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Penelope Bonneau Rouis

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Portals de Melanie Martinez (2023)

Après cinq ans d’absence, Melanie Martinez revient avec son troisième album, Portals. S’inscrivant directement dans la lignée de ses premiers albums Cry Baby et K-12, Portals représente le troisième chapitre de l’histoire de l’alter ego de Martinez, Cry Baby. Un album discutable. 

Nostalgie rose

Ah… Melanie Martinez… Avoir 14/15 ans et te découvrir… Tomber sur Cry Baby en 2015, dont l’univers horrifique et sucré ne peut faire que penser à l’univers un tantinet plus sombre de Tim Burton… La musique, l’esthétique, le message qui tombe dans les mains au moment de l’adolescence où l’on baigne dans l’idée que que l’on est incompris.e et différent.e. Période bénie d’une renouveau culturel hors du commun et l’impression d’avoir trouvé son mentor.

Découverte avec l’émission The Voice Us avec sa reprise de « Toxic »,  Melanie Martinez est arrivée sur le devant de la scène avec son écart entre les dents et ses cheveux teints en noirs d’un côté et roux de l’autre. Le roux deviendra successivement blanc, bleu, rose, vert… Et très vite, tout s’enchaîne. Cry Baby sort et c’est un franc succès (dans mon souvenir partiel d’ancienne ado), mais Melanie apparait alors comme une artiste à part entière, une génie incomprise qui sort tube sur tube au sein d’un seul et même album concept. Mais de quoi il parle cet album ?

Cry Baby c’est l’histoire d’une petite fille (« CryBaby ») qui grandit dans une famille dysfonctionnelle (« Dollhouse »)  et qui apprend peu à peu à s’échapper de ce carcan, évidemment il lui arrive quelques galères (« Milk and Cookies »; « Tag, You’re It ») mais résilience est clé.

Balance ta melanie

Et puis un jour, c’est le drame. Melanie Martinez est accusée de viol par son ancienne meilleure amie. Les CD sont jetés par les fenêtres, les tee shirts sont brûlés. Celle qui prônait la non violence et l’amour tint alors à peu près (tout à fait) ce langage : « elle n’a jamais dit non » avant de sortir sur Sound Cloud un morceau vengeur produit à l’arrache où elle descend « les gens qui la trahissent ». À ce jour, on a toujours pas eu le fin mot de l’histoire.

Socialement, cette histoire était assez intéressante. N’oublions pas que le public de Melanie Martinez avait entre 10 à 16 ans (et encore). La plupart étant sur les réseaux sociaux un peu trop jeunes, il y avait dans l’air un soupçon d’influence et un léger manque de recul. La réponse de Melanie, trop floue pour que certains d’entre nous arrêtent de l’écouter, fut pour bien d’autres la preuve ultime de son innocence. Et la présumée victime subit alors une vague d’harcèlement facilement comparable (bien que moins relayée) à celle d’Amber Heard lors de son procès contre son ex mari, tellement sympathique, Johnny Depp… de l’idolâtrie à la misogynie il n’y a finalement qu’un pas.

L’histoire est cependant passée assez vite sous le tapis et l’on (ce pronom est ici indéfini pour une raison) criait que tout était faux.

Un retour sans rougir

Mais elle est revenue quand même la Melanie, deux ou trois ans plus tard avec K-12 qui retraçait cette fois-ci les années collège/lycée (l’esthétique faisait plutôt maternelle ou primaire) de son personnage. L’album est parfaitement dans la lignée de Cry Baby, les mêmes métaphores aussi douteuses qui nous avaient faits partir en vrille à l’époqueMais il faut le dire, son message militant disparaissait un peu sous tout ce sucre. Et l’album fut vite retiré de ma bibliothèque virtuelle.

Melanie Martinez – 2023

Björk (usa)

Portals, donc c’est son troisième projet et si Cry Baby meurt à la fin de K12, ça ne l’empêche pas de réapparaitre ici sous une nouvelle forme. Sorte de fée/troll à quatre yeux, la peau rose et mullet vert, Melanie Martinez n’apparait désormais que sous ce déguisement en public. Les performances live doivent en pâtir sous toutes ces prothèses. Mais elle n’a jamais été connue pour avoir une bonne maîtrise de sa respiration.

