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août 2024

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The Offspring : the former kids are alright

The Offspring @ Rock en Seine 2024 - crédit : Louis Comar
The Offspring @ Rock en Seine 2024 – crédit : Louis Comar

Il est un lieu où l’on a toujours 15 ans, inlassablement, et ce même année après année. Cet espace de parfaite régression se situe sûrement dans la musique que l’on écoutait à cet âge là. Pourtant, il parait d’autant plus vrai pour tous les groupes qui ont fait la grande époque du post punk. En la matière The Offspring était déjà l’un des darons de cette grande famille aux cheveux colorés et aux riffs saturés. Et comme pour les aînés que l’on regarde toujours avec respect, leur présence semble inévitable et indiscutable. Plus bière de Proust que madeleine, la formation se présentait pour la 4ème fois de ses propres dire sur la scène de Rock en Seine. « Tu y crois Dexter ? » lui lance d’ailleurs amusé son acolyte à la guitare, Noodles, pour les intimes. Puisque avant il était de bon ton de se donner des noms de scène au sein d’un groupe. On pourra prendre tout le recul de l’âge, celui que confère des centaines de lives vus, rien n’y fait, le charme opère toujours. Chaque apparition du groupe sur scène fait toujours mouche, faisant de nous des pantins prêts à reproduire tous les gimmicks adorées du rock show idéalisé. Les premières minutes de « Come out and play », introduction parfaite suffisent à faire bondir et rebondir. La foule ne s’y trompe pas alors qu’elle se lance immédiatement dans un mélange entre pogo et danse à la sauce punk, têtes qui se balancent dans tous les sens. Evidemment, le groupe connait son public de festival, venu se mettre les très gros tubes d’ « Americana » et consorts dans les oreilles.  Et c’est bien un rouleau compresseur de gros singles qui nous attend. « Want you bad » qui figurait sur le BO d' »American Pie 2″ est joué en troisième position. Et quel joie de chanter à nouveau dessus, comme de citer le titre de ce film d’un autre temps aussi culte que complètement obsolète. Dexter et Noodles sont particulièrement causant, échangeant l’un avec l’autre en des phrases à l’intonation de showmen, G.O d’un soir. Les voilà qui entament bien rapidement des « Hey ho let’s go » empruntés aux Ramones pour « Blitzkrie bop ». « On a affaire à un public qui aime les gros mots ici ! » s’amuse à clamer Noodles. Et chaque mot permet de l’assistance de se lancer dans des « hooo » de plaisir distincts. Les confettis sont balancés dans la foulée alors qu’une pluie de titre s’apprête à se succéder. « Bad Habit », « Why don’t you et a job ? », « Pretty fly (for a white guy) » et même « The kids aren’t alright », tous nos vieux amis sont là. Et qu’il est bon de chanter avec eux. Quittant nos corps pour entrer dans une transe collective, un monde sans âge où les 4 jours de festival écoulés ne font plus mal aux jambes. Le set s’achève sur « Self Esteem » issu de « Smash » sorti en 1994. Et rien que l’évocation de ce nom confère en une prise de liberté totale, le souvenir de tous les possibles et la rebélion qui colle à l’espoir de la jeunesse. Quelques derniers sauts dans les airs et il faudra revenir au présent. Il n’est pas si mal finalement, on est encore en plein festival et puis au moins on a l’âge légal de se payer une bière !

