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 Certaines œuvres cinématographiques transportent avec elles des mythes, qui contribuent la plupart du temps à renforcer l’aura du réalisateur/réalisatrice concerné. Celui autour d’Henri-Georges Clouzot, cinéaste français des années 50, concerne son film inachevé de 1964 : l’Enfer. Un film connu de tous les initiés mais qui n’existe pourtant pas réellement. Quelques séquences tournées à l’époque témoignent d’un travail ambitieux. Le reste, c’est au spectateur de se l’imaginer. Le travail de titan qu’impliquait ce long-métrage a eu raison du réalisateur, tombé malade durant un tournage éprouvant, presque inhumain. Le projet était trop gros, trop beau pour l’époque. Pas assez de moyens pour le réaliser comme son créateur l’entendait. Il l’a alors laissé de côté puis abandonné définitivement.

 Pourtant, tout annonçait le meilleur. Un sublime duo d’acteurs : Romy Schneider et Serge Reggiani, couple aux milles qualités, une créativité débordante fait d’essais et d’expérimentations (notamment sur la couleur), un scénario bien ficelé autour la jalousie. Et la touche finale d’un grand réalisateur. Un fleuve à la bouche. Ainsi donc, le monde du cinéma s’accroche aujourd’hui à ces précieux rushs laissés à l’abandon, et retrouvés des années après le tournage, témoins d’une vision unique et orpheline. Les bouts sont là, mais L’enfer n’existera jamais complètement. Le mythe est créé.

 

Une perpétuelle fascination

Voilà qu’aujourd’hui, plus de 50 ans après, ce qui existe du film continue à fasciner. Il est peut-être plus simple d’explorer quelque chose d’inachevé. On peut le tordre et le secouer tant qu’il n’est pas figé. L’enfer et sa vision démoniaque de l’amour n’a rien d’immobile, il navigue partiellement parmi les époques, sans colonne vertébrale véritable, mais empreint d’une fantaisie propre aux œuvres inabouties. Les plans existent dans un ensemble restreint, malléable grâce à la nature de l’objet. Un objet audiovisuel donc intéressant à travailler. Et c’est justement ce qu’a décidé de faire l’artiste musical français Prieur de la Marne (nom hommage à Pierre-Louis Prieur, surnommé Crieur de la Marne, député et acteur important de la révolution Française). En s’appropriant les bouts du film existants, et en les remaniant à sa guise, Prieur de la Marne nous a invité à un voyage expérimental des plus insolites. C’est au Louxor qu’eut lieu la projection, en comité restreint.

Tout d’abord, la démarche surprend. Nous ne comprenons pas bien à quoi nous avons affaire. C’est un objet protéiforme, sans réelle base sinon les séquences du film, décortiquées par un montage répétitif à toute allure. Des morceaux viennent étoffer ce visuel déjà séduisant par lui-même. La musique s’enchaîne, plusieurs genres y passent, sans véritables articulations convaincantes. De Caribou à Katerine en passant par les Doors, les chansons choisies par l’artiste veulent appuyer la force des images, entrer en fusion avec elle, les sublimer, les dompter… Mais l’Enfer se laisse-t-il dompter aussi facilement ? C’est ce dont le projet devra nous convaincre. Car il est bien beau d’ajouter des musiques à un film inachevé, pour y déposer une vision personnelle, mais cela ne serait-il pas faire du mal à l’œuvre originale ?

 

Une curiosité douée de qualités …

 Il y a ainsi deux façons d’appréhender ce projet : lecture pertinente du film ou affront à l’œuvre de Clouzot ? Chaque camp se discute… Après la surprise des premières minutes, on décortique rapidement le sens du projet : faire vivre les images existantes par la musique, accompagnées d’une voix-off féminine, une sorte de guide. Dans ce sens-là, il suscite assez de curiosité pour qu’on s’y accroche. Les séquences prennent une tournure inattendue. Le spectateur/auditeur se balade dans un voyage personnel à travers une alliance qui, si on se prend au jeu, est plutôt efficace. Le choix des morceaux n’est jamais vain, et s’accorde aux images de façon réfléchie. C’est ainsi qu’« Etes Humains » de Philippe Katerine fonctionne terriblement bien sur la séquence dans laquelle Romy Schneider séduit un homme sur une barque, sous l’œil jaloux de son mari. Plusieurs autres morceaux ont un effet semblable, et offrent au film un éclaircissement subjectif. De ce point de vue, la démarche est noble, et offre au film la qualité d’une interprétation intéressante. La voix-off aide à ce développement, et atteste d’un regard pensé et littéraire sur l’œuvre. La protagoniste principale nous fait part de ses états face à sa situation de vie. Entourée par les griffes de son mari jaloux, l’enfer n’est jamais loin. Cette voix nous prend la main, et s’adresse à nous. Le film parle enfin.

 

… mais qui a parfois du mal à convaincre dans sa conception

 Tout cela se tient. Du moins dans l’idée. On serait tentés d’y croire et de se laisser bercer. Pourtant, quelque chose bloque. Car l’autre lecture qui émerge en parallèle de la première, elle, est un peu moins séduisante. On y voit un clip de trente minutes, qui laisse peu d’ouvertures, et qui ne parvient jamais vraiment à aller au bout de l’idée qu’il tente de développer. On reste en dehors, détaché, jamais pleinement convaincu des associations entre musique et image (sauf certaines comme dit précédemment). Le projet ne semble pas vraiment décoller malgré plusieurs tentatives, dont la principale est celle d’une trop grande quantité de morceaux. On le remarque d’ailleurs au générique de fin : la liste des chansons utilisées n’en finit plus, et un bon nombre deviennent très vite pénibles. Même si le choix semble approprié, le rendu est copieux, trop copieux. Les musiques s’éparpillent, et ne trouvent aucun socle stable et solide pour se réunir.

 La répétition des séquences, intéressantes en soi, miroir de la folie progressive des personnages, n’arrive pas à trouver l’appui sonore nécessaire et ne fait que nous égarer encore plus. La voix-off, conçue ici comme un appui littéraire et poétique aux images auxquelles elle tente de fournir des éclaircissements,  se noie dans quelque chose de distant et monotone, qui nous laisse une impression de surplus, d’excès… L’enfer est devenu un rouleau compresseur pour les yeux, les oreilles et le cerveau, un endroit sans trêve ni répit, où la musique s’acharne sur nous continuellement, avec peu de variations et de souffle d’air. Nous sommes enfermés, nous peinons à respirer. C’est donc ça l’Enfer ? Etait-ce là le projet de Clouzot ? Peut-être… Mais il ne faut jamais oublier une chose : le cinéma parle tout seul, inutile de le forcer à le faire.

 

Un projet qui mérite tout de même d’être félicité

 L’idée est donc intriguante, le projet honnête. Néanmoins, nous restons sur notre faim, avec la sensation de n’avoir vécu qu’une exploration limitée, qui ne trouve pas la force nécessaire pour véritablement nous conquérir. Le travail fait par Prieur de la Marne n’en est pas moins de taille et mérite tout à fait les applaudissements qu’il a reçu. Un projet insolite, dont les certaines qualités qu’on ne peut lui refuser, enchanteront la plupart, heureux de (re)voir les sublimes séquences d’un film culte, mises à l’épreuve par des morceaux que beaucoup reconnaîtront et qui sauront faire leur effet, porteurs d’une vision personnelle et assumée.

 

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