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Léonard Pottier

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Astéréotypie – « Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme »

Déjà élu meilleur titre d’album français de l’année si ce n’est au-delà, le nouvel album du collectif Astéréotypie a la carrure d’un grand. Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme vient tout juste de sortir vendredi 29 avril dernier et sera présenté en live à la FGO Barbara le 05 mai pour sa release party. Même si aucun sosie de Brad Pitt n’a non plus été aperçu de notre côté, on doit absolument vous dire pourquoi ce projet est à ne pas rater.

 

 

 

Ils sont nombreux au sein du collectif. On y compte neuf personnes, dont quatre à la partie texte/chant : Claire Ottaway, Yohann Goetzmann, Stanislas Carmont et Aurélien Lobjoit. Ceux-là sont réunis autour d’une même affection pour les mots, au delà de leur autre point commun : être atteints du trouble autistique. D’autres les accompagnent aux instruments : Christophe L’Huillier (guitare), Arthur B. Gilette et Eric Tafani (membres du groupe Moriarty en charge des textures sonores à la guitare et à la batterie), Benoît Guivarch (claviers et synthés modulaires) et Félix Giubergia (l’homme de l’ombre). A eux tous, ils forment ainsi Astéréotypie, né il y a une dizaine d’années à l’Institut Medico-Educatif suite à des ateliers d’écriture desquels ont surgi l’évidence d’une union artistique et musicale, entre éducateurs et auteurs de textes prometteurs. Depuis, ces derniers sont soutenus par un rock saillant et pulsatif, ayant mené à plusieurs concerts puis à un premier album en 2018, intitulé l’Énergie Positive des Dieux. Quatre ans après, le collectif revient plus fort que jamais, bien décidés à retourner la production musicale française.

Journaux intimes partagés

Avec quatre voix et identités aussi distinguées, lesquelles assurent chacune l’interprétation de morceaux bien spécifiques, l’album a la qualité d’être extrêmement composite. Chacun des quatre en avant-scène détient ses moments à soi, comme des journaux intimes partagés mais toujours dans le respect de l’intimité et de l’univers de l’autre, sans d’autres interventions que les mots et pensées de celle ou celui qui les façonne. Viennent ainsi à nous des bouts d’existences variés, reliés par une musique non pas seulement d’accompagnement, mais de véritable pousse à bout. Celle-ci les oblige à tout donner, tant la composition instrumentale place la barre haute. Ce croisement entre nombreuses forces plurielles fait la beauté du projet, qui parvient en outre à garder une impressionnante cohérence d’ensemble. « Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme » est d’ailleurs une chanson avant d’être le nom de l’album. Claire Ottaway en est l’autrice et l’interprète. Elle signe le titre le plus marquant et iconique de ne nouveau projet, mais ne fait pas d’ombre au reste, lui aussi de très haute volée.

Monde à l’envers retourné

Dans leurs manières de dire et d’écrire, nos quatre narrateurs surréalistes jouent de leur capacité à exprimer ce qui leur passe par la tête dans des fantaisies singulières du quotidien. Sourire inévitable. Derrière, l’appui musical leur rend particulièrement honneur grâce à des compos aussi stéréo-atypiques que les textes. Le tout forme un drôle de mélange qui, lorsqu’on commence à y goûter avec cette folle entrée en matière « Le Pacha », donne envie d’aller crier un bon coup dans la rue pour réveiller tous les endormis de la vie monotone et désenchantée. Tout est ici dans le désordre, ou plutôt sans ordres. Véritable réservoir des impossibles possibles. Les phrases burlesques s’enchaînent jusqu’à faire espoir.  « La vie réelle est agaçante » martèle Claire Ottaway. Un autre monde s’ouvre alors, dans lequel Paul McCartney est open pour jouer en première partie au Parc de Sceaux. On aurait préféré Lennon, mais le collectif ne va tout de même pas jusqu’à ressusciter les morts.

Ca balance dans la drôme

A la place, Stanislas Carmont préfère plutôt dresser un arbre généalogique des billets de banque sur le titre « 20 euros » où il déclare non sans ironie sa flamme au pognon. Le clip, sorti 2 jours avant le deuxième tour de la présidentielle, l’imagine d’ailleurs président. Réalisation sur-vitaminée pour musique épileptique. Le tout impressionne par son ampleur, comme c’était déjà le cas pour le clip précédent du titre éponyme. Qu’il fait du bien de voir telle qualité chez des groupes qui n’ont pas forcément de grands moyens. L’effort du collectif pour créer quelque chose de singulier sur cet album est considérable.