LOVERMAn : DARLING Boy

Loverman - @Pénélope Bonneau Rouis
Loverman – @Pénélope Bonneau Rouis

À 17h30, une petite foule se presse devant la scène Firestone. Certains semblent avertis de la tornade qui s’apprête à leur tomber dessus (et de la pluie, tant les K-way et les cirés sont de sortie), d’autres semblent avoir atterris là un peu par hasard, au détour d’un bosquet ou d’une cascade. Loverman, que l’on ne présente plus, s’apprête à monter sur scène… 17h31, l’amoureux se fait désirer. Puis, un cri de surprise dans la foule, un deuxième, un rire… peu à peu, la foule se tourne vers ce bruit. Loverman se glisse entre les gens, assuré, sourire fier. Il grimpe sur la barrière, bondit sur la scène et hurle « Here comes your Loverman ! » et dans une fanfare qu’il est le seul à gérer, débute sa performance tantôt clownesque, tantôt théâtrale, toujours passionnée. En quarante minutes, Loverman enchaînera les morceaux issus de son premier album, Lovesongs. Le live est une manière pour le chanteur de constamment revisiter ses morceaux, laissant libre cours au moment pour transformer son oeuvre initiale. Des rugissements parsèment soudainement sa folk en clair-obscur. À son habitude, dès le deuxième morceau, Loverman plonge dans la foule sous les regards amusés des fidèles et ceux mal à l’aise des novices. Tambourin en main, éclair dans le regard, il harangue une foule qui grandit de minute en minute et qui, à la manière d’une Mer des Joncs, se scinde en deux pour mieux laisser passer son guide. Il y descendra trois fois dans cette foule adorante, intriguée, attisée par un feu qu’elle peine à domestiquer. Un feu-follet qui court et saute et s’éloigne avant qu’on ne réussisse à le saisir. Les quarante minutes sont passées, on n’a pas vu les aiguilles glisser, malgré les questions redondantes de Loverman : « Quelqu’un a l’heure? » Oui, mais on ne veut pas savoir. Il est 18h10, Loverman laisse son micro à quelqu’un dans l’assistance, il se glisse dans la foule, trombone à la main et disparait. « Euh, il est où? » demande le porteur de micro. Quelques instants plus tard, Loverman est retrouvé à plusieurs mètres de la scène Firestone, à jouer du trombone près de la scène du Bosquet.
Funambule et saltimbanque, insaisissable, il disparait à nouveau. 

Kae Tempest : It was grace

L’art c’est la connexion. Celle qui unie tout le monde en un cercle. C’est sur cette idée que s’ouvre le set de Kae Tempest. L’artiste se présente sur scène et adresse la parole longuement à l’audience, dans ce qui sera, prévient-iel, son seul temps de parole. Parler l’obligerait à sortir de son art, à s’extraire de la musique, hors la musique, parle plus que tous les mots du monde. Et qu’est-ce beau de parcourir le Monde pour communiquer de cette façon ! Point de décors travaillé au programme, juste un fond, simple. Et la beauté d’un texte récité sous forme de spoken word avec une intensité qui transperce les âmes. « Votre solitude est le symptôme, pas le mal » dira-t-iel plus tard sur l’un de ses textes-poèmes. En cette heure de show, ce mal disparait entièrement. Face à un public venu en nombre malgré sa présence sur la petite scène du Bosquet, Kae Tempest unit par des mots et repousse tous les maux. Mais iel sait aussi les décrire, les raconter pour mieux les conjurer. Il faut dire que le ton avait été donné dès les toutes premières notes de « Priority boredom », interprété en intro d’un set qui ne permettra à aucun moment de respirer. Et puis vient le moment de « Grace », récité en immense majorité a capella. « Make love, let me be love. Let me be loving. Let me give love, receive love, and be nothing but love » scande l’immense musien.ne, et sous ses mots nous ne sommes tous.tes qu’amour. Le souffle court, seule une question persiste, comment une intonation et quelques notes susurrées peuvent à ce point ouvrir les coeurs ? C’est la toute la grandeur de l’oeuvre de Kae Tempest et de son immense album « The Line is a curve » dont la perfection du titre n’a de cesse d’émouvoir. Il y a tant à dire sur ce moment bercé par le soleil qui doucement se couche, l’air rafraîchi par la pluie de la journée et les visages tournés, transcendés, et baignés d’espoir. Bien au delà de la musique, de la simple scène, l’artiste est le vaisseau d’émotions à fleur de peau, iel les portent pour nous, les rend plus faciles à accepter. La beauté et la colère peuvent cohabiter, on peut s’oser à les sentir sans être effrayer, sur scène, la route nous a été dégagée. Tout ira bien mieux maintenant. C’est une promesse, il suffit d’y croire. Et lorsque les yeux s’ouvrent après un moment instrumental, il est temps d’accueillir un nouveau titre, promesse d’un album à venir l’an prochain. Les au revoirs se font le sourire aux lèvres alors que l’air a été boulversé. « I saw light » chante-iel avec Grian Chatten, eh bien nous aussi.


Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar

Lana Del Rey : le couronnement del Reine à Rock en Seine 2024

Lana Del Rey, il avait suffit de l’évocation de son nom à l’hiver dernier, promise…

Carlos O'Connell de Fontaines D.C. @Pénélope Bonneau Rouis

Fontaines D.C. : « Le rock est devenu un privilège » (Interview)

Difficile ces dernières années de passer à côté du tourbillon Fontaines D.C. Le quintet irlandais…

Loverman @ Pénélope Bonneau Rouis

Loverman : « Je suis en train de crier pour des années » (interview)

Lors du MaMA Music & Convention, nous avons eu l’occasion de discuter avec Loverman. Doué d’une…

Lana Del Rey, il avait suffit de l’évocation de son nom à l’hiver dernier, promise en tête d’affiche de Rock en Seine, pour faire tourner toutes les têtes. Reine d’une vision à part de la pop, la chanteuse iconique avait rempli l’intégralité du festival en un temps records. En seulement quelques clignements d’yeux et nombre d’aventures de vie, le 21 août était enfin arrivé promettant un show qui ne pouvait s’avérer que grandiose. Parfois la réalité dépasse les attentes. Ce sera le cas ce soir-là alors que le spectacle d’une élégance rare oscillait entre ode aux amours difficiles, grand messe puissante et communion peuplée de noeuds et de fleurs. On vous raconte.

Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar
Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar

Born to live

Les feuilles mortes jonchent déjà le sol du parc de Saint-Cloud. Où est passé l’été ? Pourrait-on se demander. Pour tout habitué.e de Rock en Seine l’évènement est synonyme de rentrée. De celles qui promettent les meilleures années. Ce mercredi, alors que le festival a commencé particulièrement tôt et promet 5 belles mais intenses journées, l’air sent ce parfum de renouveau. Il permet de faire un point sur une année écoulée, ses attentes, ses réussites, ses histoires, ses amours, ses ami.es. Et pour coller parfaitement à ce sentiment qui parfois prend l’allure de la nostalgie, souvent celle de l’espoir, il ne pourrait y avoir meilleur alliée que Lana Del Rey. Ses mélodies cinématographiques, leur beauté à couper le souffle qui co-habitent collectivement avec nous depuis depuis 2010 et la sortie de son premier album.

Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar
Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar

L’attente a déjà duré des mois mais il faut encore patienter un peu. Un demie heure environ sur la pointe des pieds ou collé.es à la scène. Les rumeurs présageant d’une arrivée en moto, comme à Coachella seront finalement démenties. Le retard immédiatement oublié lorsque Lana Del Rey fait son entrée scénique avec la légèreté d’une ballerine, volant presque dans les airs sur « Body Electric » qu’elle n’avait pas interprété en concert depuis 2018. Ce qui est vrai les premières secondes sera vrai pendant presque deux heures de concert, à chaque geste – méticuleux et gracieux- de la musicienne, les public réagit au centuple. Seulement ses moments d’euphories et les applaudissements viendront troubler le silence instauré sur Saint-Cloud. Chaque oeil, chaque oreille est tournée vers la scène.

Coco Del Rey, un parfum raffiné

Dans sa robe noire Coco Chanel, divine (la robe), la sublime Elizabeth Grant (elle aussi divine) propose un spectacle d’une rare sophistication. Les danseuses qui l’accompagnent tournoient sur un anneau géant telles des gymnastes et font tourner les têtes. De son côté, la musicienne choisit chacun de ses mots, chacun de ses mouvement avec autant de précision que de délicatesse. A elle seule, elle convoque l’image de la femme fatale du cinéma de l’âge d’or Hollywoodien. Sa douceur émeut, sa perfection cinématographique promet de vivre le live comme une photographie. Chaque minute est un instant figé qui pourrait être érigé en peinture. « Without you », « West Coast  » (du génial « Ultraviolence ») et « Doin’ time » défilent et sont suivis de quelques  » I love you so much » susurrés à toutes les oreilles attentives.

