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Si la période de fin d’hiver voit naître un retour chaleureux des concerts un peu partout en France – mais cela pour combien de temps ? – il est de ces dates qui nous font frémir un peu plus que d’autres. L’attente du mercredi 09 mars, marqué par la venue de Thurston Moore (Sonic Youth frontman) à Petit Bain, me démangeait d’excitation. Petite salle pour un grand monsieur du rock. Quoi demander de mieux ?

Son dernier album date de 2020 et s’intitule By the Fire. A l’époque de sa sortie, j’avais dit de lui qu’il était une grande œuvre à allure de fresque. Aujourd’hui, je continue à l’écouter régulièrement et mon avis reste inchangé.  Encore davantage, je le considère comme faisant partie de mes albums fétiches, comme doté d’un pouvoir d’ensorcellement. Son précédent album Rock N Roll Consciousness (2017) ne se situe vraiment pas très loin derrière. Au point de faire de leur créateur l’artiste qui me touche très certainement le plus en ces temps. Son évolution remarquable fait de son œuvre actuelle un sommet. Maitrisée et unique en son genre, cette musique est à la fois la plus douce et la plus déchaînée du paysage rock.

Et voilà donc qu’après deux années à l’écouter et à la réécouter sans que jamais la moindre forme de lassitude n’ose faire apparition, Thurston Moore est de retour en France pour la faire vivre en live. Non seulement à Paris, mais aussi dans d’autres villes comme Toulon (12 mars), Grenoble (13 mars) et Lyon (14 mars).

 

LICE ouvre le bal

C’est dans le cadre de sa tournée mais aussi de l’ouverture du premier jour du festival « How to Love » à Petit Bain que Thurston Moore s’est produit dans la capitale. Pour l’accompagner, le groupe Lice ouvrait la soirée. Groupe britannique originaire de Bristol, ils sont cinq jeunes gens à l’allure bien sympathique, fabricants d’une musique quelque peu particulière mais presque toute aussi charmante que leur dégaine. Le chanteur ressemble à un mix entre M le Maudit et Dr. Folamour. Son énergie débordante et les effets sur sa voix le transforment en véritable personnage de film, dont on ne sait pas dans quel camp, celui des gentils ou celui des méchants, il se trouve. Peu importe, le rock que le groupe propose, plutôt bastonneur,  a de nombreuses qualités. D’abord parce qu’il ne tombe dans aucun cliché, surtout pas celui du « qui fera le plus de bruit ? », mais aussi parce qu’il navigue entre plusieurs genres, allant même piocher parfois du côté stoner, au point de ne pas pouvoir définir très clairement ce à quoi on a assisté. Et souvent, c’est bon signe. Un seul petit reproche néanmoins : savoir terminer ses chansons est un art qui se révèle lorsque les artistes ne savent justement pas le faire. Là, ça ressemblait un peu aux chutes des phrases de Valérie Pécresse. A la seule différence que chez Pécresse, il n’y a pas que la fin qui est merdique…

Photo : Léonard Pottier

Thurston Moore, esprit tranquille

Pour Thurston Moore, Petit Bain est plein à craquer. Voir un tel géant dans une si petite salle est un privilège. Il est venu avec son groupe, le Thurston Moore Group, celui avec lequel il a enregistré ses derniers albums, et notamment composé de Debbie Googe, la bassiste de My Bloody Valentine.  C’est tous ensemble qu’ils font des merveilles, doués chacun d’immenses qualités techniques sur leurs instruments respectifs. A coup sûr, cela va être un mélange détonnant.

Quand la troupe arrive sur scène, Moore parait tranquille. Il regarde ses feuilles pendant de longues secondes, comme pour faire durer l’attente. En réalité, il prend simplement son temps, tandis qu’un sample passe derrière. Il se dirige ensuite vers sa guitare. Toujours tranquillement, il la branche. L’attente devient insoutenable, surtout lorsqu’on sait ce qu’il nous prépare. Cette attitude de scène est aux antipodes de celle habituellement associée aux stars. Moore n’est pas dans un jeu, il est lui-même. Sa musique est le reflet de sa personnalité rêveuse. Silence ! Des notes sont enfin jouées.