Côté son, le rendu fout de sacrés claques, grâce une production furieuse. Les textures vont piocher aussi bien dans une électro hypnotique que dans un rock charnu. On y croise Alan Vega en marchant aux abords de l’Allée Sauvage de Beak (« Reine d’un sort »). Voilà qui est revigorant, en attendant de se faire taper par le fantôme énervé de Sonic Youth.

La course dure 37 minutes et n’épargne pas grand-chose, et vaut amplement le coup. Ça respire le lâcher-prise (dans les règles de l’art), la bonne humeur, la nouveauté, le rock et tout ce qui va avec. Astéréotypie fait de son Brad Pitt introuvé l’un des plus puissants albums français de ces derniers mois, voire années. Et ce que l’on en tire, c’est qu’aucun collectif ne ressemble à Astéréotypie dans cette drôle d’industrie.


BAMBARA n’étaient pas les seuls à faire la première partie d’Idles à l’Elysée Montmartre et une Boule Noire en leur nom au mois de mars dernier. Même parcours pour Porridge Radio, à quelques jours d’intervalles seulement. Le groupe anglais dont tout le monde commence à parler, porté par trois meufs (et un mec) indéniablement prêtes à tout exploser, a livré ce soir-là du dimanche 03 avril 2022 un sublime concert. Tellement hypnotisant qu’on a eu envie d’aller au-delà de celui-ci, et de vous parler plus globalement de cette musique capable de faire chavirer un cœur et un corps, encore et encore.

Porridge Radio - La Boule Noire - 2022
Porridge Radio – La Boule Noire – 2022

Il n’y a pas que du côté du rap que l’on trouve de bons featurings. Metronomy l’a montré il y a quelques semaines sur leur nouvel album Small World. Y figure sur la huitième piste le nom de Porridge Radio. On ne fait d’abord pas gaffe, puisque l’album défile depuis un certain temps déjà et que le morceau débute comme du typique Metronomy. Voilà pourtant qu’à la deuxième minute intervient une voix qui force l’attention. C’est celle de Dana Margolin. Elle ne lâchera pas le morceau jusqu’à sa fin, et lorsque celle-ci arrive au bout de 3 courtes minutes, la nécessité devient directement celle de poursuivre ce moment suspendu. On note le nom du feat. La dernière chanson de Small World attendra. Porridge Radio est la relève chez qui on se précipite. On ne sera pas déçu par la suite.

Elles viennent de Brighton : Dana Magolin (guitare, voix), Georgie Scott (claviers), Maddie Ryall (basse). Sam Yardley les accompagne à la batterie. Les quatre ont formé Porridge Radio en 2015, après des débuts solo de la part de la chanteuse, qui cherchait justement des partenaires pour tonifier ses interprétations. Sept ans plus tard, le groupe a de quoi se féliciter du chemin parcouru, au vu d’une reconnaissance qui ne cesse aujourd’hui de prendre de l’ampleur, jusqu’à donc mettre du leur dans la pop sexy de Metronomy. Ce n’est pas rien, même si, il faut bien le reconnaitre, ces derniers ont passé leur heure de gloire et ne sont plus aussi percutants qu’il y a dix ans. Mais Porridge sont-elles capables de récupérer le flambeau ? Et surtout, qui dit que ça n’est pas déjà le cas ?

 

Rice, Pasta and préparation du porridge avant explosion

Porridge Radio - La Boule Noire - 2022
Porridge Radio – La Boule Noire – 2022

En 2016, soit peu de temps après leur formation, le groupe se dévoile dans un premier album intitulé Rice, Pasta and Others Fillers. A l’intérieur : l’essence de leur style, mais non encore tout à fait percutant. On y remarque déjà cette voix à l’énorme potentiel. Il lui manque un peu de profondeur et de rudesse, ce qu’elle parviendra totalement à adopter sur l’album d’après. Les morceaux sont là, mais n’ont pas l’évidence des suivants, tandis que niveau production, on se trouve encore dans un entre-deux. Ce premier album est toutefois l’écorce d’un arbre majestueux qui ne demande qu’à se montrer.

