir du festival Days Off, St Vincent s’est produite sur la scène de la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Entre jazz new-yorkais et funk délirant, la virtuose américaine a offert pendant près d’une heure et demie, un show d’une qualité exceptionnelle.

Il est 19h50 quand j’entre dans la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. La salle est vaste, blanche avec des formes géométriques qui n’ont pour seul effet que de nous faire tourner la tête et nous faire sentir tout petit. Elle se remplit peu à peu, comme un poumon se remplirait d’air, et chacun ressent ce petit vertige – sauf ceux qui étaient déjà venus- en y entrant. En plus, la clime est à fond et ne fait qu’amplifier cette sensation.

Cate le Bon, féale galloise

À 20h précise, Cate Le Bon monte sur scène coiffée d’une camaille de chevalier. Les plus férus d’Histoire crieraient à un hommage à Jeanne d’Arc mais je ne mange pas de ce pain-là. Après tout, c’était peut-être une référence à Isabel de Conches.

La chanteuse galloise instaure dès son entrée une atmosphère rétro, de sorcière, un peu psychédélique. Son style de chevaleresse des temps modernes et sa voix éthérée ne pouvaient que – sans mauvais jeu de mot- conquérir un public un poil trop sage si le son avait été mieux réglé. Peu bavarde, elle quitte la scène à 20h50.

une attente agitée

Les techniciens préparent désormais la scène pour St Vincent. Des nuages sont installés, un décor de ville ressemblant à New-York s’abaisse lentement en arrière plan.

À 21h08, la lumière s’éteint, une femme pas loin de moi hurle « Woooooooo ». La lumière se rallume, c’était juste un test et son pote siffle : « putain tu m’as pété le tympan… » avant de rajouter à l’intention d’un public majoritairement français : « sorry guys » (en phonétique approximative, cela donne « sauri gaïze »).

De l’autre côté, des commentaires plus cassants se font entendre : « bon il faut se l’avouer, son dernier album s’avère pas terrible. » En espérant qu’ils parlaient du dernier album photo confectionné par la grand-mère de l’un des deux bonhommes. Mais ça reste pas très gentil.

une entrée en scène burlesque

Puis, à 21h22. Daddy’s Home de Shep & The Limelites retentit dans la salle. Le groupe et les choristes se mettent en place. Quelques secondes plus tard, St Vincent, vêtue d’un imper et de hauts talons avance avec langueur vers le micro, s’arrête un instant devant et repart. C’était un prank, c’était pas elle en fait. La vraie St Vincent fait enfin son entrée peu après. Elle porte un blazer blanc cintré, un short assorti et des bottes qui semblent être en vinyle (très Courrèges).

Dès cette double entrée, St Vincent instaure directement le côté théâtral et burlesque qui suivra tout au long du concert, que l’on trouve d’ailleurs sur chacun de ses albums. Et si le spectacle est assis, elle réussit tout de même l’exploit, dès la troisième chanson, à avoir tout le parterre se lever et se précipiter vers la scène.

ST. VINCENT live @ Philharmonie de Paris – © Joachim BERTRAND / Philharmonie de Paris

Divine et théâtrale

St Vincent, de son vrai nom Annie Clarke, a cette qualité que peu d’artistes ont; d’allier le calcul à l’inattendu. Si le show paraît parfaitement millimétré, elle joue avec le public en faisant preuve d’une aisance et d’un amusement spontané. Notamment lorsque ceux venus se précipiter au premier rang la filme, voulant immortaliser ce moment de grâce, et que celle-ci prend quelques téléphones et capture elle-même l’expérience. Le moment est si hors-du-temps que le public se croirait presque plongé dans un diner à New York (je dis bien presque, parce que quand même, ne nous laissons pas berner aussi facilement).

ST. VINCENT live @ Philharmonie de Paris – © Joachim BERTRAND / Philharmonie de Paris

St Vincent a une musicalité et une voix exceptionnelles. Elle susurre autant qu’elle rugit (un peu à la Prince sur  Darling Nikki) et chaque fois qu’elle hurle des petits frissons parcourent les bras et le dos de chacun – à moins qu’il ne s’agisse de la clime. Entre deux solos de guitare, se place un petit solo de thérémine et c’est quand même très stylé.

Au bout d’1h30, le concert touche à sa fin. Le temps est passé à une vitesse… La setlist était remarquable : autant de chansons de son dernier album Daddy’s Home (The Melting Of The Sun, Pay Your Way In Pain…) que de ses précédents comme Masseduction, ou Marry Me. Le public ressort de cette salle où se tiennent généralement des concerts classiques en constatant une chose :  pour l’amour de la musique, à la Philharmonie, que ce soit de la funk ou de l’opéra, tous y trouvent leur place.

