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Water From Your Eyes était de retour fin mai avec l’un des albums les plus innovants de l’année « Everyone’s crushed ».  Une pépite qui ne pourra pas séduire tout le monde tant sa structure et son parti pris sont loin de ce que l’on a l’habitude d’avoir dans les oreilles. Et pourtant, ce voyage pop expérimental qui touche au rock est une véritable force de frappe indé, inspirée, brillamment écrite et construite. Impossible donc de ne pas profiter du passage à Paris du duo pour parler musique et compositions avec eux. Au delà de la musique et de quelques blagues sur Sting, le groupe en profite pour faire le constat glacé d’une Amérique à la dérive à laquelle tout rêve a été arraché. On parle de livres bannis des écoles, des retraites, de communautés, des droits abolis en Floride, de liberté, de capitalisme et bien sûr de musique. Rencontre.

Water from your Eyes
Water from your Eyes
Popnshot : Parlons un peu de votre nouvel album « Everyone’s crushed », comment le décririez-vous ?

Nate Amos : J’espère excitant.

Rachel Brown : Potentiellement bon, potentiellement pas bon (rires)

Nate Amos : Je dirai qu’il nécessite une écoute active. Ça doit se faire de façon active si on veut bien comprendre ce qui se passe. Il a été conçu comme ça.

Popnshot : Il y a un énorme travail sur la structure, les rythmes s’intensifient, reviennent, c’est même le titre du premier morceau, « Structure »…

Nate Amos : Le premier morceau a été appelé comme ça parce que c’était le titre de notre précédent album. Il y a avait de côtés qui matchaient. Nous avions en tête lors de la création de ce nouvel album que nous ne voulions pas qu’il y aient deux parties comme sur le précédent . Le tout est équilibré mais pas dans un sens aussi strict que notre précédente sortie. Les rythmes titre par titre se sont fait de la manière où ils venaient. On n’a pas eu d’approche particulière. Certaines chansons sont très simples. Le titre éponyme lui est parfois trop compliqué.

La chanson parle du fait que pour aimer comme il faut les gens il faut apprendre à s’aimer.

Popnshot : Le titre éponyme est aussi le plus lumineux et le plus personnel des morceaux sur cet opus. De quoi parle-t-il ?

Nate Amos : C’est le seul morceau sur lequel j’ai beaucoup contribué aux paroles. D’habitude, j’ai surtout une seule phrase de moi. Sur celui là , j’ai écrit le premier couplet. D’ailleurs la démo, c’était la répétition de ce couplet en boucle. Cet album a été écrit en grande partie alors que j’essayais de devenir sobre. L’abus de substances représente une grande partie de ma vie pour un long moment. Ce morceau parle de ça. Être amoureux de personnes de façon romantique et non romantique, qui sont des stimulations dans ce moment. Mais ça peut être aussi douloureux d’aimer. Donc on utilise des substances pour supporter ça. Sans l’aide de ces dernières ça devient vraiment douloureux. L’idée c’est que sans, il faut apprendre à devenir sa propre personne. Dans mon cas, mes tendances auto-destructives ont blessé les gens que j’aime. Et malgré ça, ils m’aiment toujours. La chanson parle du fait que pour aimer comme il faut les gens il faut apprendre à s’aimer. C’est le seul titre de cet album qui est aussi honnête. Les autres morceaux ont parfois des blagues.

Popnshot : C’est pour ça qu’il donne son nom à l’album ?

Nate Amos : Ça vient du couplet du milieu. Rachel a réarrangé les paroles. C’est de là que vient le titre. Quand on a fini l’enregistrement ça semblait évident que ce serait le titre du morceau puis de l’album. Au début on ne savait pas si ça serait le centre de l’album ou un EP distinct. Et c’est devenu le titre de 4 morceaux au centre de l’opus.

Popnshot : L’album parle aussi de comment la vie peut être sombre et drôle à la fois. C’est important de trouver l’humour dans les situations les plus sombres pour vous ?

Rachel Brown : C’est important de rire dans les ténèbres. C’est important de vraiment faire l’expérience de chaque émotion mais si on se laisse ensevelir par celles qui sont négatives ça limite la joie et les émotions positives. Je pense que si on reste reconnaissant pour ce qui arrive de bien, là naît l’espoir dans les ténèbres. Ça aide de rire des situations les plus terribles. Je ne pense pas que je pourrai comprendre ce qui m’arrive sans pouvoir en rire. Rire me fait me sentir plus fort.e.

Même si Sting aimerait posséder des mots, il ne peut pas.

Popnshot :Vous avez aussi une chanson qui s’appelle « Barley » où vous avez mis un maximum de paroles de Sting sans que ce soit attaquable. C’est très drôle, pourquoi lui ?