La couverture, par contre, ressemble à Fossora de Björk et c’est un peu grossier. Le seul effet que ça fait, c’est d’arrêter l’album de Melanie pour aller se réécouter Post.

Portals, est-ce que c’est bien ?

J’avais d’énormes à priori avant d’écouter l’album. Je craignais d’y retrouver ce que j’avais tant aveuglément adoré à 14 ans et tant décrié à 16. Melanie Martinez a réussi l’exploit de ne pas me contredire. Sa musique, qui a pris un tournant plus électro, est datée, dirigée vers un public très (trop) spécifique. Et ces filles-là, elles ont grandi.  Les métaphores et l’esthétique viennent écraser le message qui en devient presque maladroit et attendu. On a compris, la société est capitaliste. Mais quand ça vient d’une chanteuse avec un choix aussi varié de merchandising, ça fait quand même sourire.

Et il ne faut pas être médisant, quelques morceaux valent vraiment l’écoute, notamment Battle of The Larynx qui fait un peu rétro 2000 avec un touche plus electro avec l’autotune (dont elle aurait pu se passer sur à peu près 100% des morceaux). De plus, les compositions instrumentales de certains morceaux comme « Void », « Light Shower », « Moon Cycle » ou « Evil » soulignent une inspiration rock 90s indéniable. L’album fait s’entremêler différents genres musicaux de manière plutôt intéressante et crée ainsi un univers à la fois coloré et éthéré.

En fin de compte, le nouvel album de Melanie Martinez vaut bien une petite écoute. Son univers reste très intéressant, la recherche est là et une réflexion intéressante est faite sur la mort et puis bon, la nostalgie n’a-t-elle pas parfois raison de nous ?


Klara Keller par Juana Wein

Originaire de Suède, Klara Keller est venue enregistrer son EP Bang à Paris, rue d’Enghien pendant un an. Une année riche en rencontres, collaborations et découvertes. Deux ans après son premier EP, Hjärtansfröjd, écrit entièrement en suédois, Bang est son premier EP en anglais tout en douceur et en poésie. Nous nous sommes données rendez-vous chez Jeannette, rue Strasbourg Saint-Denis au milieu des bruits de voix et des tasses qui s’entrechoquent.

Pop&Shot : Klara, bonjour. Comment décrirais-tu ton deuxième EP, Bang ? 

Klara : Ce qui est drôle c’est que j’ai entièrement enregistré mon EP juste à côté, rue d’Enghien. Mon studio est au bout de la rue!  Je venais souvent dans ce café alors être de retour me rappelle tout cette phase de ma vie où je faisais mon album. Parce que, pour moi Bang représente une période très spécifique dans ma vie, très différente de quand j’avais fait mon premier EP en Suède. J’avais besoin de changer ma manière d’écrire et de composer. Bang capture vraiment le temps que j’ai passé ici, à le faire. C’était très intense, j’ai écrit et produit cet EP en trois mois alors que j’ai passé trois ans sur le premier. Le processus était complètement différent donc oui, Bang est très intense, énergique et n’a rien à voir avec ce que j’ai pu faire avant.

P&S : As-tu vu une différence entre le milieu de la musique en France et en Suède ? 

Klara : Oui, l’approche est très différente. Notamment en terme de genres musicaux. J’ai l’impression qu’en France, il y a une égalité entre les genres musicaux qu’il n’y a pas en Suède. En Suède, on est surtout porté sur la pop. C’est le pays d’Abba, Tove Lo, Max Martin… de la musique d’export. Le milieu de la musique là bas tourne beaucoup autour de ce paramètre et quand tu explores d’autres genres, il y a un peu cette vision de sous-culture. On est bon en musique, mais la mentalité est complètement différente. Il y a vraiment ce rapport à l’argent et à la musique d’export.

P&S : C’est ton premier EP en anglais, qu’est-ce qui t’a fait changer de langue ? 