 

THANK YOU FOR MAKING US HAPPY

Il faudra patienter tout de même cinq années pour le voir vêtu de 11 nouvelles branches fraîches. Celles-ci forment la preuve de sa grandeur. Plus de doutes, le groupe revient là avec quelque chose à la hauteur de son talent. Ce deuxième album s’appelle Every Bad et s’impose d’ores et déjà comme une œuvre culte du genre. Cette fois, la musique y est réellement palpitante, dans un ensemble si fusionnel qu’il ne trompe pas sur l’âge et l’expérience de ses créatrices. Car seul un jeune groupe est capable d’y mettre autant du sien. Every Bad transpire la passion, le débordement, la spontanéité… Il y est tout autant question de colère que d’espoir, de mal-être que de bonheur. Cette mixture prend corps dans la musique, au travers d’un mélange des genres. Du rock ? De la pop ? Du punk ? Garage ? Alternative ? Peu importe, se dit-on, transporté dans un tourbillon qui se moque des classifications.

Porridge Radio - La Boule Noire - 2022
Porridge Radio – La Boule Noire – 2022

Porteuses de cris et de paix, les filles de Porridge Radio ne dictent pas de ressentis. Leurs chansons peuvent être d’ailleurs accueillies d’extrême en extrême selon les vécus de chacun.e.s. Cela favorisé par des paroles généralement simples, reflet d’une jeunesse à la fois lasse et pleine de vivacité, qui trouvent leur puissance d’expression dans cette manière si particulière qu’a Dana Magolin de répéter certaines phrases inlassablement, jusqu’à ce qu’elles trouvent enfin sens, contrairement à ce qu’on a l’habitude de dire. Son ancrage dans la voix, la profondeur qu’elle y met et sa justesse d’interprétation y sont assurément pour beaucoup. Sans cela d’ailleurs, Porridge ne serait pas. Mais voilà que derrière, Dana Magolin trouve enfin des morceaux de taille grâce auxquels montrer pleinement ses capacités. L’évidence qui en nait force l’admiration. Profitant de cet impressionnant équilibre, Porridge Radio fait de son deuxième album un indépassable, à l’image du morceau « Lilac » allant jusqu’à la scarification dans une fin à sensations fortes. Hurlement d’un (dés)espoir.

 

En concert : PORRIDGE RADIOACTIVITY 

Sur scène, le groupe déploie la même force de conviction. Tension fidèlement adaptée en live, avec un son on ne peut plus clair, élément primordial. Ce dernier  vient nous happer dès les premières notes de « Born Confused », génial morceau d’ouverture du deuxième album. « Thank you for leaving me, thank you for making me happy” scande Dana Margolin sur la fin, dans une charge semblable à la version studio. Mais l’entendre de vive voix procure un effet décuplé. La Boule Noire est hypnotisée devant cette performance déjà si intense. Sans surprises, la chanteuse est juste. Sans surprises, nous sommes de suite conquis. Sans surprises, elle nous sidère par sa voix à la portée radioactive.

Porridge Radio - La Boule Noire - 2022
Porridge Radio – La Boule Noire – 2022

Ce qu’il y a de bien avec les jeunes groupes, c’est leur dévouement à la musique et à elle seule. Pas de place, de temps, d’envie, de moyens à accorder au spectacle scénique. Non. Celui-ci doit être au plus simple : sur l’écran tout en largeur de la scène de la Boule Noire flotte le visuel de leur nouvel album. C’est déjà plus que beaucoup de groupes. Mais niveau jeu de scène, les filles se concentrent exclusivement sur le rendu sonore. Pas de paroles en l’air, pas de mouvements inutiles. Non. Rien que la musique, soutenue par des présences incarnées évidemment. Sinon, on ne serait pas là. Mais cela suffit amplement pour rendre le moment subjuguant.