Nate Amos : On travaillait sur nos paroles et sans le savoir Rachel a inclus des paroles qui ressemblaient beaucoup à celles de Sting.

Rachel Brown : Se sont les dernières paroles, j’ai écrit « Fields of Gold ». Un ami les a lu et il m’a dit : « Tiens comme la chanson de Sting » et je lui ai demandé : « De quoi tu parles ? » et il m’a fait écouter cette chanson. Ça nous a fait rire.

Nate Amos : On en a parlé parce que Sting est connu pour poursuivre facilement en justice les gens qui reprennent ses morceaux. Alors on s’est dit « Et si on utilisait un maximum des mots qu’il y a dans cette chanson sans la plagier ? ». Comme ça s’il l’écoutait, il entendrait tous ces mots mais il serait super énervé de ne pas pouvoir nous attaquer puisqu’on ne lui a rien volé, ce sont juste des mots. Et même si Sting aimerait posséder des mots, il ne peut pas. Je crois que le maximum de mots mis bout à bout comme dans sa chanson c’est cette fameuse dernière phrase, c’est marrant, c’est la seule que tu as écrit sans le savoir Rachel.

Rachel Brown : Et on a appelé le titre « Barley » (orge en français Ndrl) parce qu’il parle d’orge dans sa chanson. les champs d’or se sont des champs d’orge en fait. Mais on utilise jamais le mot « Barley » dans la chanson. D’ailleurs quand on donne le nom du morceau, les gens ne comprennent pas parce que ça n’a aucun sens. Sans la référence, on ne peut pas comprendre.

La seule liberté que tu as aux USA est celle d’acheter

Popnshot : Vous parlez aussi beaucoup dans l’album du capitalisme comme une opposition à la liberté. Pour vous, pourquoi ces deux notions s’opposent ?

Rachel Brown : Je ne sais pas si elle s’opposent, je pense qu’aux US, le capitalisme fait qu’il est impossible de faire quoi que se soit autre que travailler jusqu’à en crever en gros. Si tu ne nais pas avec de l’argent, tu dois absolument trouver un boulot qui va payer tes dettes que tu as eu en allant à l’école, pour avoir un boulot, pour avoir de l’argent pour payer ça. Je crois qu’aujourd’hui aux Etats-Unis, tu as juste la liberté d’acheter un million de produits différents. Par exemple, il y a tellement de type de céréales. La seule liberté que tu as est d’acheter mais ce que tu peux te permettre ce qui est si peu finalement. Tu ne peux pas acheter du temps parce que tu l’utilises pour bosser. La liberté s’est perdue. Tu as la liberté de peut-être devenir président (rires). Théoriquement ça tu peux faire. Mais dans les faits, c’est théorique, tu es condamné par ton passé. Si tu as pu changer de classe sociale, tu es une exception. Peut-être qu’avant c’était différent. Mais aujourd’hui je ne connais personne qui peut s’offrir une maison même avec un bon boulot.

Nate Amos : Il y a une cinquantaine d’années, tu pouvais peut-être. Le salaire d’un seul homme pouvait alors faire vivre une famille de 5, 6 personnes et envoyer les enfants à la fac. C’est si loin de la réalité de ce que sont les USA aujourd’hui. Maintenant, tu dois travailler si dur pour avoir une vie confortable. Aujourd’hui si tu n’as pas d’avantage de par ta famille ou tes amis ou des connexions, tu ne pourras pas avoir une vie qui était facilement atteignable il y 20, 30 ou même 50 ans.

Rachel Brown :Maintenant les gens doivent décider de s’ils veulent avoir des enfants ou s’ils veulent voyager et prendre des vacances. J’ai une amie qui me disait que le ou la partenaire qu’elle devra trouver devra gagner une certaine somme d’argent pour qu’elle puisse vivre la vie qu’elle imaginait. Avec ça, on se demande si le rêve américain est vivant ou s’il n’est pas un peu mort.

Popnshot : De l’étranger, il parait assez mort…

Rachel Brown : Ouai, il est vraiment mort (rires). Même les libertés individuelles, celles pour les femmes ont été enlevées. Une partie des états aux USA sont régis par des gouvernements fascistes.

Dans certains lieux, les gens sont très heureux d’avoir réussi en réaction à faire bannir la Bible pour vulgarité et violence.

Popnshot : D’ici ça fait peur de voir à quelle vitesse de nombreux états ont changé et basculé dans des lois visant à réduire les droits de certaines communautés.