Klara : J’ai commencé en Suède parce que j’étais vraiment une « Stockholm Girl »,  je n’écoutais que de la musique suédoise parce qu’en soit c’est un peu une culture isolée, comme une petite bulle dans laquelle tu peux vivre toute ta vie. Mais j’avais besoin d’en sortir et de faire quelque chose de plus fou, d’être plus ouverte à de nouvelles influences. C’est pour ça que j’ai changé de langue d’écriture. Enfin, je n’avais pas vraiment prévu que ce deuxième EP soit en anglais. J’étais d’abord venue à Paris pour écrire un autre EP en suédois mais en arrivant, je me suis rendue que le suédois était un peu sans intérêt ici, parce que personne n’aurait compris ce que je disais et le français c’est dur. Je connais tout juste les bases. Je voulais voir plus grand en écrivant en anglais.

Je devais rester qu’un mois, finalement je suis restée un an et je suis encore là.

P&S : Pourquoi est-ce que tu as choisi Paris ? 

Klara : J’avais pas prévu spécifiquement de venir à Paris. Je voulais juste aller quelque part et j’avais d’autres villes en tête au début. Puis, je suis allée voir un astrologue et on a parlé de quelle ville pourrait être bonne pour ma créativité et j’ai su que Paris pourrait être bon pour moi. Je devais rester qu’un mois, finalement je suis restée un an et je suis encore là.

P&S : Donc tu vis toujours ici ?

Klara : Non je fais des allers-retours. Ma tournée suédoise pour Bang a eu lieu en automne donc j’ai dû y retourner.

P&S : Tu dis avoir écrit « Sad Thinking Of You » quand tu es venue vivre à Paris et que tu étais nostalgique de ta vie en Suède. Maintenant que le temps est passé, ce sentiment est toujours là ? 

Klara : Oui mais maintenant je suis nostalgique de Paris. J’ai passé un moment tellement incroyable ici et je croyais vraiment que je pouvais résoudre ce que je traversais en venant ici. J’avais besoin de développer ce sentiment de nostalgie pour Stockholm pour écrire cette chanson. Je ne ressens plus ça pour Stockholm aujourd’hui. C’est juste une ville, c’est pas le centre du monde comme je le pensais avant de déménager. Aujourd’hui je me rends compte qu’il y a des choses bien plus grandes que ça. Donc non, je n’ai plus le même sentiment, mais je reste une personne nostalgique et je suis nostalgique pour autre chose maintenant.

. On marchait dans les rues désertes et comme les bars étaient fermés, on faisait la fête dans le squat.

P&S: Dans tes clips « Hard Rock Café » et « Sad Thinking Of You » on te voit errer seule. Est-ce pour représenter tes premiers temps à Paris ? 

Klara : Oui, c’est ça. C’est marrant que tu le remarques. Surtout dans « Sad Thinking Of You », j’ai un coquillage que mon copain m’a donné. Ça m’a donné l’idée de marcher dans Paris en écoutant mon ancienne vie dans le coquillage en étant ailleurs. Parce que c’est exactement ce que je faisais, je marchais dans Paris. Je vivais dans un squat à Montmatre et j’y ai passé une bonne partie du confinement là bas. Il y avait aucun touriste et c’était super. On marchait dans les rues désertes et comme les bars étaient fermés, on faisait la fête dans le squat. « Hard Rock Café » parle de la période avant que je rencontre tous ces gens, quand j’étais toute seule et que je ne savais pas trop quoi faire.

P&S : Tu as collaboré avec deux membres de Phoenix, comment est-ce que cette collaboration a eu lieu ? 

Klara : Leur studio était juste à côté du mien. Leur batteur est suédois mais je ne le connaissais pas vraiment. Un jour, on s’est écrit, je ne sais plus pourquoi et je lui ai demandé s’il était à Paris et il l’était. C’était un peu une coïncidence en fait. J’ai rencontré Thomas (Hedlund) et Rob (Coudert) et on a collaboré.

P&S : Sur cet EP, ta musique a des influences un peu 70s et 80s, que t’évoquent ces périodes ? 

