CocoRosie, un nom double comme des mots doux susurrés. Une lettre d’amour à deux sœurs, séparées puis inséparables. Bianca et Sierra Casady, prêtresses de la douceur aux sonorités hybrides fêtaient en 2024 les 20 ans de leur incroyable premier album : « La Maison de Mon Rêve ». Un chef d’œuvre, adulé par la critique qui a donné naissance à 6 petits frères, tous aussi beaux et délicats que le premier né. Ces 20 ans sont l’occasion de faire un tour dans leur parcours hors normes et d’en parler. Mais aussi de revenir sur un Alhambra à Paris plein à craquer, théâtre d’une prouesse musicale inoubliable.
CocoRosie : qui êtes vous ?
CocoRosie, c’est donc le duo formé par les deux américaines Bianca tendrement surnommé Coco par ses parent et Sierra, Rosie donc. Sierra née dans l’Iowa, Bianca à Hawaï. Alors qu’elles sont âgées de 5 et 3 ans, leur parents se séparent forçant les filles à vivre elles aussi séparément. L’une comme l’autre ne finira pas l’école. Leurs parents préfèrent en effet les confronter au monde réel pour leur permettre d’en apprendre plus sur l’art. Il faut dire que leur mère, Christina Chalmers est elle-même artiste et chanteuse. Avec ses origines native américaine et syrienne, elle emmène sa fille Sierra avec elle dans ses nombreux déménagements : Californie, Nouveau-Mexique, Arizona … les paysages défilent. De son côté Bianca vit avec son père, un fermier de l’Iowa. Il lui fait visiter des réserves amérindiennes et l’entraîne à prendre part à des quêtes de visions.
Quand Sierra a 18 ans, elle déménage à New-York. De quoi se plonger pleinement dans son art. Et puis, elle vient à Paris et emménage dans le quartier le plus artistique de la capitale et sans aucun doute son plus magique : Montmartre. Elle souhaite alors faire carrière en tant que chanteuse d’opéra et étudie au Conservatoire Supérieur de musique de Paris. Mais c’est aussi dans ce quartier que naîtra la légende et le premier album des deux sœurs. Le quartier qui aura vu naître la magie.
La raison de nos rêves
C’est donc en 2004 que les sœurs qui se sont fraîchement retrouvées composent l’inclassable perle « La Maison de nos rêves ». Toujours prêtes à défier tous les codes, elles y créent un univers oniriques où les voix hors normes s’harmonisent avec subtilité et beauté. La ténor Sierra et la talentueuse Bianca semblent y marcher sur la pointe des pieds et convoquent l’âme de l’enfance. Pour créer ce monde imagé où la musique transcende les notes elles ajoutent des instruments improbables à leurs compositions : des bruits d’eau, de casseroles, de jouets pour enfants viennent compléter la flûte, la harpe, les percussions et le beatbox auxquel excelle Bianca. L’album a également la particularité d’être enregistré dans la salle de bain de la chambre de bonne de Sierra, sur la butte Montmartre. « Good Friday » est l’un des titres les plus marquants de cette pépite. Avec son incroyable délicatesse et son étrange beauté, il a de quoi faire rougir une autre grande de la musique : Bjork. Pas étonnant donc de le retrouvé synchronisé sur une publicité du géant de la mode : Kenzo.