Rachel Brown : Oui, en Floride, si ton gosse est trans ils peuvent t’envoyer en prison, et placer l’enfant. Ils ont banni énormément de livres. Il y a 4 à 5000 livres qui ont été jugés inappropriés pour les enfants. Et pourtant certains étaient assez banales. Si j’étais un.e conservateur.tric un peu fou, il y aurait des sujets que j’imagine je ne voudrai pas voir aborder dans les livres mais là certains ouvrages sont complètement lambda.

Nate Amos : C’est un gros sujet maintenant de s’opposer ça. Dans certains lieux, les gens sont très heureux d’avoir réussi en réaction à faire bannir la Bible pour vulgarité et violence. Parce que quand on utilise les matrices qu’ils utilisent pour faire bannir les ouvrages, quand on voit leurs critères, la Bible est horriblement offensive.

Rachel Brown : Je me sens si mal pour tous ceux qui habitent en Floride en ce moment. Je lisais un article sur un mec à Indianapolis qui passait devant la maison de quelqu’un et il y avait le chien de la famille dans la cours mais il n’avait pas de laisse. Le chien s’est approché de lui et il a tiré sur le chien dans sa tête, devant ses enfants. Et il n’a pas été poursuivi parce que le chien n’avait pas de laisse et il n’y avait personne autour donc ce n’est pas illégal.

Water from your Eyes
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Popnshot : La communauté artistique aux États-Unis, notamment dans la musique, elle réagit comment à tout ça ?

Rachel Brown : Il y a pas mal d’artistes qui créent par exemple des shows de Drag queens dans des états du type Tennessee ou Floride. Disney, qui n’est pas un artiste je sais, mais qui d’habitude ne fait rien, s’exprime là clairement contre le gouverneur de Floride parce que c’est là que Disney Land se trouve.

Nate Amos : Tu sais que ça ne va vraiment pas si Disney s’implique (rires).

Rachel Brown : On fait des compilations pour lever des sommes pour le droit à l’avortement. Il y a un groupe qui s’est formé à Atlanta pour lever des fonds pour les activistes et les contestataires. Mais il y a beaucoup d’arrestations. A Atlanta ils ont arrêté le groupe qui s’occupe des donations. Je pense que la musique est importante et que les gens font ce qu’il faut pour apporter des informations sur le sujet mais je pense que les choses ont été trop loin pour simplement faire ça. Il faut des actions directes, financières ou matérielles parce que même si on dit des choses, le gouvernement se fout de ce qui est dit. Et puis certains musiciens supportent les actions du gouvernement. Il y a un musicien qui a juste posté « Joyeuse pride » et des gens lui ont dit qu’ils n’écouteraient plus jamais sa musique. Genre il y a tellement d’artistes qui respectent mes valeurs. Le musicien a répondu « Cool, je ne veux pas de gens comme toi qui écouteraient ma musique. »

Je me doute que tous les pays ont leurs soucis mais les États-Unis sont en train de devenir un empire qui s’écroule.

Popnshot : Le fait de quitter le pays et de tourner en Europe ça te donne une autre perspective de ce qui se passe dans ton pays ?

Rachel Brown: Je n’étais jamais sorti.e des États-Unis avant l’an dernier. Mais je me suis rendue compte que les droits anti avortement, les massacres de masse dans les école ne se passent pas ici. Je me doute que tous les pays ont leurs soucis mais les États-Unis sont en train de devenir un empire qui s’écroule. Malgré toute la propagande qu’ils font sur le fait d’être un grand, merveilleux et magnifique pays, ça se voit.

Nate Amos : La façade s’effondre. Pas le pays mais la façade qui révèle la vérité. Le rêve américain s’effondre.

Rachel Brown : L’idée de pouvoir prendre sa retraite aux USA aussi. C’est incroyable de voir les protestations qu’il y a eu ici. C’est génial d’avoir fait ça parce que honnêtement quand je parle à mes amis, je ne pense pas que notre génération pourra prendre sa retraite. Je ne pensais pas que la sécurité, les avantages sociaux, les assurances maladie ce qui a été mis en place pour aider les gens à avoir une meilleure vie, sera toujours là quand on sera à l’âge de la retraite. Du coup aujourd’hui, on voit des communautés très actives pour aider les autres personnes de leur communauté. C’est sûrement lié au Covid quand le gouvernement USA a laissé tout le monde face à la mort. Le Minnesota est un bon exemple de ce qui peut être fait avec un vrai soutien aux communautés mais il faut dire que cet état a un gouvernement de gauche.

Water from your Eyes
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Merci à Water From Your Eyes et Beggars pour cette interview.

Le groupe sera de passage le 10 novembre dans le cadre du Pitchfork Festival au Supersonic Records.


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