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Rowland S. Howard

Une silhouette mystérieuse, frêle et presque recroquevillée. Une voix ténébreuse. Un son de gratte saillant. Il fut l’un des meilleurs mais n’a jamais obtenu la reconnaissance qu’il méritait. L’ange noir disparu du rock australien voit aujourd’hui ses deux albums solos réédités, Teenage Snuff Film (1999) et Pop Crimes (2009), la parfaite occasion pour (re)découvrir ces chefs-d’œuvre abandonnés.

Lorsqu’un artiste aussi magique que Rowland S. Howard pénètre dans notre vie de manière impromptue, animant en notre intérieur les meilleures sensations que le rock puisse nous livrer, une question se pose toujours : comment avons-nous pu passer à côté ? Et comment un tel génie a-t-il pu rester dans l’ombre ? Ce n’est pas comme si la musique regorgeait d’artistes de cette envergure, surtout depuis son entrée dans le 21e siècle où les nouveautés se sont multipliées sans pour autant voir son nombre de talents augmenter. Mais ne nous leurrons pas, Rowland S. Howard, excepté son dernier album sorti en 2009, appartient au siècle passé, dans un monde où le rock était encore un prolongement de l’âme et du corps humain. Et de cela, Teenage Snuff Film en est le parfait témoin. Pop Crimes tout autant, si ce n’est plus.

 

Rowland S. Howard, Une carrière dans l’ombre

Avant de nous concentrer pleinement sur ces deux albums, revenons quelques instants sur la carrière de l’artiste. Rowland S. Howard ne sort pas de nulle part. Il fait ses premiers pas dans la musique aux côtés de The Birthday Party, groupe australien de la fin des années 70 duquel faisait également partie Nick Cave à l’époque, dont la carrière qui suivit fut davantage sous les projecteurs. Mais en raison de différends artistiques entre les deux hommes, le groupe ne survit pas longtemps. En 1983, leurs chemins se séparent, quand bien même l’alchimie entre les deux n’eut pas manqué de faire ses preuves. Le guitariste, Rowland S. Howard donc, continuera d’opérer dans l’ombre. Crime and the City Solution et These Immortals Souls le comptèrent par la suite parmi ses membres (puisqu’étant lui-même le fondateur), le second étant la continuité du premier, mais dont l’arrivée de Geneviève McGuckin dans le groupe, très proche de Rowland à l’époque, lui aura fait changer d’identité. Relativement confidentiels, ces groupes n’auront pas offert à Rowland S. Howard l’occasion de révéler son talent au grand jour, non pas que leur œuvre fut insignifiante, mais du fait qu’elle s’adressait à un public particulier, avec des moyens de production restreints et un style escarpé.

 

Il se pourrait que nous nous écroulions. De tristesse, de joie, ou simplement de beauté.

C’est donc en 1999 que Rowland S. Howard entrevoit enfin la possibilité de faire définitivement ses preuves. C’est ainsi qu’il se dénude artistiquement pour la première fois, devenant lui seul maître de ses créations. Son album solo Teenage Snuff Film sera son premier monument. Il n’aura le temps d’en faire que deux. Tant pis. Un nombre suffisant pour nous familiariser avec l’idée que nous avons affaire à quelqu’un d’hors norme. « Dead Radio », qui introduit cette première tentative solitaire, commence par « You’re bad for me like cigarettes but I haven’t sucked enough of you yet », probablement l’ouverture de morceau la plus sensuelle de l’histoire du rock. Une sensualité poursuivit sur l’entièreté du morceau. D’où vient donc cette flamme évocatrice ? Et cette voix de crooner résigné ? Pourquoi cela sonne-t-il si juste ? « Dead Radio » crache son venin et nous convainc en l’espace de quelques minutes seulement que Rowland S. Howard a quelque chose de plus que les autres. La suite n’en est que plus poignante. « Breakdown (and then…) » fait hurler de douleur une guitare basse au son aiguisé. L’une des pièces maitresse de l’album. Peut-être la plus torturée. Peut-être la plus forte aussi. Dans Pop Crimes, l’album d’après, « Shut me Down », placée au même endroit, est de la même envergure. Son refrain n’a pas d’égal en terme d’intensité. Rowland S. Howard jette un œil introspectif plus puissant que n’importe quel monologue. Dans une sombre énergie, il nous fait entrevoir la lumière par saccades. Il accepte ce qu’il est devenu nous dit-il, en écho à Lou Reed qui, une dizaine d’années plus tôt, faisait un constat similaire sur le majestueux Set the Twilight Reeling. On s’accroche tant bien que mal. Mais difficile de ne pas perdre pied devant telle secousse émotionnelle. Il se pourrait bien qu’un jour, à la centième écoute (le temps est primordial sur ces questions), nous nous écroulions. De tristesse, de joie, ou simplement de beauté, peu importe. Le morceau ne s’en préoccupe pas. Il nous laisse maitre de nos émotions. Le rock a ce pouvoir ? Ne le sous estimez pas lorsqu’il est entre de bonnes mains. Rowland ne fait pas du rock, le rock a fait Rowland. Vous ne le voyez pas ? Il vous suffit pourtant de regarder attentivement la pochette de Pop Crimes. C’est bon ? Vous le percevez désormais ? Cette incapacité à y lire des émotions. Ou au contraire, cette capacité à y lire toutes sortes d’émotions. Ce gros plan figé, non pas par le caractère photographique de l’image mais d’avantage par le vide d’un regard signifiant, celui d’un homme fissuré qui ne parvient pas à s’accorder au reste du monde, nous renvoie à nos propres déceptions, nos propres failles, nos propres angoisses et nos propres interrogations. N’est-ce pas ce que fait le rock également ?