Klara : Je sais pas, les 70s m’ont toujours beaucoup inspirée, notamment le style vestimentaire. Mais musicalement, il y a tellement de styles qui m’inspirent qu’ils finissent par se mélanger dans le mien. Pendant que je faisais l’EP, j’ai beaucoup écouté McCartney II de Paul McCartney où il a tout produit tout seule et ça m’a beaucoup inspirée. Mais sinon, je ne pense pas vraiment à mes influences, ça vient assez naturellement et parfois ça sort avec un côté un peu 70s.

P&S : Et peux-tu nous parler un peu de la pochette de l’EP? 

Klara : La première fois que je suis allée au squat, j’étais avec un mec qui m’a montré sa chambre. Le squat était un ancien hotel avec ces petites chambres où ils vivaient. Bref, il avait cette peinture, qui est en fait un portrait de moi. Maintenant on est ensemble, mais c’était la première fois où j’ai su que je lui plaisais. Et je savais que ce portrait serait la pochette parce qu’il capturait lui aussi le temps que j’ai passé à Paris.

P&S : Tu as un morceau qui s’appelle Lucky Luke… 

Klara : Oui ! La première fois que j’ai fait la fête au squat, il fallait porter un chapeau, c’était le dress-code. Mon copain, avant que l’on soit ensemble, était là et il portait un chapeau de cowboy. Il m’avait donné une montre pour enfant avec le visage de Lucky Luke dessus et je l’ai associé à lui depuis.

J’ai tendance à vouloir expérimenter un truc, aller au fond des choses

P&S : Ton titre « Wheel of Fortune » est assez rock. Est-ce que c’est un genre que tu aimerais explorer davantage à l’avenir ? 

Klara : J’adorerais. J’écoute souvent Patti Smith en ce moment et son son m’inspire beaucoup ces temps-ci, avec des guitares, etc. J’ai tendance à vouloir expérimenter un truc, aller au fond des choses et ensuite faire quelque chose de complètement différent derrière. J’ai l’impression d’avoir fait ça avec mon dernier EP et je sais déjà que mon prochain projet n’aura aucun rapport. Mais j’adore jouer cette chanson en concert, c’est comme une grosse claque.

Sur ton premier EP, tu as reçu beaucoup de nominations et quelques prix. Est-ce que ce succès a eu un impact sur ton processus créatif. 

Klara : J’étais complètement dans la mouvance suédoise avant mais j’aime toujours développer de nouvelles choses, et trouver de nouveaux morceaux tout le temps. Donc c’était très important pour moi de ne pas faire un autre Hjärtansfröjd. Ça m’a mis un peu de pression et je ne voulais pas me répéter. Je ne veux pas être mise dans une catégorie inventée par les autres.


Beach Bunny par Alec Basse

À l’occasion de son concert à la Maroquinerie lors de sa tournée pour promouvoir son dernier album, Emotional Creatures, nous avons discuté avec Lili Trifilio, chanteuse et parolière de Beach Bunny.

Bonjour Lili, félicitations pour ton nouvel album, Emotional Creature, pourrais-tu le décrire en quelques mots ? 

J’ai envie de dire émotif – c’est dans le titre – ambient, et pourtant familier… très personnel !

Sur instagram, tu as une esthétique très féerique et portée sur la nature et pourtant la pochette de l’album et les clips ont un côté un peu science-fiction. Quelle était l’inspiration derrière ces visuels ? 

Au début de la pandémie, je ne regardais que des films de SF et j’écoutais beaucoup de Grimes, ça m’a donné envie de faire un album dans cette esthétique. Et comme l’album est sorti un an après, j’étais déjà passée à autre chose donc à toute cette esthétique un peu féerique. Mais à l’époque, tout ça résonnait vraiment avec ce que je vivais : la science fiction et ma déprime.

Tu as sorti deux clips qui font écho l’un à l’autre. Aimerais-tu un jour faire un album auquel s’attacherait un film ?

J’adorerais, mais c’est vraiment une question de budget et si je l’avais, je l’aurais déjà fait ce film. Dans tous les cas, je compte bien refaire des vidéos connectées comme ça plus tard.