Tamino
Crédits photo : Herman Selleslags

Deux ans après sa dernière tournée, Tamino revient pour un concert intimiste au Café de la Danse. Pendant 50 minutes, accompagné de sa guitare ou d’un oud, le jeune flamand d’origine égyptienne transporte à nouveau un public amoureux transi dans son univers sombre et poétique. 

Tamino, c’est ce grand brun (1m98, selon Wikipédia) au regard mélancolique et à l’allure romantique. Ce dandy dont la musique mêle folk rock et musique égyptienne. Celui qui nous avait tous ensorcelés en 2018 avec son morceau « Habibi », issu de son premier album Amir sorti la même année revient pour un showcase exceptionnel.

Où es-tu, Tamino ?

Sa dernière prestation date d’il y a environ deux ans. Ça, Tamino, le confirmera plus tard en montant sur scène. Deux ans d’absence, de silence, de questions « tiens, il devient quoi, Tamino? » posées de manière un peu hasardeuse à des potes autour d’un verre. Et en février, sur Instagram il poste une photo en clair-obscur, assis sur le sol de ce qui ressemble à un studio d’enregistrement. Reviendrait-il ?

Oui. Il est bien revenu, puisque le 27 avril dernier sortait « The First Disciple »Un morceau hanté et grinçant qui ouvre un nouveau chapitre, celui de Sahar. Son deuxième album.

Et le 14 juin dernier, après avoir rempli la Cigale puis l’Olympia lors de ses dernières tournées, le voilà qui revient là où tout a commencé, dans la petite salle du Café de la Danse. Le jour de l’ouverture de la vente, les billets partent en quelques minutes.

Le Jour J

En arrivant devant la salle, force est de constater la file qui attend dehors. Les gens sont lookés, maquillés, jeunes – pas plus de 23 ans – et font la queue depuis plusieurs heures. Bouquets de fleurs, petits mots et portraits dans les mains et dans les sacs. Certains sont assis par terre et jouent aux cartes, d’autres discutent.

Vers 19h, Tamino sort de la salle, peut-être pour aller se balader (c’est tellement sympa Bastille…). Il passe à quelques mètres de moi, journaliste à ses débuts, dont les yeux arrondis s’étirent les paupières à leur en causer des courbatures, et il me regarde presque dans les yeux, c’est-à-dire le mur derrière.

Crédits photo : Adrien Gras

Tamino, ce ménestrel de la nuit

Les portes s’ouvrent à 19h45 et la salle se remplit peu à peu. Drôle de phénomène à observer, lorsqu’assis.es en hauteur, cette foule qui s’épaissit, s’agglutine et s’étale autour de la scène comme un nuage de soir d’orage. Ce nuage humain aussi est prêt à éclater.

À 20h29, quelques cris impatients retentissent dans la salle, espérant ainsi provoquer l’arrivée de Tamino sur scène. Une minute plus tard, la tentative est un succès – ou simplement une coïncidence liée au timing – et Tamino apparaît, armé d’un oud. Ses cheveux noirs se reflètent dans sa tenue assortie.

Le concert est exceptionnel, celui qui remplissait l’Olympia accompagné de Colin Greenwood en novembre 2019 est là, seul face aux quelques chanceux qui ont réussi à se procurer une place pour le Café de la Danse, qu’il enchante de sa poésie. Les spectateurs le savent ; ils sont en train de vivre un moment décisif dans la carrière du jeune belge. C’est peut-être pour ça que la salle est aussi remplie. Les gens se sont installés un peu partout où ils pouvaient : une seconde foule compacte se forme au bar de l’étage. Et dans la moiteur de la salle, cet entassement humain ne peut qu’évoquer, aux adeptes de mysticisme, l’arche de Noé.

Un showcase magistral

L’atmosphère est écrasante, frénétique. La foule oscille entre cris de folie et silences admiratifs, l’accompagnant sur ses titres les plus connus comme « Indigo Night », « Tummy » ou « Cigar ». Ça hurle des « TAMINO » et des « J’te kiffe Tamino, j’te kiffe » de tous les coins de la salle. Même si l’interpellé semble avoir appris le français pour l’occasion (le jour et la nuit depuis la Cigale), il n’est pas impossible que ce registre de langue n’apparaisse pas encore dans son vocabulaire naissant.

Le concert se termine sur « Persephone », ultime chanson du premier album, qui laisse le public assoiffé pour la suite (et parce que vraiment, il fait très chaud).

Ce show intimiste d’à peine 50 minutes paraît un peu court au goût du public. Mais bon, si le set avait duré quatre heures, la sensation générale aurait sûrement été la même. Car la musique de Tamino, déjà extraordinaire sur album, déploie tout son potentiel, toute son envergure lorsqu’elle est jouée live. Le temps se déroule sans que le public ne s’en aperçoive. C’est là que le vrai don de Tamino se trouve.

Son prochain concert à Paris, au Trianon en novembre prochain affiche déjà complet. La légende est-elle déjà en train de se créer ?