 

UNE OUVERTURE AUX PORTES DU CIEL

Le concert est entamé avec « Locomotives », longue tirade d’une quinzaine de minutes. Elle est une parfaite introduction, grâce à sa construction évolutive. Comme souvent chez Moore, on part d’un grincement de cordes répété avec vitesse. Rien de forcément fabuleux pour l’instant. Mais on sait très bien que tout est question de temps. Sa musique est en perpétuel édifice. A ces premiers grincements viennent s’ajouter d’autres grincements de cordes répétés de la même façon (un deuxième guitariste est présent), et cela tout en longueur jusqu’à produire une sorte de mur de son. Dès lors ce cap franchi, impossible de dire de dire d’où celui-ci provient, étant donné qu’il semble être tout autour de nous, après avoir empli totalement la pièce. Comme une hypnose, cette pratique sonore perturbe notre rapport à l’écoute. Par couches empilées, le groupe tisse progressivement une toile d’araignée sonore.

Puis tout à coup, au beau milieu de cette transe hallucinatoire ayant eu raison de nos sens, la lumière surgit. Elle prend la forme d’une mélodie, très vite suivie d’une voix, celle de Moore, toujours aussi gracieuse. Cette rupture de ton est l’essence même de l’œuvre actuelle du chanteur. Elle agit comme un retour abrupt au réel, dans une confusion et stimulation des sens. C’est un électrochoc réconfortant puisque soudain vient quelque chose à quoi se raccrocher. L’expérimental laisse place à une musique de repères à laquelle on a davantage l’habitude. Mais bien que faisant office de rupture, elle agit dans la continuité. C’est d’ailleurs dans cet ensemble là que ce morceau d’ouverture prend toute son ampleur. La deuxième partie est alors d’une totale réjouissance, jouant sur les harmonies du chanteur qu’on lui connait si bien, et dont lui seul a la recette. Cela renforcé par une puissante précision sonore. Quand son acolyte guitariste entame le solo, on croirait déjà avoir atteint la perfection. Ce n’est pas donc un mythe : ce qu’arrivent à faire l’artiste et son groupe sur scène relève du génie. Ce début de live est captivant.

 

Savoir-faire d’un maître 

Viennent ensuite plusieurs morceaux du dernier album : les sublimes « Breath » et « Siren », mais aussi les plus pêchus « Hashish » et « Cantaloupe ». Sur scène, By the Fire gagne en éclat. Les versions sont très proches de celles de l’album mais cela ne dérange pas puisque dans cette musique de toute manière, rien n’est vraiment calculé. C’est un rock libre, insoumis, à l’attitude sereine mais attentive, et aux cheveux longs, faisant avant tout appel à l’instinct et l’échappée. Tellement même que sur « Haschich » se fait soudainement sentir une bonne odeur de beuh. Comme si la musique était si puissante qu’elle pouvait modeler le réel.

Moore demande à partager, il semble vouloir fumer un peu. C’est en fait une blague puisqu’il ne fait que prendre sa bouteille d’eau pour s’abreuver, laquelle il lance ensuite à une personne du public : « ça fait des années que j’ai pas jeter de trucs dans la foule ». C’était honnêtement un peu plus drôle en vrai.

Le concert se poursuit avec la même intensité. Le jeu de guitare est digne de celui d’un maître. Pas forcément sensationnel mais assez obsessionnel pour rendre le public halluciné.  Tout est réussite et il est enfin satisfaisant de faire face à quelque chose de plus fort que nous, contre lequel il ne s’agit pas de lutter mais avec lequel il est si bon d’être emporté. Les grands ne sont pas des grands pour rien. Parfois même avec l’âge, ils sont encore meilleurs. Moore réserve pour la fin les « tubes » de son album The Best Day sorti il y a 7 ans déjà. « Speak to the Wild » et « Forevermore » seront joués. Deux grands morceaux à la carrure suffisante pour clôturer le concert en beauté. « Forevermore » est dédié à la journée internationale des droits des femmes nous dit Moore. « I love you forever more ». Il faut avouer que c’est un peu le sentiment qui nous habite en repartant.

 

Après 1h15, je ressors de Petit Bain trempé d’émotions. Prochaine étape : enfin donner à Sonic Youth l’intérêt que j’ai trop souvent eu du mal à lui porter ? Car parfois, faire le chemin à l’envers peut être aussi la bonne solution. Quoi qu’il en soit, à partir de ce jour, je prierai régulièrement pour que ces guitares ne trouvent dans mes oreilles jamais le repos éternel.


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