Déjà sur ton premier EP, tu t’inspirais des émotions un peu cathartiques et du côté un peu prosaïque de la vie. Avec Emotional Creature, tu t’es encore plus affirmée là-dessus. Pourquoi est-ce que ça te parait important de parler de ces sujet-là dans ta musique ? 

Il m’est assez difficile d’être vulnérable sur certains sujets, et en tirant d’experiences personnelles et en écrivant dessus, ça a un effet assez thérapeutique pour moi. J’en retire beaucoup plus que si j’écrivais de la fiction et ça me permet d’aimer encore plus les chansons. Elles deviennent jamais ennuyeuses parce que je serai toujours attachée à l’expérience.

Et tu n’as jamais la crainte de sortir certains morceaux et d’avoir l’air vulnérable aux yeux d’inconnu.es ? 

Je pense que j’ai dépassé cette crainte et surtout les émotions que je ressentais en écrivant ces chansons. Mais pourtant, je garde quelques difficultés avec ma santé mentale, particulièrement l’anxiété. Je travaille toujours sur ma manière de la gérer mais le fait d’avoir une plateforme et l’admettre publiquement peut créer beaucoup d’anxiété aussi.

Et pourtant ta musique a un côté très joyeux, peu importe le sujet que tu abordes. Comment ça se fait ? 

C’est avant tout par goût personnel. J’écoute très peu de chansons lentes et plutôt du rock ou de la pop. C’est toujours des morceaux rapides et joyeux et peut être que ma capacité de concentration est trop courte pour apprécier les chansons lentes. Donc quand j’écris une chanson j’ai envie de la réécouter plusieurs fois sans m’ennuyer donc ça vient assez naturellement.

Dans plusieurs interviews, tu as affirmé que « Weeds » était ton morceau préféré sur cet album. Pourquoi ? 

J’aime beaucoup ce morceau parce qu’il y a un côté un peu « empowering » à la chanter. Dans mes autres morceaux, j’ai tendance à blamer les autres ou des choses extérieures pour mes problèmes mais avec « Weeds » j’ai plus l’impression de me responsabiliser pour mes problèmes et de travailler sur l’amour de soi. C’est un message que j’essaye d’apprendre mais je pense que c’est important de le chanter.

Est-ce que tu vois la musique comme une moyen d’exorcisme ? 

Je pense, oui. Avec « Weeds », c’est très agréable mais aussi utile pour mon esprit de parler de séparation et tout ça. J’ai envie d’écrire une chanson où je me laisse plus aller sur le moment présent et un peu moins pessimiste. J’aimerais bien écrire des chansons plus heureuses à l’avenir.

Tu as écris cet album pendant le confinement, est-ce que la période a eu un impact sur ton processus créatif?

Oui, il y a vraiment eu une influence. La pandémie, surtout en 2021, a été assez terrible pour moi. Je traversais une phase difficile et je pense que les thèmes des chansons viennent directement de ce que je ressentais à l’époque. Si la pandémie n’avait pas eu lieu, l’album aurait été complètement différent, donc j’imagine que c’est positif.

Certaines de tes chansons ont rencontré un certain succès sur TikTok. Est-ce que cette célébrité émanant des réseaux sociaux a eu un impact sur la création de l’album ? Par exemple dans ta perception de la musique et de la célébrité.

Je ne pense pas que ça ait eu un effet sur l’écriture des chansons, mais je pense qu’il y a eu un impact sur ce que je ressentais quand l’album était sur le point de sortir. J’étais beaucoup plus nerveuse parce que je savais qu’il y avait un public plus grand, prêt à comparer avec ce que j’avais fait avant. Donc ça a été un obstacle difficile à dépasser. Je voulais surtout que tout soit parfait.

Tu es la seule femme du groupe et pourtant l’esthétique du groupe reste très féminine. Est-ce que cette position a pu créer (notamment avec les médias, le public, plutôt qu’au sein du groupe) une dynamique particulière par le passé ? 

