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You : Penn Badgley (Joe Goldberg) Netflix © 2025

C’est officiel, la série Netflix You tire sa révérence  après cinq saisons. Une série en demi-teinte, parfois bancale, souvent géniale mais qui nous aura tenu en haleine depuis 2018. Adieu Joe Goldberg tu as hanté nos écrans, mais tu ne nous manqueras pas. Ce final est l’occasion de revenir sur la place de la série dans le paysage moderne. 

Depuis des siècles, le glauque nous fascine. Des jeux du Cirque à Rome, en passant par les exécutions publiques au Moyen-Âge aux podcasts de true crime, notre rapport au macabre n’a jamais disparu : il s’est simplement transformé. Aujourd’hui, les chaînes YouTube dédiées en sont la preuve ultime. L’humain aime le morbide et même si la pudeur nous fait détourner le regard, une autre partie mise sous cage, aimerait pouvoir garder le contact avec l’horreur de la réalité d’un meurtre. Culpabilité catholique ou morale systémique, le glauque dérange et doit être caché. C’est sûrement cette pudeur d’ailleurs, qui rend le sujet d’autant plus attirant.

C’est précisément cette tension que You capte et nous offre. Lorsqu’elle débarque sur Netflix en 2018, avec pour personnage principal un serial killer à la voix intérieure omniprésente, la série offre une expérience inédite : elle nous invite non seulement à observer le crime, mais à l’accompagner. On peut enfin assumer cette envie de regarder.  Ce n’est pas la première fois qu’une œuvre donne voix à un meurtrier — Le Silence des Agneaux, ou American Psycho l’avaient fait avant — mais You démocratise ce point de vue et le rend accessible au grand public, sur une plateforme aussi massive que Netflix, à peine un an après Me Too. 

L’entrée dans le psyché de Joe Goldberg est déroutante, dérangeante et… addictive, et pendant cinq saisons, on n’a cessé d’en redemander.

 

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hello, You.

Je suis tombée sur You quelques jours après la sortie de la première saison. Je devais avoir 16 ans, à peu près. Sur l’écran d’accueil de Netflix, le visage de Penn Badgley s’impose, brisant le quatrième mur pour me lancer un : « Hello there… ». Il est complètement terrifiant, mais le preview est tellement parlant que je n’ai pas besoin de lire le résumé. Je clique. Dans la série, le personnage de Joe n’est pas aussi inquiétant que le teaser le laissait croire. Il y est aussi beau que Penn Badgley l’a toujours été, il est attentionné et en plus il travaille dans une librairie à New York. On leur pardonne même presque les dialogues un peu gênants.

C’est ce qui fait le charme dissonant de la série : ça parle de meurtre, mais passé sous le coup de l’amour et de l’image littéraire,  le tout avec un filtre de caméra doux et un cadre « romantique ». Tout est en place pour entrer de notre propre chef dans la cage de Joe. Et en nous faisant volontairement entrer dans la cage dorée d’un monstre, la série nous rend à la fois complice et victime.

Folie à un qui se veut deux

Au fur et à mesure des saisons, la folie de Joe est de plus en plus terrifiante et incontrôlable. Même si on sait que c’est un assassin, on se laisse manipuler. Il a toujours une bonne raison. Il aime. En effet, si You nous attire si facilement, c’est aussi parce que le visage qu’elle lui donne est très séduisant.

Joe Goldberg n’a rien du monstre classique, rien du monstre qu’on imagine dans ce genre de situations. Il est beau, cultivé, charmant. Il cite des romans sans effort et bosse donc dans cette librairie indépendante. Et surtout, il semble capable d’un amour absolu. Penn Badgley incarne à la perfection cette figure du manipulateur : celui qui avance masqué, qui ne montre jamais son vrai visage, et qui gagne votre confiance avant de la détruire.

À travers Joe, You ne se contente pas de raconter une histoire de meurtre : elle met en scène une mécanique d’emprise émotionnelle glaçante.

