Le coup d’envoi Festival Fnac Live Paris était donné le 28 juin. Comme chaque année l’évènement entièrement gratuit profitait d’un cadre de rêve pour se déployer : celui de l’Hôtel de Ville de Paris. Au programme, une grande scène, des concerts et Nôtre-Dame de Paris en fond, comme cadre bienveillant.
A chaque édition, le décors fait rêver et déploie ses beautés pour faire la part belle à la scène musicale populaire comme les nouvelles pépites qui promettent de se faire têtes d’affiches dans le futur. A la différence pourtant des précédentes éditions, le Fnac Live cette année, n’aura pu se déployer que sur deux journée. La troisième s’est vue annulée en dernière minute sur fond de contexte sociale et d’émeutes ayant gagnéesParis (entre autre de nombreuses autres villes) pour protester contre le décès de Nahel et les violences policières. Dans la nuit du second jour de nombreux brasiers se sont allumés, représentation de la colère ressentie, certains même sur l’avenue de Rivoli, à quelques mètres seulement du festival. Alors au détour de tout ça : la mort insensée et inexcusable d’un jeune homme, les revendications, les violences policières, les commerces détruits et la souffrance de ceux qui ont tout perdu, on pourrait presque se demander à quoi bon parler de concerts ? Et là serait l’erreur fondamentale. On doit toujours, quoiqu’il arrive parler de culture. La culture et la musique sont autant de vecteurs d’union que de terreaux aux révoltes, elles interrogent, portent et instruisent. Un évènement gratuit comme le Fnac Live est une excellente manière de l’apporter à tous, de faire table rase des privilèges, de partager la fête et l’instant. Il y est question d’unir et rassembler. Il est donc temps de parler des artistes qui auront su marquer ces deux belles soirées, en ayant une pensée pour ceux qu’il n’aura pas été possible de voir. Et de prouver une fois de plus que la culture est l’une des réponses (certainement pas l’unique) pour guérir une société.
la musique pour réparer les coeurs
Il n’est de guerre sans coeurs brisés qu’il ne faudra un jour consoler. Folk et douceur seront accompagner les douleurs. Et c’est bien le programme qui nous est ici proposé. En effet, l’évènement profite d’une double programmation, celle de la grande scène sur le parvis et la seconde intimiste dans le salon de l’Hôtel de Ville. Pas de surprise à ce niveau, le cadre y est, autant se le dire, exceptionnel. Peintures, dorures, longs couloirs, moulures aux plafonds, sculptures, le décors est à couper le souffle. Là une partie de la programmation se joue en petit comité. Des chaises y ont été dressées. De quoi profiter de la musique en se concentrant pleinement. Warhaus est le premier à se prêter au jeu. De retour l’an dernier avec son album « Ha ha Heartbeak », le musicien signait l’une des oeuvres les plus marquantes de 2022. Normal lorsqu’on le connait. Seconde moitié de Balthazar, le musicien émérite sait composer. En l’occurence pour parler de rupture sur cet opus. Mais pas seulement pour pleurer une séparation subie. Ecrit d’un bloc à Palerme en trois semaine, l’opus coloré, avait aussi été écrit avec l’envie de reconquérir l’être aimé. Topo, c’est une véritable pépite aux sonorités 70’s qui en sort, intemporelle et emplie de séduction. Sur scène, Marteen Devoldere n’est pas venu seul. Il est accompagné de ses musiciens brillants. Oui brillant, parce que comme avec son groupe Balthazar, le jeu est d’une précision millimétrée. Si l’acoustique de l’espace, qui n’est pas une salle de concert est le seul reproche que l’on fait au cadre, le travail sur le son a été calibré. Le chanteur est l’incarnation de l’élégance scénique, point d’artifices, seule la musique vient à compter. Sa voix grave prend au tripes et se pose en maitresse. Les instruments se déploient et sont même un temps abandonnés en solo par Marteen qui préfère leur laisser la part belle. L’instant est carré, millimétré, soigné. La musique en est presque mathématique tant le soin est porté à la précision de son rendu. L’interprétation de « The good lie » issu de « We fucked a flame into being » est un temps fort de la soirée. Le nouvel opus est loin d’être oublié pour autant. Warhaus rit des coeur brisés mais sait aussi les sublimer et les soigner. Voilà ce dont nous avons besoin.
Tout comme du show de Beck. Quelle belle proposition que celle-ci. Là où Warhaus se joue des coeurs brisés, Beck lui, est immédiatement associé à son immense titre « Everybody’s gotta learn sometimes » issu de la bande originale du chef d’oeuvre « Eternal Sunshine of the spotless Mind » de Michel Gondry. Titre au combien évocateur pour traverser les temps actuels. L’apprentissage collectif serait le bienvenu. Le musicien ne manquera pas d’interpréter ce morceau issu de son immense répertoire. Le géant Beck sur scène se livre à nu, seul derrière sa guitare folk. Point d’artifices pour celui qui rencontrait le succès en 1994 avec le désormais culte « Loser ». L’instant est à la communion, l’introspection et les notes unissent une assistance hypnotisée par la présence de ce très grand monsieur de la musique.
Danser pour unir les corps et libérer les esprits
Pas besoin que la musique soit douce pour qu’elle rassemble. Elle peut aussi libérer les corps en plus des coeurs. En terme de programmation dansante, le Fnac Live a de quoi flamboyer. Et en jouant sur la diversité. Qu’il est beau au cour des sets qui s’enchainent de voir les festivaliers vissés sur les épaules de leurs amis, les regards joyeux, les corps qui bougent et se rapprochent, les pas de danses calculés et ceux faits pour amuser.