Porridge Radio - La Boule Noire - 2022
Porridge Radio – La Boule Noire – 2022

Dana Margolin, par la force de sa voix, oblige le groupe à faire le maximum pour suivre l’intensité. Ca ne manque pas. Sur « Sweet » par exemple, le contraste entre chant harmonieux et instruments cataclysmiques est saisissant. La version studio était déjà grandiose, celle en live transperce directement nos petites âmes non préparées à telle secousse. Plus tard dans la soirée, Porridge Radio jouera également les deux singles déjà dévoilés de son nouvel album Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky à paraitre en mai prochain : « Back to the Radio » et « The RIP ». Ces deux nouvelles branches sont semblables à leurs sœurs : criantes d’évidence. Il est manifeste que Porridge s’est pleinement trouvé. En un sens, leurs morceaux ont la carrure de petits tubes, et cela au sein du genre pluriel et non identifiable dans lequel ils s’inscrivent. Il y a une forme de recette c’est certain, mais tel un bon Porridge (bon c’est dégueulasse mais chut, c’est pour le jeu de mot), on ne lassera jamais d’en manger.


 

 

Elle nous avait ensorcelé en 2018 avec son étrange et sublime premier album Crave. Il y a quelques mois, elle dévoilait le deuxième témoignage de son humble talent : Le Cirque de consolation. Et il y a quelques jours, elle célébrait avec émotions la réussite d’en être arrivée à ce niveau de reconnaissance avec un premier Trianon bien rempli. Léonie Pernet mesdames et messieurs.

Nous n’imaginions pas meilleure salle pour entendre la pop sombre et mélancolique portée par Léonie Pernet qui, en deux albums, a su démontrer une identité musicale forte et évolutive. Crave et Le Cirque de Consolation (le premier nous avait particulièrement marqué) ont fait d’elle une artiste confirmée, à l’approche originale. Tantôt dansant, tantôt lancinant, tantôt funéraire, la musique de Léonie Pernet revêt plusieurs visages, autour d’une obscure atmosphère jamais forcée mais habitée par l’humilité et la subtilité. Les influences africaines en hommage à ses origines parsèment sa musique. Une musique aussi novatrice que politique.

 

FrankY GoGOES to Trianon

Franky Gogo au Trianon, crédit : Théophile Le Maitre

Pour ce concert célébrateur d’un début de carrière en perpétuelle expansion, Léonie Pernet a fait appel en première partie à Franky Gogo, un.e artiste non binaire au look tout aussi classe que sa musique. Avec des sonorités électro faisant office de petites décharges, dans une ambiance techno punk à la Peaches, Franky convainc par sa prestance et sa manière de poser sa voix. Trianon oblige, le son est net. Les pulsations sont ressenties. Le public semble transporté.

 

 

 

 

CUCO CUCA CULOT AURA ou n’aura pas

Cuco Cuca au Trianon, photo : léonard Pottier

Alors que logiquement, tout le monde imaginait ensuite Léonie Pernet occuper la scène après la petite demi-heure de battement habituelle entre les deux parties, ce n’est pas elle qui surgit à 21h, mais Cuco Cuca. Forcé de tourner la tête pour s’en apercevoir, puisque le personnage arrive du balcon, et se positionne sur le bord droit, avant de déployer une banderole avec la lettre E à l’envers barrée. Celle-ci fait référence à un club techno situé à Kiev et nommé « Il n’existe pas ». Sur le profil instagram de l’artiste, on peut y lire « aussi longtemps que Kiev sera en guerre et envahie par la Russie, je sortirai ma banderole ». Mais qui est donc Cuco Cuca au juste ? Iel se définit comme « hacker genderfucker transbird, queer activist & performer borned in Mexico in 2011″. Sa performance en préambule du concert de Léonie Pernet consistera à réciter un texte d’engagement et de lutte contre toutes les privations et les injustices de ce monde. Contre qui ? Les accusations manquent peut-être de cibles concrètes. « Vous n’aurez pas nos nuits, vous … [insérer grand méchant loup] ». Sa voix est trafiquée comme Winslow dans Phantom of the Paradise (Brian de Palma, 1974) qui, comme autre point de comparaison, arbore lui aussi un masque qui ne rassure pas tout à fait. Derrière celui-ci néanmoins,  on ne sent pas la personne totalement à l’aise. Au-delà des accusations, la performance qui d’abord intrigue, perd rapidement de son charme et s’éternise au bout de 10 minutes. Derrière passe une musique techno qui, comme l’artiste, semble rencontrer quelques bugs. Le tout est assez maladroit, manque de fluidité et d’accroche. Le discours crache des évidences même s’il n’est jamais vain de les rappeler. Ca n’est pas plus mal quand on en voit le bout.

 

Léonie en cercle !