Je pense oui. J’ai surtout remarqué que les gens aimaient bien comparer des groupes avec ce genre de formation. Le plus intéressant, c’est que souvent, effectivement il y a une chanteuse et le reste des membres sont des hommes, mais d’un point de vue du genre musical c’est complètement différent. C’est un peu bizarre et j’ai trouvé ça intéressant mais c’est ni bien ni mal. Après, ça fait tellement longtemps qu’on joue et j’ai vu peu d’articles qui nous décrivaient comme un « groupe de femmes ».

L’année dernière, tu as collaboré avec ta chanteuse préférée, Marina (anciennement Marina and the Diamonds), comment c’était ? 

Un rêve qui se réalise ! Je pourrais pleurer rien qu’en y repensant. Mais c’était intéressant parce que c’était durant la pandémie donc on ne s’est jamais rencontrées ou ne serait-ce qu’échanger quelques mots. Elle m’a juste envoyé un fichier audio et je devais y ajouter ma partie. C’est super cool et j’adorerais collaborer avec elle à nouveau.

Et est-ce qu’il y a d’autres artistes avec tu aimerais collaborer ou c’était déjà la collaboration de tes rêves ? 

Ça l’était ! Peut-être que j’aimerais bien écrire une chanson avec elle parce que là, c’était sa chanson et j’ai juste pu écrire ma partie. Sinon, pour une autre collaboration, peut-être Paramore ou quelque chose avec Hayley Williams.


Florence + The Machine - Accor Arena Paris

Lundi 14 novembre 2022, Florence + The Machine s’est produit sur la scène de l’Accor Arena. Au programme : résurrection, expiation, exorcisme et sacrifices humains. On vous raconte de manière (presque) objective cette messe païenne. 

Le vendredi 13 mai dernier sortait ce que l’on peut qualifier du meilleur album de l’année (de la décennie ? non, elle commence à peine mais il sera déjà  bien difficile de le dépasser à moins qu’Elle n’en sorte un autre), Dance Fever. Sur fond de mythe, sorcellerie et films d’horreur, Florence avait commencé avec cet album un tourbillon qui prit une toute autre dimension sur scène.

Attente interminable

Devant l’Accor Arena, les gens sont habillés Florence style, couverts de faux sang, de paillettes et de fleurs. De gros pulls recouvrent les longues robes en dentelle et en velours. Il fait déjà nuit. Les morts se réveillent peu à peu sous la lumière de la lune.

Vers 18h30, les portes de l’Arena ouvrent et celle-ci comme une ruche qui attendrait sa reine se remplit, s’affaire, bourdonne. L’excitation monte car ce soir Florence et sa troupe reviennent à Paris après trois ans d’absence. Leur dernier concert à l’Accor Arena pour la tournée de l’excellent (mais moins bien salué par la critique) High As Hope affichait déjà lui aussi complet. Mais ce soir, il y a une certaine folie dans l’air, une certaine soif encore inédite ; trois ans d’attente.

À 20h, le très bon Willie J Healey tiédit un peu la salle. Le son n’est pas très bien réglé mais sa musique envoie quand même. Vêtu d’un costume cintré noir un peu rétro, il joue un blues rock d’une jolie voix un peu cassée. Le set se termine au bout d’une demie-heure, les plus grands fans du groupe d’après n’ont pas forcément été les plus attentifs (respectueusement), ils n’ont qu’une chose en tête ; Florence (et peut-être un peu soif?).

DEUS EX MACHINA

À 21h15, après que « Jubilee Street » de Nick Cave eut résonné dans la salle, le silence se fait. Il n’est que de courte durée puisque la foule hurle comme une banshee dès que la lumière s’éteint. Les chandeliers au-dessus de la scène descendent doucement, suivi d’un gigantesque cadre blanc qui remonte peu de temps après. Décor de maison hanté au sein d’un Bercy bondé.  Ce petit jeu continue pendant quelques minutes, puis enfin. Florence apparait, vêtu d’une robe blanche et d’un voile sur les épaules qu’elle fera voleter toute la soirée. Dans sa chevelure rousse, une tiare de diamant trône fièrement. Elle ne restera pas longtemps.