You (Saison 1) avec Penn Badgley et Elisabeth Lail Netflix © 2018
You (Saison 1) avec Penn Badgley et Elisabeth Lail Netflix © 2018

Joe Goldberg : un archétype

Comme je le disais, tout au long des saisons, Joe donne de nombreuses raisons pour justifier ses crimes. Celle qui revient le plus souvent ? Protéger celle qu’il aime et sa peur de l’abandon. Ahem. Au bout de cinq saisons où chaque femme aimée devient cible, on pourrait se dire que le concept de la série tourne en rond, et pourtant non, on ne se lasse absolument pas. En tout cas, moi non.

Si la série plait autant c’est avant tout pour son côté irréaliste. Ce n’est pas logique qu’il s’en sorte autant à chaque fois, sur cinq saisons. On veut voir jusqu’où il ira pour justifier ses crimes, aussi persuadé qu’il est d’être innocent, et de juste vouloir aimer et protéger. 

Il y a presque une tension comique à cette série. On a presque l’impression que Penn Badgley tente de le mettre en exergue dans son langage corporel, son phrasé. Les gestuelles, les réactions de Joe sont tellement extrêmes, tellement clichés, qu’on en vient à souffler du nez. C’est pas possible qu’il réussisse à berner autant de femmes. Autant d’hommes. Autant de monde. Lui-même. C’est pas possible qu’il réussisse autant à s’en sortir. Et pourtant si. Un constat :  l’impunité d’un beau mec blanc hétéro est toujours aussi puissante en 2025. On a beau taper du pied, on ne peut pas nier les faits.

Les manipulateurs agissent par tactiques, il y a des signes qui ne trompent pas. Des réflexes, des gestes et des regards qui ne trompent pas. Joe en est devenu l’archétype. La caricature du manipulateur qui en vient au meurtre pour justifier son amour. La perspective est tellement assumée, elle paraît presque logique dans le développement de l’intrigue. Et le spectateur est autant pris au piège que Beck, Love, Marienne, Kate ou Brontë. on sait qu’on ne devrait pas se laisser avoir, mais on se laisse faire, saison après saison. Jusqu’au dénouement final. 

Fantasmez sur Penn, pas sur Joe (ou sur personne en fait)

L’une des forces de You est d’avoir transformé Joe Goldberg en anti-héros adoré et détesté à parts égales. Très vite, une partie du public a fantasmé sur lui. Même face à l’accumulation des horreurs, beaucoup ont continué à trouver des excuses à ses actes.  Ce phénomène n’est pas anodin et s’observe dans le rapport de certain.es face à de vrais serial killers. Il révèle à quel point notre regard peut être biaisé par le charme, la culture, l’apparente vulnérabilité d’un homme. La série le sait, elle le manipule même volontairement. You force le spectateur à se demander : « Pourquoi ai-je envie qu’il s’en sorte ? » — et cette question est parfois plus dérangeante que n’importe quel meurtre mis en scène à l’écran.

En effet, la série a révélé chez beaucoup d’internautes une forme de misogynie internalisée impressionnante. Lorsqu’à la sortie de chaque saison, on lit les réactions en ligne, on remarque la facilité des gens à blâmer… non pas Joe… mais ses victimes. Beck est jugée trop fade. Love trop folle et menaçante. Kate, Marienne et Brontë n’étaient tout simplement pas assez jolies. Ces réactions à vomir reflètent ainsi toute l’influence du personnage de Joe. Il réussit même à en piéger les non-concerné.es.

You : Un final réussi ?

[ATTENTION : SPOILERS DE LA SAISON 5 JUSQU’À LA FIN DE L’ARTICLE]

Venons-en donc à la saison 5. Le final de la saison 4 aurait pu être un dénouement approprié dans la logique du personnage : en impunité totale, il atterrit désormais tout en haut de la chaîne alimentaire, désormais marié à Kate Lockwood, riche femme d’affaires. Un final en demi-teinte mais aussi cynique que le voudrait son personnage. Les auteurs de la série en ont décidé autrement et c’est peut-être pas plus mal, finalement.

On retrouve Joe trois ans après la fin de la saison 4 et il vit sa nouvelle vie sous les projecteurs, affublé d’un nouveau sobriquet : Prince charming. Ça fait rager. Et ça fait rire. Un rire d’outrage. C’est prévisible, mais on est quand même un peu contents de le retrouver.