21H20. Place maintenant à l’artiste principale. Dès son entrée, on sent toute l’humilité et la simplicité qui lui confèrent entre autres son charme si particulier. Léonie Pernet dégage quelque chose de juste, de touchant, qui se retrouve évidemment dans sa musique.

Sur scène trônent deux grandes installations circulaires depuis notre entrée dans la salle. On se doutait qu’elles  serviraient d’éléments d’éclairage pour le concert. En effet, rien d’autre ne sera utilisé pour illuminer la soirée. Par cette ambiance lumineuse étrange et intimiste, Léonie parvient un créer une proximité, et décore son monde musical d’une subtilité visuelle insaisissable. Cet élément de scénographie s’accorde parfaitement à la musique et se révèle être joli tout autant que pertinent pendant la durée du concert.

Ce dernier débute sur « Hard Billy », morceau en anglais du deuxième album. Comme une parfaite introduction, il introduit un ton funeste dans une sorte de flottement nostalgique. Ce morceau dépeint une mélancolie de l’étrange qui, au contraire de lever le voile sur ce à quoi nous assistons enfin, nous rajoute une couche de mystère et d’envoûtement. Léonie Pernet attrape déjà le public de manière différente de celles qu’on a l’habitude de voir en concert. On pourrait penser que ce morceau n’est pas assez de taille pour une ouverture, et pourtant. Il convient par sa répétition, amenant une tension dans un mouvement suspendu.

 

Une brigade de taille à consoler toute une salle malgré un son mitigé

En matière de son, ça pêche niveau clarté et précision, notamment dans la voix. Une déception quand on sait que le Trianon est généralement réputé pour ses qualités sur la question. Le problème persistera jusqu’à la fin du show avec un cruel manque d’ampleur, ce qui aurait fait gagner les interprétations en puissance. Certaines d’entres-elles restent trop en surface, et ne viennent pas nous bousculer comme elles auraient dû le faire.

Léonie Pernet au Trianon, photo : Théophile Le Maitre

Ce n’est pourtant pas faute d’offrir des interprétations de taille. Léonie et sa brigade de consolation, composée de Jean-Syvain Le Gouic (membre du groupe Juvéniles) aux machines et Arthur Simonini au violon, donnent sur scène vie à des versions sophistiquées, non pas tant différentes de celles en studio, mais pensées différemment pour toujours entretenir chez le public cette fascinante sensation de découverte. Lorsque, cerise sur le gâteau, Léonie se met à la batterie (dès la deuxième morceau), on ne peut être qu’émerveillé. A noter qu’elle fut d’abord batteuse avant de lancer sa carrière solo, notamment aux côtés de Yuksek.

Sans jamais tomber dans le sensationnel, le show trouve un juste milieu entre la musique portée fièrement et l’aspect spectacle pour nous tenir en haleine. Sur « À Rebours » par exemple, dans sa deuxième moitié où Léonie se défoule sur un djembe posé en avant-scène à côté d’elle, on est autant captivé par l’image que par le son. Cette gymnastique entre chant et percussions assurera entre autres le renouvellement constant du concert.

 

Léonie permet l’abandon temporaire de nos maux

Une petite déception viendra du faible nombre de morceaux du premier album joués, et du fait que « Butterfly », son premier tube, ne fut aussi prenant que ce que l’on pouvait espérer. Le Cirque de Consolation aurait pu s’agrandir davantage pour laisser entrer les chansons certes un peu plus simples dans la forme, mais habitées par tout autant de force expressive. Voilà malgré tout que ce point est vite mis de côté à la fin du concert lorsque retentit le morceau le plus entraînant de sa discographie : « Les Chants de Maldoror », issu du deuxième album. Sur le côté gauche, certaines personnes sont montées sur scène pour répondre à l’appel forcé de la danse. Quelle autre solution face à une telle évidence maitrisée à la perfection ?

En rappel, « La Mort de Pierre » servira à ne pas oublier que nous sommes là dans un cirque particulier, et que pour être consolé, il s’agit avant cela de ressentir une vive émotion douloureuse. « C’est la mort de Pierre qui nous rapprochera ». Le Trianon a de quoi l’être et repartir vidé de ses maux. Léonie Pernet a franchi un cap et la suite ne peut aller que vers le haut tant on sent derrière une sincérité dans la démarche et un talent dans la mise en œuvre. Quel cirque !


