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En février dernier, Catarina et La beauté de tuer des fascistes de Tiago Rodrigues était de passage à l’Espace 1789 de Saint-Ouen. La pièce du portugais n’a eu de cesse de créer de l’émoi dans l’entre-soi théâtral international depuis sa création en 2020, décrochant prix et louanges à tous ses passages sur les planches. Et pour cause, le texte sur la montée du fascisme est encore et toujours plus d’actualité et résonne avec une force inouïe dans les rangées de fauteuils. Le directeur du Festival d’Avignon pose avec sa pièce une question qui fait mouche : un fasciste a-t-il le droit au débat ? À découvrir un peu partout tout le temps ou en livre (aux Solitaires Intempestifs).

TUER DES FASCISTES = SAUVER LA DÉMOCRATIE ?

Dans un futur très proche marqué par la montée drastique et dramatique du fascisme (tiens tiens…), une famille se réunit chaque année pour tuer un fasciste en mémoire du combat de leur ancêtre. Mais la jeune Catarina, à qui le devoir revient cette année, refuse la mise à mort du député d’extrême-droite sélectionné pour le sacrifice. « Qu’est-ce qu’un fasciste ? Y a-t-il une place pour la violence dans la lutte pour un monde meilleur ? Pouvons-nous violer les règles de la démocratie pour mieux la défendre ? ». Sacré programme promis par Tiago Rodrigues dans une pièce déstabilisante et percutante.

ET LE THÉÂTRE MIS FIN AU FASCISME

Catarina ne s’illustre pas particulièrement par le travail plastique et scénographique mais trouve toute sa force dans un texte au cordeau, ciselé et interrogateur. La pièce ouvre un réel espace de questionnement autour du problème cherchant à savoir si un fasciste a ou non sa place dans le débat public. Comme les gouvernements du monde entier ont l’air de croire que oui en laissant la part-belle à l’extrême droite dans les médias, extrême-droite qui n’avait pas droit de citer il n’y a pas si longtemps que cela rappelons-le, cette question plus qu’urgente brûle les doigts.

Catarina et la beauté de tuer des fascistes
Photo : Joseph Banderet

PRÊCHER DES CONVERTIS ?

Le public des théâtres publics est généralement assez unanime sur la question posée par Catarina : non, pas de quartier pour les faschos. Le défaut de la pièce est alors peut-être de prendre son auditoire pour acquis et de ne pas réellement parvenir à susciter l’intérêt des principaux concernés. Enfin, est-ce réellement un défaut ? Ou bien est-ce l’échiquier politique qui s’est tellement décalé à droite que le refus du fascisme n’est plus une valeur unanime, partagée par la droite et la gauche, ou simplement par toute personne de bon sens ? Tout porte à croire qu’à une époque où le fascisme est tragiquement devenu un « parti politique » comme un autre, c’est la deuxième hypothèse qui semble plus probable. Car oui, le rassemblement national est un parti fondé sur un socle nazi, ne rougissant pas de son héritage, et pensant autant aux travailleur.euse.s et aux précaires que le NSDAP. Bref, au moins le débat est ouvert.

RADICALEMENT BRECHTIEN

Alors, que répondre ? La défense de la démocratie semble impliquer un droit de parole à chacun.e pour représenter toutes les opinions. Et quid des opinions meurtrières ?  Peut-on les tuer ? Le public tranche lors de l’épilogue mémorable de la pièce. SPOILER : Toute la famille de Catarina subitement morte, c’est finalement le député fasciste qui prend la parole après 2h15 en silence sur scène. Un monologue d’une vingtaine de minute, discours archétypal et vide sur la « dictature des minorités » et toute la rhétorique d’extrême-droite est alors déclamé par le comédien, lumières allumées dans la salle. Cette prouesse dramaturgique est couronnée par le verdict du public qui finit inévitablement par réagir à ce discours en vue de l’interrompre. Sans appeler explicitement le spectateur à réagir, Tiago Rodrigues le force à répondre à la question que Catarina pose. Mais alors, est-ce qu’un tel comportement a sa place au théâtre, le lieu où l’on regarde, où l’on écoute ? Ce dénouement déstabilisant et résolument brechtien prouve que la lutte contre le fascisme est un impératif  imminent et que la culture en est son front de défense.

Catarina et la beauté de tuer des fascistes
Photo : Joseph Banderet

INTOLÉRANCE À L’INTOLÉRANCE

Deux points semblent nécessaires à la clôture de cet article. Le premier étant que le terme de « fascisme » est historiquement connoté et défini et que pour certain.e.s, l’usage qui en est fait aujourd’hui est abusif. Cela, l’auteur en est conscient, tout comme il est conscient que ‘de tout temps’ les mots ont vu leur sens évoluer et qu’il est plus éloquent de parler d’un « fasciste » que d’un simple député d’extrême-droite. Second point, Catarina questionne avec brio le « paradoxe de l’intolérance » théorisé par Karl Popper dans La société ouverte et ses ennemis. Très simplement, Popper pose l’aporie  selon laquelle la tolérance doit être intolérante à l’intolérance pour subsister. En bref, voilà une citation qui explicitera plus clairement le propos : « Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique [les philosophie intolérantes], on aurait tort de les interdire. Mais il faut toujours revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple. »  (Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis, tome 1 : L’Ascendant de Platon, Seuil, 1979).