Vient le temps de cultissime « Summertime Sadness ». L’air qui s’est rafraîchit, l’été qui doucement s’endort, fait le plus bel écho au morceau. Impossible de ne pas penser aux premières heures de « Born to die », son lancement en 2012, l’effervescence  autour de l’album  mais aussi les critiques. Lana Del Rey était-elle sincère ? C’est une machine montée de toute pièce, elle a changé son style musical… disaient les mauvaises langues. La vérité est que Lana Del Rey, plus qu’un personnage est une oeuvre d’art à part entière. De la beauté de ses boucles qui retombent à l’immense classe de ses morceaux, de l’imagerie qui l’accompagne, à chacune de ses postures. Tout est pensée, calculé comme une performance, une entité plus qu’une simple chanteuse. La femme fatale, sensible et à la perfection d’un autre temps vient se frotter à une modernité indéniable et un grain de folie touchant. Des vidéos viennent accompagner la performance et peuplent le décors végétal qui abrite également en son sein un pianiste de génie.

Marcher sur l’eau

Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar
Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar

« Ride » est interprété puis l’immense « Born to die » sur lequel Lana Del Rey laisse le public chanter. Coté chorégraphies, les danseuses assurent la majeure partie du spectacle, la prêtresse de la soirée s’offrira quand même quelques acrobaties sur une barre de pole dance installée là et un moment spectaculaire en position allongée qui lui permet de flotter dans des eaux imagées. La foule en est certaine maintenant, la divinité Lana pourrait bien marcher sur les eaux. Son interprétation de « Chemtrails over the country club » ne faisant que renforcer cette certitude. Attentive à son public, désireuse de lui offrir un environnement sécurisé, elle interrompt son show par deux fois pour signaler à la sécurité des malaises côté public. Le démarrage de « Did you know there’s a tunnel under Ocean Blvd » en sera d’ailleurs retardé. Un morceau qu’elle adore chanter comme elle le dit, faisant la part belle à ses choristes qui excellent. Et on ne saurait dire trop de bien de cette incroyable prouesse qu’est l’album dont est extrait ce titre, son dernier né qui passe de la mélancolie au hip hop avec une grâce qu’elle seule maîtrise. L’indémodable Lana dont la modernité habite chaque titre.  Après un saut pour saluer « Norman Fucking Rockwell », l’icône américaine entonne son  titre le plus connu.

Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar
Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar

Psaumes et jeu vidéos

Il y a deux ans le domaine de Saint-Cloud accueillait un évènement mystique, la messe de Nick Cave. Prêcheur habité qui marchait sur les foules, redéfinissant le live et se hissant parmi les plus beaux moments d’extase dont on puisse avoir souvenir. Ce soir, Lana Del Rey offre un moment tout aussi spirituel, tout aussi puissant. Il est son pendant bienveillant face à un public où noeuds dans les cheveux et fleurs sont légion. L’interprétation de « Video Games » pourrait bien faire écho au « O Children » de Nick Cave. Il a du moins le même pouvoir fédérateur et il est aisé de se surprendre à avoir les larmes aux yeux. Il prend en ses dernières instants des montées lyriques à la beauté subjuguante. Un hologramme de la chanteuse prend son relais le temps d’un dernier titre, celui même qui permet de dire au revoir avant le rappel. C’est finalement sur « It’s just a burning memory » de The Caretaker que ce moment précieux comment un diamant se conclut. Et quel parfait titre pour se dire au revoir alors que le souvenir brûlant de ce concert à la mélancolie sublimée viendra hanter nos jours et nos nuits de l’année à venir que l’on souhaite aussi intense que ces premiers pas vers l’automne.

 

Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar
Lana del Rey à Rock en Seine 2024 @ crédit : Louis Comar

Rock en Seine se poursuivra jusqu’au 25 août au Domaine de Saint Cloud.