La musique de Rowland S. Howard est lente, lourde, empreinte de milles blessures sans jamais tomber dans le pathos. Par une alliance entre fond et forme, elle fait état d’une existence en marge. L’usage du violon donne de l’ampleur aux morceaux plus qu’il ne sert à leur prêter un aspect attristant. Rowland S. Howard tient enfin sa revanche, mais ne fait pas d’elle l’objet capital de son œuvre solo. Cette revanche nait par conséquences. Elle jaillit intuitivement de ce rock authentique sans être foncièrement pensée. S’il est surtout question de peines d’amour et d’amours impossibles, l’artiste dépeint aussi une vie marquée par le silence : « I tried to speak but I could not » (« Exit Everything »), « I’d like to spit it out but I don’t speak with my mouth full » (« Dead Radio »). Il trouve là l’occasion de s’exprimer totalement.

 

Deux oeuvres entieres et distinctes, qui se répondent

Teenage Snuff Film et Pop Crimes, bien que différents et séparément  identifiés, constituent ensemble une œuvre commune et cohérente qui font de la carrière solo de l’artiste un véritable triomphe artistique. Dix ans les séparent. Dix ans nécessaires pour inventer quelque chose de nouveau sans perdre l’essence de son art. Dix ans pour digérer le premier opus et l’intérioriser. Celui-ci maintient une certaine distance avec l’auditeur, d’une froideur assumée, épaulée par une production âpre. « Sleep Alone », morceau de clôture, est celui qui résume le mieux ce sentiment. Le son de guitare y est tordu, strident… Une machine infernale, aussi excitante qu’incommodante.

 

Dans le second album, le son est autre. Les compositions aussi. Pop Crimes en appelle davantage à notre sensibilité et dégage une aura plus chaleureuse, plus conviviale. Sa voix a gagné en intensité. On y ressent une forme d’harmonie et de réconciliation, quelque chose de moins disparate. L’artiste semble avoir atteint un niveau supérieur, se situant entre l’acceptation et l’épanouissement. Nous auditeurs, nous sentons plus conviés sur cet opus, bien qu’il soit difficile de dire que celui-ci est meilleur que le précédent. Chacun dégage une atmosphère spécifique, bien définie et travaillée. L’un ne va pas sans l’autre. Ils se répondent logiquement.

Outre cet aspect plus ouvert et accueillant (à prendre avec des pincettes) de Pop Crimes, les morceaux n’en sont pas moins intenses. Bien au contraire. La géniale reprise de « Life’s what you make it », qui donne ampleur, conviction et profondeur (somme toute : vie) au morceau original de Talk Talk bien trop marqué années 80, en est le parfait témoin. Abrupte, animale et rageuse. Plus loin dans l’album, le sublime « Ave Maria » est portée vers la beauté et la grâce. Deux aspects d’une même musique qui, combinés, assure une fascinante stabilité à l’ensemble. Rowland S. Howard trouve ainsi un nouvel équilibre entre production léchée et justesse de composition. Le morceau titre, pilier de l’album, justement placé au milieu, est probablement le point culminant de la carrière de l’artiste. Sept minutes de parfaite maitrise, avec une ligne de basse terriblement efficace couplée à un chant accompli. Et que dire de cette ouverture, « (I Know) A girl kalled Johnny », l’une des plus belles, mystérieuses et majestueuses introduction d’album qui soit ? Mieux vaut ne rien dire, et la réécouter. Inlassablement.

 

La bande originale de l’effondrement

Bref, tout y est si bien mené, si bien construit et si bien ajusté qu’aucune description ne sera assez bonne pour saisir la force de cette musique. Rowland S. Howard aura marqué l’histoire du rock à un niveau certes plus confidentiel que d’autres, mais non pour autant négligeable. La réédition de ses deux albums majeurs leur donnera, on l’espère, encore plus d’impact. Nous avons confiance. Le temps fera les choses. Comme souvent. Et dans plusieurs dizaines d’années, tandis que le monde verra ses fondations s’écrouler, il sera temps de nous dire au revoir à l’écoute de cette bande-son, autant pour accompagner la catastrophe qu’en dégager son aspect étincelant, car c’est par la musique que nous nous en sortirons, le regard vide et le corps immobile. Mais l’âme souriante.

By Léonard Pottier


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