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REQUIN VELOURS

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TW : Cet article aborde une pièce de théâtre parlant explicitement de VSS.

Au Théâtre Ouvert jusqu’au 21 février (Paris 20e) et en tournée en France, la compagnie Sorry Mom présente Requin Velours (texte et m.e.s de Gaëlle Axelbrun). Récit à trois voix né de « la nécessité intime de l’autrice de parler du viol et de l’après », c’est « l’histoire d’une fille qui se transforme en requin pour ne plus être la proie ». Il s’agit de voir ce que le théâtre, la fiction peut prendre comme part dans le récit d’un viol et sa réparation – si réparation il y a. Alors, dans les pas de Despentes et du renversement des stigmates : « Ce sera impudique, car la honte a sauté. »

BOXER LE RÉEL

REQUIN VELOURS
REQUIN VELOURS @Christophe Raynaud

À partit d’un dispositif trifrontal sous forme de ring, le public est installé au plus proche du combat avec soi-même mené par Roxane et les Loubardes, Joy et Kenza, des amies rencontrées le soir de son viol. Les regards font face aux comédien.ne.s pour mieux amortir un jeu brut et sincère, à l’image du décor et de la violence dans lesquels iels déambulent. Comme un poing dans la tronche, les mots de départ font mal  « C’est l’histoire d’un mec qui rentre dans un bar et en fait c’était pas lui et le bar c’était moi ».  Et cette violence, toujours à fleur de peau, érafle le coeur, mais caresse avec humour et poésie les sensibilités irritées. Le ring dramatique officie comme prise en charge collective et authentique d’un récit intime où la douleur se fraye un chemin par les corps et par les voix. Ici, il s’agit notamment de prendre la justice par le poing et de mettre K.O  un traumatisme qui perdure inlassablement.

L’HISTOIRE SANS fin ET SANS début

Avec Requin Velours, l’autrice veut raconter l’histoire d’un viol, de son début, et de sa fin. Mais par où commencer quand l’aliénation du corps féminin débute dès la plus ferme enfance ? Et par où finir quand les stigmates ont abîmé l’être profond, jusque dans l’intimité sexuelle ? Pour Roxane, ce sera la prostitution et les rires au nez de la justice qui hanteront sa chair pour toujours. Ce qui se joue ici, c’est l’impossibilité de mettre un terme à cette possession incarnée et indésirable de son corps par l’agresseur. Influencée par Pauline Peyrade qu’elle cite, la création de Gaëlle Alexbrun m’évoque un passage d’À la carabine (2020) « Est-ce que j’ai pas le droit, moi, qu’on me caresse sans que je pense (…) aux marques de tes doigts sur ma peau ? » Comment vivre après une dépossession de son intimité ?

JUSTICE FICTIVE

Et quand la police se fout de la gueule de Roxane et que son cas n’est pas jugé assez grave, donc sans suite, il faut pourtant vivre avec les suites de l’histoire – se faire justice. Et le théâtre est là pour donner vie à ces excuses ou cette sentence jamais prononcées. « Je voudrais être bercée et enlacée par tous les bras ». Témoin et jury du combat, le public est garant et acteur de cette justice : Requin Velours déploie le théâtre comme consolation collective. Dans une scène d’une poésie rare évoquant la puissance des Chatouilles d’Andréa Bescond, Roxane et les Loubardes imaginent le procès et les condamnations qu’elles souhaitent, celles qui réparent et qui, peut-être, ferment le rideau. Le rêve, le fantasme et la réalité s’entrelacent dans cette espace de combat pour permettre d’affirmer le geste illocutoire de la parole théâtrale et donner vie à la fin du trauma.

RAPE AND REVENGE (VRAIMENT) FÉMINISTE

REQUIN VELOURS
REQUIN VELOURS @Christophe Raynaud

Sorry Mom propose, à l’instar de Pauline Peyrade ou de Promising Young Woman, un « rape and revenge » réaliste et enfin issu d’un regard féminin. Ici il n’y a pas de cruauté gore, seulement un récit authentique, profondément enchaîné au réel et à l’expérience qui refuse l’imaginaire masculin se projetant dans un corps féminin. Avec sa pièce, Gaëlle Axelbrun conjugue réalité et fiction pour proposer une alternative au récit dominant et souvent esthétisant du viol dans les représentations picturales. Entre douceur et violence, le requin velours boxe la romantisation du viol et trouve une issue féministe et authentique de vivre « l’après viol » dans une prise en charge collective. Une création percutante à ne pas manquer.


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