Christine and the Queens Rock en Seine @ Pénélope Bonneau Rouis

Rock en Seine J2 : King Christine !

Vendredi 25 août 2023 marquait la deuxième journée de cette vingtième édition de Rock en…

Billie Eilish @Rock en Seine - crédit : Louis Comar

Rock en Seine 2023 : Billie Eilish, wilder than ever

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Rock en Seine 2022 J-2 : Nick le parc de Saint-Cloud (report)

Une première journée intense et so british de passée au Parc de Saint-Cloud et voilà…

Il y a de ces pièces qui marquent au fer rouge de l’amour, qui sont des chants révolutionnaires pour la résilience et pour la colère. Des textes qui secouent et qui impressionnent comme l’ont fait Les Chatouilles et Les possédés d’Illfurth il y en a peu. Je découvre un peu tardivement ces deux œuvres mais depuis la reprise à Avignon du chef-d’œuvre d’Andréa Bescond (brillamment adapté au cinéma en 2018 et récompensé à Cannes), rien ne me semble plus important que parler de ces deux seuls-en-scène qui ont fait du théâtre la libération de la parole de victimes de pédocriminalité et de violences sexuelles. Les mots m’ayant longuement manqué, je mets fin au mutisme de l’admiration pour laisser place à la logorrhée de l’analyse. Sans prétendre être garant de l’inéluctable vérité, il s’agira ici pour moi d’étudier les similarités et les différences entre ces deux spectacles qui ne partagent pas uniquement leur Molière.

TW : Pédophilie, Pédocriminalité, Violence sexuelles

 

Seul en scène, face à soi-même

Les Chatouilles, Andréa Bescond
Andréa Bescond – Les Chatouilles

Les deux créations, celle d’Andréa Bescond et celle de Lionel Lingelser sont des seuls-en-scène contant la trajectoire de comédien.ne.s ayant subi des violences sexuelles, l’une durant son enfance, l’autre son adolescence. Les deux artistes évoluent tous deux seuls sur scène et interprètent la totalité des personnages du récit. Dramaturgiquement parlant, les flash-backs s’entremêlent à des scènes au présent avec brio. Il ne s’agit pas ici de questionner la dimension autobiographique de ces œuvres, mais bien d’appréhender la démarche artistique, brillante libération des corps et des esprits par la création d’un alter ego.

Témoignage à nu

Dans Les Possédés d’Illfurth (texte de Yann Verburgh), habitué aux costumes, aux masques et aux productions baroques évoluant entre effets-spéciaux et gigantesques scénographies avec son exceptionnelle compagnie du Munstrum Theatre (Zypher Z, 40° sous zéro), Lionel Lingelser met aussi bien son plateau à nu que lui-même. Aucun décor, aucun costume pour le comédien. C’est en jean et avec quelques accessoires à peine qu’Elios, son alter ego, évolue parmi les souvenirs incarnés. Il en de même chez Andréa Bescond. Pas de costume ou de décor, seulement quelques accessoires et un alter ego : Odette.

Les Possédés d'Illfurth au Théâtre du Rond-Point
Lionel Lingelser – Les Possédés d’Illfurth au Théâtre du Rond-Point

L’alter-ego théâtrale libère les mots

Ce qui est frappant chez Lingelser, c’est cette transparence dénotant de ses précédentes créations avec le Munstrum. Depuis de nombreuses années le comédien n’apparaît sur scène plus que vêtu d’un masque. Pourtant, il joue sans aucun artifice un rôle autobiographique par le biais d’un alter-ego. Singularité de la méthode pour le comédien dans Les Possédés. Chez Bescond, il y a aussi un alter-ego, ramené au présent par les chorégraphies de la danseuse et comédienne. Les deux artistes épurent la mise en scène pour donner de la place au texte et à l’émotion de leurs interprétations respectives. L’alter-ego théâtral, le personnage (persona signifiant étymologiquement « masque »), semble ainsi s’imposer comme le moyen pour les deux artistes de se confier devant un public, de libérer une parole qu’ils ont tant de temps enterrer au plus profond d’eux-même. Cette approche du personnage, l’autre que soi, comme libération du moi, est le dénominateur central de ces deux œuvres. Jouir de la possibilité du théâtre c’est jouir de la possibilité de raconter son histoire soi-même en même temps que de la faire raconter par un autre.