Rangé dans la catégorie folk psychédélique, l’album séduit la critique et se fait un petit public. Néanmoins les cases des genres ne peuvent que limiter le rêve de CocoRosie. La suite leur permet d’ailleurs d’ouvrir leur univers magique au Hip Hop en ajoutant à leur line-up le beatmaker Tez dès l’album « The Adventure of Ghosthorse & Stillborn ». Cette alliance avec le registre vivra d’ailleurs son apogée sur l’immense album qu’est « Put the Shine On », trésor inclassable sorti en 2020. Un improbable mélange qui porte divinement son nom tant il met de la lumière dans la beauté de compositions obscures, toujours optimistes mais ombragées. Il faut dire que cet opus, composé à Hawaï a été enregistré alors que la mère des musiciennes, malade, était en train d’éteindre à petit feu. Les sœurs savaient qu’il lui restait 6 mois à vivre et ont choisi de mettre de la lumière dans toute la douleur qu’elles traversaient. Une prouesse technique dont les sentiments et leur rare intensité transpercent les cœurs . Il incarne à lui seul la compréhension totale de courants qui ne se rencontrent que trop rarement. En toutes ces années les Casady n’ont pas perdu une miette de talent et n’ont jamais eu l’outrecuidance de se répéter.
« Reines »bow warriors
Très créatives, Bianca et Sierra enchaînent les sorties dont l’immense maxi « Rainbowarriors » sorti en 2007. Il faut dire que les musiciennes transportent leur univers bien au-delà de la musique. Connues pour toujours arborer une moustache dessinée sur le visage, elle portent également des immenses robes qui accentuent leur côté bohèmes. Bianca par ailleurs se produit régulièrement en tenue de drag. Ouvertement queer, elle confiait au média AfterElle ne pas comprendre la surprise des médias lorsqu’ils apprennent qu’elle est gay. D’ailleurs concernant la moustache, Bianca développe en expliquant qu’elle n’est pas l’exploration d’un genre. Il s’agit pour elle d’une évidence : celle de se tourner vers la nature pour mieux s’intégrer dans un paysage. Leur style dès leurs débuts allait d’ailleurs en ce sens, convoquant nature et fantaisie pour mieux s’inspirer des fées et des gnomes.
20 ans, à l’Alhambra !
C’es le 8 mars qu’ont choisi nos fées pour célébrer dans la ville qui l’a vu naître les 20 ans de leur premier album. Il fallait arriver tôt. Pas de première partie, CocoRosie se présentait sur scène dès 20 heures en compagnie du pianiste Gael Rakotonndrabe que l’on retrouve également sur leur dernier EP : « Elevator Angels ». Pendant une heure et demie, les magiciennes ont choisi d’interpréter en toute sobriété les titres issus de « La Maison de Mon Rêve » mais aussi quelques pépites sélectionnés dans leur discographie. Le public assis, a été invité à vivre le cœur au bout des lèvres et les yeux emplis de larmes, un moment qui touchait à l’extase religieuse. Les quêtes de visions auxquelles était conviée Bianca dans son enfance ont-elles eu raison d’elle ? Toujours est-il que Sierra, aux commandes laissait transparaitre son passé à l’Opéra avec aisance, rendant chaque titre toujours et encore plus lyrique. La voix de sa soeur, en parfait écho venait sublimer une performance à couper le souffle. Aucun artifice n’était d’ailleurs de la partie. Pas de décors, d’auto-tune, d’arrangements, les voix des deux soeurs, aussi hallucinantes soient-elles profitent de leur beauté naturelle. Au piano, un musicien de génie, en costume blanc venait sobrement habiller une prestation digne des plus grandes performances. Opéra-pop accessible, pourtant réservé à un écrin silencieux, captivé, l’instant était à la hauteur des années de magie que les tendre Coco et Rosie ont su offrir. Quelques mouvements du bout des doigts servaient de mise en scène alors que derrière leurs immenses robes rouge et blanches, les inséparables offrait des sonorités plus légères que le chant des moineaux. Seul bémol à un moment qui transcendait l’espace temps pour faire dévoiler un conte de fées éveillé : la salle trop pleine dans laquelle il était difficile pour celles et ceux arrivés tardivement de trouver leur place. Rien qui n’effacera la beauté de la seule chose qui a pu compter : la musique, celle qui invite toutes les époques, du classique au hip hop à se rencontrer en un seul lieu et un seul temps comme le veut la tradition des pièces de théâtre classiques.
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