Si la période de fin d’hiver voit naître un retour chaleureux des concerts un peu partout en France – mais cela pour combien de temps ? – il est de ces dates qui nous font frémir un peu plus que d’autres. L’attente du mercredi 09 mars, marqué par la venue de Thurston Moore (Sonic Youth frontman) à Petit Bain, me démangeait d’excitation. Petite salle pour un grand monsieur du rock. Quoi demander de mieux ?

Son dernier album date de 2020 et s’intitule By the Fire. A l’époque de sa sortie, j’avais dit de lui qu’il était une grande œuvre à allure de fresque. Aujourd’hui, je continue à l’écouter régulièrement et mon avis reste inchangé.  Encore davantage, je le considère comme faisant partie de mes albums fétiches, comme doté d’un pouvoir d’ensorcellement. Son précédent album Rock N Roll Consciousness (2017) ne se situe vraiment pas très loin derrière. Au point de faire de leur créateur l’artiste qui me touche très certainement le plus en ces temps. Son évolution remarquable fait de son œuvre actuelle un sommet. Maitrisée et unique en son genre, cette musique est à la fois la plus douce et la plus déchaînée du paysage rock.

Et voilà donc qu’après deux années à l’écouter et à la réécouter sans que jamais la moindre forme de lassitude n’ose faire apparition, Thurston Moore est de retour en France pour la faire vivre en live. Non seulement à Paris, mais aussi dans d’autres villes comme Toulon (12 mars), Grenoble (13 mars) et Lyon (14 mars).

 

LICE ouvre le bal

C’est dans le cadre de sa tournée mais aussi de l’ouverture du premier jour du festival « How to Love » à Petit Bain que Thurston Moore s’est produit dans la capitale. Pour l’accompagner, le groupe Lice ouvrait la soirée. Groupe britannique originaire de Bristol, ils sont cinq jeunes gens à l’allure bien sympathique, fabricants d’une musique quelque peu particulière mais presque toute aussi charmante que leur dégaine. Le chanteur ressemble à un mix entre M le Maudit et Dr. Folamour. Son énergie débordante et les effets sur sa voix le transforment en véritable personnage de film, dont on ne sait pas dans quel camp, celui des gentils ou celui des méchants, il se trouve. Peu importe, le rock que le groupe propose, plutôt bastonneur,  a de nombreuses qualités. D’abord parce qu’il ne tombe dans aucun cliché, surtout pas celui du « qui fera le plus de bruit ? », mais aussi parce qu’il navigue entre plusieurs genres, allant même piocher parfois du côté stoner, au point de ne pas pouvoir définir très clairement ce à quoi on a assisté. Et souvent, c’est bon signe. Un seul petit reproche néanmoins : savoir terminer ses chansons est un art qui se révèle lorsque les artistes ne savent justement pas le faire. Là, ça ressemblait un peu aux chutes des phrases de Valérie Pécresse. A la seule différence que chez Pécresse, il n’y a pas que la fin qui est merdique…

Photo : Léonard Pottier

Thurston Moore, esprit tranquille

Pour Thurston Moore, Petit Bain est plein à craquer. Voir un tel géant dans une si petite salle est un privilège. Il est venu avec son groupe, le Thurston Moore Group, celui avec lequel il a enregistré ses derniers albums, et notamment composé de Debbie Googe, la bassiste de My Bloody Valentine.  C’est tous ensemble qu’ils font des merveilles, doués chacun d’immenses qualités techniques sur leurs instruments respectifs. A coup sûr, cela va être un mélange détonnant.

Quand la troupe arrive sur scène, Moore parait tranquille. Il regarde ses feuilles pendant de longues secondes, comme pour faire durer l’attente. En réalité, il prend simplement son temps, tandis qu’un sample passe derrière. Il se dirige ensuite vers sa guitare. Toujours tranquillement, il la branche. L’attente devient insoutenable, surtout lorsqu’on sait ce qu’il nous prépare. Cette attitude de scène est aux antipodes de celle habituellement associée aux stars. Moore n’est pas dans un jeu, il est lui-même. Sa musique est le reflet de sa personnalité rêveuse. Silence ! Des notes sont enfin jouées.