Lionel Lingelser parle de la pièce Les Possédés d'Illfurth

Thérapie de la poésie

Dans les deux pièces, il y a un temps pour la thérapie, la résilience, la légèreté et la force combative, mais aussi un temps d’état des lieux, de conscience de l’horreur du traumatisme. Odette a subi des viols à répétitions d’un ami proche de ses parents alors qu’elle n’avait qu’une dizaine d’années, Elios a été victime des agressions d’un partenaire de son équipe de basket. Une fois ces personnages adultes, le moment de la double-énonciation théâtrale est celui de la prise de conscience du traumatisme pour les comédien.ne.s et du récit d’une histoire pour le public. Loin de n’être que des histoires, les deux pièces sont les fondations de combats et de libération de la parole qui viennent frapper en plein cœur. Oscillant tous deux entre l’ humour, la poésie et l’horreur innommable que sont les VSS et la pédophilie, Bescond et Lingelser portent et embrassent le public dans leur parcours de résilience. Ils évoquent tous deux le chemin parcouru pour apprendre à vivre avec ce traumatisme.

Teaser de la pièce Les Chatouilles ou la Danse de la colère

Se ré-approprier

Chez Bescond, la danse, celle de la colère, est l’expression première, celle qui a précédé les mots. Le corps volé qui parle le premier. Sur scène, les deux moyens d’expression cohabitent et conversent pour expulser et expier les sentiments qui restent silencieux. Synthèse finale d’un long processus de colère, de guérison et d’appréhension d’une vie marquée au fer rouge. Un traumatisme ne s’oublie malheureusement pas, il se dompte et s’apprivoise, c’est ce que veut enseigner, Bescond avec force, militantisme et courage dans ses Chatouilles.

 

Andréa Bescond – Les Chatouilles

Trois coups, la parole s’ouvre

Pour Lingelser, la résilience est celle du théâtre. Le comédien métamorphe incarne sobrement celui qu’il a été et qu’il est encore aujourd’hui. Il retrace son histoire à travers une retrouvaille avec lui-même, sans masque, et sans décor, juste avec son jeu d’acteur, possédé par ce personnage d’Elios. Il incarne ce rôle, lui donne chair, ou bien est-ce ce rôle qui possède le corps de Lingelser ? Voilà aussi l’une des questions centrales de la pièce. Cette proximité des deux artistes avec eux-mêmes se bâtit main dans la main avec le public par le biais de ces alter-ego – personnages théâtraux faisant de l’art de Molière le biais d’une acceptation de soi et d’ouverture de la parole.

Quand parler change le monde

Ce sont deux monumentales claques que Les Chatouilles et Les Possédés d’Illfurth, du théâtre comme il est rare de voir. Andréa Bescond et Lionel Lingelser font de leur art l’alchimie poétique d’un traumatisme et bouleversent jusqu’à la chair l’auditoire. Chacun.e apprend à s’appréhender soi-même et apprend au public à avoir le courage et la force d’apprendre à vivre avec leurs traumatismes à travers des alter-ego fictifs seulement à demi-mot. Le théâtre, l’art de jouer à ne pas être soi-même, apparaît comme le poing fièrement brandit d’une victoire de leurs existences face à des agresseurs. Il est important de dire que ce sont des œuvres comme celles-ci qui changent le monde, qui changent les mentalités et qui libèrent la parole des victimes de pédophilie et de VSS. Andréa Bescond se félicitait d’ailleurs cette année, dix ans après la première de son spectacle, de voir de plus en plus d’hommes dans son audience. Car si le combat est encore loin d’être gagné, l’art reste et restera toujours le rempart contre la violence et l’oppression et ce sont des artistes comme Bescond et Lingelser qu’il est important d’avoir comme sœurs et frères d’armes.

Lionel Lingelser – Les Possédés d’Illfurth

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