Puis tout s’enchaîne, on a pas le temps de reprendre notre souffle, et ce jusqu’à la fin du concert. « Heaven is Here » ouvre ce bal enfiévré, puis « King ». Florence est sur scène depuis à peine 6 minutes et pourtant le moment est déjà fédérateur. Après « Ship to Wreck », vient « Dog Days (Are Over) ». Au beau milieu du morceau (c’est calculé), Florence s’adresse enfin au public dans un discours déjà entonné par le passé, cette fois un peu mis au goût du jour : Après deux ans de covid, de cours en ligne, de télétravail, etc, on vit enfin un moment magique, unique alors ce soir, pas besoin de téléphone, pas besoin de partager le moment sur les réseaux. Communions tous ensemble. Et d’un coup, elle crie : « PUT YOUR FUCKING PHONE AWAY » avant de reprendre sur le refrain de « Dog Days » pendant que tout le monde bondit de joie.

Church of Florence 

Parce que c’est ça, un concert de Florence + The Machine. Un moment unique, magique et de partage. Sorte de messe mystique où on ne prierait pas un dieu, ni même une déesse (ne surestimons pas non plus Florence au point de la diviniser complètement) mais un instant, une expiation.

Il y a quelque chose de très cathartique à chialer sur « What Kind of Man », danser jusqu’à s’en déboiter l’épaule sur « Hunger » et hurler à en perdre sa voix (et surtout son souffle) sur « Kiss With A Fist » si bien qu’on en arrive au moment phare… Après une version semi-acoustique de « Girls Against God », Florence comme possédée, descend avec langueur vers le premier rang. Les plus chanceux ne respirent plus, car Florence se penche sur eux. Sur les grands écrans, leurs yeux brillent d’un éclat si particulier, on croirait à la reconstitution de L’Extase de Sainte-Thérèse.  « Dream Girl Evil » (coup de cœur personnel) retentit. Les cheveux de la grande rousse -toujours penchée sur ses adorateurs et adoratrices- recouvrent entièrement son visage. Elle restera avec eux jusqu’à la fin de la chanson. Puis « Prayer Factory » l’une des interludes de Dance Fever débute et elle s’éloigne, marche lentement le long de la barrière, avant de retourner sur scène. De longs voiles noirs descendent, enveloppant ainsi la scène et les premières notes de « Big God » résonnent. Le moment est presque intime… devant quelques 20 000 personnes.

CHOREOMANIAc

Florence ne restera pas longtemps sur scène et pour « Choreomania », elle se précipitera à travers la foule à une vitesse telle que les bodyguards et la caméra peinent à la suivre, celle-ci sondera la fosse quelques secondes, la confondant sûrement avec les nombreuses rousses présentes dans la salle. 

 

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Après presque 2h de show, Florence et ses machines quittent la scène avant le rappel. Pendant ces quelques minutes apparaissent sur les écrans les mots de la fondation CHOOSE LOVE. Une association non-gouvernementale à qui est reversé 1€ de chaque billet pour aider les réfugiés et victimes de crise notamment en Ukraine et en Iran.

Une fois le message passé, Florence + The Machine remontent sur scène et présentent la prochaine chanson. Une chanson qu’elle n’a pas été capable de chanter pendant presque dix ans. Elle représente une période de sa vie où elle était trop « boulay » (bourrée, ndlr) . Ce soir, elle est fin prête pour la chanter de nouveau (et, je présume, aux dates précédentes de la tournée). Il s’agit de « Never Let Me Go » présente sur l’album (excellentissime!) Ceremonials. Le morceau est suivi du tout aussi extraordinaire « Shake it Out », présent sur le même album.

Raise it up, raise it up !

Lors de l’ultime morceau, « Rabbit Heart (Raise it up) », Florence nous demande de réveiller les morts. En langage courant, elle demande aux gens de monter sur les épaules de leur ami.es, parents, etc. Peu le font. Mais ça ne l’empêche pas d’achever ce concert avec un final explosif et ensorcelant. Un régal pour les yeux, les oreilles et le coeur.

Et on ressort de là, avec l’impression d’avoir des clous sous les pieds tellement on a piétiné, sauté et dansé. Presque comme Jésus sur sa croix, si le bourreau n’avait pas su viser.