Très vite, on rencontre la nouvelle fixation de Joe : Bronte. Si d’entrée de jeu, sa connection à Beck semble un peu capilotractée, sa place dans l’intrigue est primordiale. On sait très vite qu’elle est plus jeune que Joe, écrasée par un désir d’écriture qui la dépasse, et traumatisée par la longue maladie qui a emporté sa mère. Elle est complètement vulnérable, ce qui est d’ailleurs démontré vers l’épisode 4 : «  You don’t realise how much power you have over me. » lui déclare-t-elle. La cible parfaite, donc, qui malgré tous les rebondissements de la saison, tombera un temps dans son piège. Bonus : elle est suffisamment grande gueule pour ne pas être l’oie blanche que l’on attend des victimes d’abus et l’arrivée de son personnage a, lui aussi, fait réagir négativement le public en ligne. Surprenant ? Pas vraiment.

Joe (Penn Badgley) et Bronte (Madeline Brewer) dans la saison 5 de You
Joe (Penn Badgley) et Bronte (Madeline Brewer) dans la saison 5 de You (Netflix © 2025)

Serial manipulator

Ce qui a permis à la série de survivre cinq saisons, c’est le développement constant de la personnalité de Joe. Au fur et à mesure, le meurtrier dévoile des failles de plus en plus grosses (si tant est qu’elles ne les étaient pas déjà) et on peut creuser plus profondément dans son psyché. Ce qui parfois pouvait être perçu comme une simple « raison à ses meurtres » est de plus en plus condamnée alors que la série progresse. Ou alors, c’est juste moi qui ai grandi entre temps et repère mieux les signes. La focalisation est de moins interne à Joe et on commence à respirer et entendre d’autres voix. La saison 5 en a donc été la plus aboutie de ce côté là, là où la saison 4 laissait à désirer. Cette fois, la série assume pleinement la manipulation qu’il exerce sur les femmes autour de lui, tentant petit à petit de nous en faire sortir aussi.

Dans la course poursuite du dernier épisode où Penn Badgley signe peut-être sa performance la plus impressionnante, Joe hurle à Bronte, alors libérée de son emprise : « I made you special Bronte and you’re too selfish to know how good you’ve had it« . En volonté d’être Pygmalion, Joe se sent légitime de prendre des filles vulnérables et tenter de les modeler à son image, leur promettant un amour sans borne. Et malheur à celle(s) qui sortirai(en)t du cadre. 

Être victime d’abus est d’une violence inouïe, surtout quand on ne trouve pas de refuge. La série le retranscrit plutôt bien. La mention spéciale revient à Marienne, qui après avoir dû simuler sa mort pour lui échapper, revient et délivre peut-être le discours le plus émouvant de la série lors de l’épisode 9. Un passage qui nous rappelle qu’on a toutes été un peu Bronte, Marienne ou Kate. Et que certaines d’entre nous finissent malheureusement par être Beck.

But You’re a creep

Mais la scène finale de la série est sûrement la plus mémorable de la série. Joe finit donc emprisonné, seul, comme il l’a toujours craint. Après s’être pris une balle dans l’entrejambe par Bronte, sa masculinité est réduite à néant et son image publique est détruite. Une fin parfaite à cette série imparfaite donc, qui se boucle sur un énième monologue de Joe… qui est…scandalisé que le sort s’acharne ainsi sur lui, un pauvre innocent qui voulait juste trouver la femme de sa vie. Ça en devient juste comique, ce refus de voir le problème en face. Dans un dernier regard face-caméra glaçant, il affirme : « Peut-être que le problème, c’est pas moi…mais toi. » Le personnage est cyclique et n’évoluera pas.

Ainsi, You aura montré, saison après saison, qu’il est facile de se laisser séduire par les monstres quand ils savent nous parler d’amour. Joe Goldberg n’a pas changé et il ne changera pas. Mais peut-être que nous, spectateur.rices, devons apprendre à ouvrir les yeux — même quand c’est séduisant de les fermer.

Bye-bye Joe ! (Netflix © 2025)
Bye-bye Joe ! (Netflix © 2025)

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