Il est de ces lundis que l’on arrive à surpasser uniquement dans l’attente d’un concert désiré le soir même. C’est encore plus vrai quand le lundi en question tombe le lendemain d’un jour férié dont le super pouvoir s’est vu considérablement étréci à cause d’un agenda merdique cette année. Heureusement, le groupe américain LOW était à Paris pour entamer la semaine comme il se doit. A l’Alhambra près de République, ils ont livré un concert plein d’élégance et de frémissements.
Depuis leur dernier album en date, l’excellent HEY WHAT (2021) que l’on écoute régulièrement pour sa production coupée comme un rasoir et ses morceaux minimaloniriques (minimalistes et oniriques), LOW ne cesse de gagner du terrain dans notre cœur. 27 ans de carrière et plus de 15 albums à leur compteur. Cela nous a un peu échappé, même si leur nom nous a toujours été familier. Voilà pourquoi nous comptions rattraper notre retard avec ce concert parisien. LOW, c’est trois lettres, mais aussi trois personnes, dont un couple fondateur : Alan Sparhawk (chant, guitare) et Mimi Parker (batterie, chant). Avec eux, plusieurs bassistes se sont succédés. C’est aujourd’hui Liz Draper qui accompagne le couple. Leur rock alternatif sorti tout droit du Minnesota développe depuis 1994, année de leur premier album, un sentiment de contemplation auditive grâce à des morceaux lents, souvent étirés, et envoutants. La production, devenue plus rude et mécanique ces dernières années, ajoute une pincée de mystère à cette identité malléable dont la base reste toutefois solide, si ce n’est renforcée. Maitres du studio où leurs textures sonores gagnent toute leur puissance d’expression, qu’en est-il de LOW sur scène ? Aussi percutants ?
(S)low : lenteur divine
C’est la caractéristique même de leur musique, d’être à l’inverse de toute précipitation. Alors bien évidemment que le concert ne sera pas d’une grande agitation dans le public. Non, LOW mise tout sur son hypnotisme. Toute personne présente est de mèche. On ne va pas voir ce groupe par hasard, sans savoir à quoi s’attendre. Nous voilà donc embarqués pour un voyage dense, de 2h environ, où l’apesanteur est reine. Le trio sur scène échappe à toute starification, mais semble davantage acclamé pour leurs créations, c’est-à-dire des morceaux à l’évidence folle. Ce soir-là, il y a dans l’enchainement de ces derniers une magie certaine. L’envoûtement est progressif, jusqu’à nous faire réaliser toute la cohérence d’une carrière dont l’humilité est proportionnelle à son étendue. Après 27 ans, LOW ne montre aucun signe de prétention. Il est presque encore un jeune groupe dans sa manière de faire. A quelques morceaux de la fin du concert, Alan Sparhawk ira même jusqu’à avouer avoir fait au moins une erreur sur chaque chansons jusque-là. Classe le type. Honnête révélation qui n’aura, on le rassure, pas été remarquée, à part peut-être par les grands fans au guet de chaque note. Et autant dire que les notes ont le temps d’être savourées dans leur profondeur, puisque, comme en studio, le rythme prête à la divagation spirituelle. Une lenteur toutefois pourvue d’accroches, symbolisées par la beauté saisissante de la majorité des morceaux. Plus d’une vingtaine seront joués, tout en douceur et en retenue, permettant au public de s’imprégner de chacune de leurs spécifiés, mais aussi de bien appréhender le mouvement global en perpétuelle construction. Prisonniers d’un délicat ensorcellement. Faut-il alors simplement rester les yeux fermés et se laisser porter ? Non. Puisque dans ce cas-là, on aurait opter pour l’écoute des albums à la maison. Si nous étions là, c’était aussi pour y trouver une certaine ampleur et envolée. De ce côté-là, faim non totalement rassasiée.
(B)low : souffle un peu maigre
Manque de tension et de précision. C’est ce qui nous vient d’abord, au-delà de la lenteur précédemment évoquée. La salle de l’Alhambra a du mal à décoller totalement ce lundi soir. Plusieurs raisons à cela. Premièrement un niveau sonore trop faible, qui ne fait pas honneur comme il se devrait au voyage musico sensuel proposé par LOW. Certains morceaux restent en retrait, sans parvenir à venir nous bousculer. Ça n’est heureusement pas le cas de tous, et on pourrait tout aussi bien rejeter le tort sur la construction particulière du concert, la première moitié étant consacrée à leur dernier album HEY WHAT joué dans l’ordre, puis la seconde moitié à un best-of de leur carrière. Bon. Pas sûr que ça soit la meilleure formule. Elle n’a en tout cas pas fait ses preuves ni chez Ty Segall au moment de son album First Taste, ni chez Patti Smith pour la reprise du mythique Horses il y a maintenant plusieurs années. LOW ne déroge pas à la règle : la première partie du concert manque de quelque chose, malgré certaines interprétations tout à fait remarquables, comme celle de « Hey » et du dernier morceau « The Price You Pay (It Must Be Wearing Off) ».
Il ne faudra d’ailleurs pas attendre plus tard que le morceau d’ouverture « White Horses », génial dans sa version studio, pour s’en rendre compte. Où est donc passée cette impression de lame tranchante fabriquée par la production si particulière et par le rythme hyper soutenu du morceau ? En concert, la guitare perd son effet électronique. En concert, le rythme est moins bien tenu. En concert « White Horses » abandonne la tension et la rigueur pour lesquelles il nous touchait tant. On retrouvera ce sentiment sur d’autres morceaux.
L’abandon du contraste entre ambiance en apesanteur et dureté sonore, comme il se manifeste sur les derniers albums studios, en est aussi la cause. Manque d’affirmation et d’ancrage dans le son… Pas tellement abrasif. Le souffle reste un souffle et ne se transforme jamais en bourrasque. On aime pourtant que nos rêveries soient parfois secouées. Il aurait fallu une meilleure tension d’ensemble. Tant pis, on se contentera de planer et de côtoyer la beauté. C’est déjà beaucoup.
(G)low : lueur constante
Sur scène, aucun chichi. L’éclairage est assuré par trois colonnes de néon disposés à l’horizontal derrière les musiciens. L’ombre les submerge. D’un peu loin, on ne discerne pas les visages mais simplement des silhouettes. L’ambiance sombre et minimaliste colle parfaitement à la musique, de quoi donner l’impression que le chant étiré du couple, comme dans un mouvement ralenti, est de source inconnue. Mystère maintenu. C’est particulièrement marquant sur les passages vocaux de Mimi Parker, beaucoup plus rares que ceux de son mari, leader au chant. Ces moments sont d’une extrême poésie, puisque la voix trop souvent absente atteint des sommets dès lors qu’elle décide de se manifester. On tomberait presque à la renverse. Le jeu d’ombre et de lumière vocal devient alors tout aussi fascinant que celui plus évident de l’éclairage.
Cette lueur de plus en plus élargie au fil du concert prend également appui sur la qualité sonore qui, malgré un niveau trop faible, réussit à être fidèle à l’identité sonore du couple. Cela se remarque davantage sur la deuxième partie best-of du concert, notamment sur les géniaux « Monkey » et « Plastic Cup ». LOW regagne là notre admiration. Le son a quand même la classe, surtout cette guitare à laquelle on aimerait s’accrocher indéfiniment, tant son rendu sonore est scotchant. Nous nous y pendrons finalement jusqu’à la dernière note. Et quand le moment vient de s’en aller, il est difficile de se résigner à quitter cette ambiance magnétique… On ne manquera pas le rendez-vous du prochain album.