 

UNE OUVERTURE AUX PORTES DU CIEL

Le concert est entamé avec « Locomotives », longue tirade d’une quinzaine de minutes. Elle est une parfaite introduction, grâce à sa construction évolutive. Comme souvent chez Moore, on part d’un grincement de cordes répété avec vitesse. Rien de forcément fabuleux pour l’instant. Mais on sait très bien que tout est question de temps. Sa musique est en perpétuel édifice. A ces premiers grincements viennent s’ajouter d’autres grincements de cordes répétés de la même façon (un deuxième guitariste est présent), et cela tout en longueur jusqu’à produire une sorte de mur de son. Dès lors ce cap franchi, impossible de dire de dire d’où celui-ci provient, étant donné qu’il semble être tout autour de nous, après avoir empli totalement la pièce. Comme une hypnose, cette pratique sonore perturbe notre rapport à l’écoute. Par couches empilées, le groupe tisse progressivement une toile d’araignée sonore.

Puis tout à coup, au beau milieu de cette transe hallucinatoire ayant eu raison de nos sens, la lumière surgit. Elle prend la forme d’une mélodie, très vite suivie d’une voix, celle de Moore, toujours aussi gracieuse. Cette rupture de ton est l’essence même de l’œuvre actuelle du chanteur. Elle agit comme un retour abrupt au réel, dans une confusion et stimulation des sens. C’est un électrochoc réconfortant puisque soudain vient quelque chose à quoi se raccrocher. L’expérimental laisse place à une musique de repères à laquelle on a davantage l’habitude. Mais bien que faisant office de rupture, elle agit dans la continuité. C’est d’ailleurs dans cet ensemble là que ce morceau d’ouverture prend toute son ampleur. La deuxième partie est alors d’une totale réjouissance, jouant sur les harmonies du chanteur qu’on lui connait si bien, et dont lui seul a la recette. Cela renforcé par une puissante précision sonore. Quand son acolyte guitariste entame le solo, on croirait déjà avoir atteint la perfection. Ce n’est pas donc un mythe : ce qu’arrivent à faire l’artiste et son groupe sur scène relève du génie. Ce début de live est captivant.

 

Savoir-faire d’un maître 

Viennent ensuite plusieurs morceaux du dernier album : les sublimes « Breath » et « Siren », mais aussi les plus pêchus « Hashish » et « Cantaloupe ». Sur scène, By the Fire gagne en éclat. Les versions sont très proches de celles de l’album mais cela ne dérange pas puisque dans cette musique de toute manière, rien n’est vraiment calculé. C’est un rock libre, insoumis, à l’attitude sereine mais attentive, et aux cheveux longs, faisant avant tout appel à l’instinct et l’échappée. Tellement même que sur « Haschich » se fait soudainement sentir une bonne odeur de beuh. Comme si la musique était si puissante qu’elle pouvait modeler le réel.

Moore demande à partager, il semble vouloir fumer un peu. C’est en fait une blague puisqu’il ne fait que prendre sa bouteille d’eau pour s’abreuver, laquelle il lance ensuite à une personne du public : « ça fait des années que j’ai pas jeter de trucs dans la foule ». C’était honnêtement un peu plus drôle en vrai.

Le concert se poursuit avec la même intensité. Le jeu de guitare est digne de celui d’un maître. Pas forcément sensationnel mais assez obsessionnel pour rendre le public halluciné.  Tout est réussite et il est enfin satisfaisant de faire face à quelque chose de plus fort que nous, contre lequel il ne s’agit pas de lutter mais avec lequel il est si bon d’être emporté. Les grands ne sont pas des grands pour rien. Parfois même avec l’âge, ils sont encore meilleurs. Moore réserve pour la fin les « tubes » de son album The Best Day sorti il y a 7 ans déjà. « Speak to the Wild » et « Forevermore » seront joués. Deux grands morceaux à la carrure suffisante pour clôturer le concert en beauté. « Forevermore » est dédié à la journée internationale des droits des femmes nous dit Moore. « I love you forever more ». Il faut avouer que c’est un peu le sentiment qui nous habite en repartant.

 

Après 1h15, je ressors de Petit Bain trempé d’émotions. Prochaine étape : enfin donner à Sonic Youth l’intérêt que j’ai trop souvent eu du mal à lui porter ? Car parfois, faire le chemin à l’envers peut être aussi la bonne solution. Quoi qu’il en soit, à partir de ce jour, je prierai régulièrement pour que ces guitares ne trouvent dans mes oreilles jamais le repos éternel.