Avec son leader vêtu de rose, Hot Chip et sa synthpop britannique sait servir la fête. En tournée dans le cadre de la sortie de son dernier opus « Freakout/Release » paru en 2022, le combo balance franchement. Le tire « Flute » issu d’ « In our heads » sait toujours mettre le public d’accord même s’il prend une saveur bien particulière en live. Il est l’amorce d’un concert franchement bien écrit et accrocheur. Tout passe par le jeu des instruments qui donne au parvis un visage de grande fête populaire. Il faut dire qu’Hot Chip joue sur la simplicité et préfère enchaîner les titres que de trop en faire côté scénographie.
C’est Polo & Pan qui clôture la folle nuit du mercredi. Habitué au festivals, le combo distille son électro populaire et ses titres connus qui font osciller les corps. Loin de se contenter d’un simple DJ set, le groupe vient accompagner de sa chanteuse qui donne au live une dimension supplémentaire. « Ani Kuni » souffle son brin de légèreté sur l’instant et sa comptine quasi enfantine. C’est d’ailleurs ce qui caractérise le mieux l’âme d’une formation qui joue avec des codes colorés et sent bon l’été dans tout ce qu’il a de plus candide. Sans pour autant être simplistes, les titres ont un naturel qui fait mouche et entraînent dans le chemin cartoonesque qu’ils évoquent. En milieu de set « Canopée » s’inscrit comme un temps fort sur lequel le public chante bien volontiers. On est loin de Paris, loin des problèmes, quelque part où le bonheur est simple, à portée de main.
Le jeudi, là aussi en clôture, le super trio Boombass X Etienne de Crécy X DJ Falcon sera la dernière fois qu’il sera possible de danser face à Notre Dame de Paris. L’instant est d’autant plus magique qu’il se vit sans avoir conscience qu’il marque une fin. Le son y est plus intense et porté par de grosses basses que celui de Polo & Pan. Etienne de Crécy est un caméléon de l’électro qui sait se prêter à tous les jeux, ce qu’il prouve encore ce soir. Vitalic disait lors de notre rencontre un an plus tôt dans le même cadre que faire la fête est politique. Se donner le droit de faire la fête plus précisément. La fête n’a pas un visage mais une multitude. Elle regorge d’instants vécus individuellement mais qui s’inscrivent dans un tout collectif. Elle est une réponse à tout ce qui vise à séparer et pointer du doigt.
Du rock, des rocs
Le jeudi, Benjamin Biolay est l’une des têtes d’affiche de la soirée. Le musicien profite d’une énorme notoriété qui fait les lettres de noblesse d’une chanson française intemporelle. Avec son timbre rauque, le chanteur profite d’une aura à la Dutronc. C’est d’autant plus vrai que le chanteur ne quitte pas ses lunettes de soleil vissées sur son nez. Côté set list, le musicien offre 10 de ses plus gros succès au public du Fnac Live. « Parc Fermé », « Rends l’amour! » et bien sûr en conclusion « Comment est ta peine ? ». Bonne question, en reflet de ce qui se passe hors les murs. Certaines peines se muent en colère qui vient tout dévaster sur son passage. pour ce qui est de sa prestation, le chanteur divise. Certain.es conquis.es chantent en choeur, d’autres lui reprocheront un set trop statique dans lequel il est difficile d’entrer.
Johnny Jane offre une parenthèse de légèreté au milieu d’un programme dense. Ses mélodies sont colorées et ont pour elles une douceur entre mélancolie de mélodies écrites à une période plus lumineuse de l’histoire et modernité plus électro. Une touche à la Lomepal, dans son flow, séduit forcément un public très sensible aux compositions de celui qui est aujourd’hui une super star. A l’opposé pourtant du chanteur, toute gravité est exclue des mélodies composées par le chanteur. Pas de ses paroles en revanche. Il fait partie des nouveaux noms poussés par l’évènement.
Pour mettre tout le monde d’accord vient l’heure des très attendus Franz Ferdinand. Les écossais de Glagow les années passant n’ont rien perdu de leurs capacités. Au contraire, la voix de son chanteur emblématique, Alex Kapranos, est toujours une aussi grosse claque sonore. Elle est aussi précise que grave, juste et semble avoir donné le ton d’un mouvement post punk qui ne prendra de l’heure que des années plus tard dans le même terreau britannique. Habitués de la scène, les compères emplissent pleinement leur espace scénique et sautent dans tous les sens. Les très gros tubes s’enchainent volontiers « The Dark of the Matinée », « No You Girls » ou le culte « Take me Out » qui font mouche comme à chaque performance de la formation. L’interprétation de ce dernier n’empêche en rien de poursuivre la soirée sur deux autres titres pour mieux finir sur « This Fire ». « On va vous mettre le feu ce soir ! » promet Kapranos. On pourrait voir une certaine ironie cosmique à cette phrase. Le rock est pourtant un cri de révolte, l’étendard d’une jeunesse passée et vecteur de progrès et d’avancements.
C’est le coeur serré qu’il sera impossible de raconter une troisième journée qui n’aura jamais lieu, comme un rendez-vous qu’on attendait en comptant les jours. De ceux que l’on est impatients de chérir parce qu’il est bon de retrouver les visages qui comptent dans des instants portés par des mélodies. Parce qu’il est bon de découvrir dans des foules des visages inconnus souriant, se laissant aller à apprécier la musique et à communier. Peut-être aussi parce que les rendez-vous manqués ont été trop nombreux ces dernières années. La véritable légèreté, les temps apaisés n’existent certainement pas, ils sont des instants orphelins au milieu du reste. Ces instants sont d’une importance centrale, ils ouvrent les dialogues avec bienveillance, portent des messages forts sans les forcer. Il faudra maintenant apprendre à s’interroger sur ce qui se passe hors de cette enceinte privilégiée, cette bulle d’oxygène.