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Cyril Morin est un véritable touche à tout, à la fois compositeur, scénariste et réalisateur, celui qui se définit avant tout comme un « conteur » fête cette année ses 35 ans de carrière avec une double sortie d’albums. D’une part, la réédition de ses compositions pour la saison 1 de « Borgia » et d’autre part, son dernier opus  » New Dawn » : Une occasion en or de le rencontrer et d’échanger avec lui… 

Pochette de l’album New Dawn de Cyril Morin
DR : Julie Oona

Pop&Shot : Parlons de votre album « New Dawn », sorti il y a un petit mois maintenant. Pouvez vous nous dire quelques mots sur ses origines ?

Cyril Morin : New Dawn est un album qui vient de loin. Quand j’étais adolescent, j’ai travaillé, j’ai fréquenté de très bons musiciens de jazz. Mon instrument alors était la guitare. Mais j’ai fini par mettre de coté cet instrument… Et puis, avec le temps, j’ai eu ce projet de revenir à cette époque. Je me suis mis à écrire tout en reprenant la guitare, pour me remettre un peu au niveau, dans la mesure où beaucoup de compositeurs, par la force des choses, ne pratiquent plus forcément un instrument… C’est comme ça que j’ai pu mener à bien ce projet qui vient de mon adolescence…

P&S : Est ce que vous pouvez nous parler de vos sources d’inspiration ?

Cyril Morin : Justement, je pense que les musiciens écoutés pour cet album sont les mêmes que ceux que j’écoutais à l’adolescence… Il y a une grosse influence de Jaco Pastorius, de Brad Mehldau…  qui n’était pas là à l’époque, qui est plus récent. En fait, à l’époque il y avait trois types de musiciens : ceux qu’on écoutait sur des albums, Chick Corea, Herbie Hancock… Chick Corea que j’ai vu il n’y a pas longtemps, Herbie Hancock que j’ai pu rencontrer… L’influence est très vaste… On pourrait parler des musiciens de jazz dans la musique de films… Mais contrairement à de la musique de films, dans ce genre de cas de figure, on n’est pas limité pour les solos et on est dans une grande liberté, y compris dans l’improvisation.

P&S: Est ce que le fait de revenir aux sources, c’est pour vous un nouveau tournant avec une boucle bouclée ?

Cyril Morin : En fait, je fonctionne avec beaucoup de boucles, dans mon travail et dans ma vie. En effet, avec les musiciens avec qui je travaillais, on écoutait beaucoup Mahavishnu Orchestra, Zaba, Jean Luc Ponty. Des années plus tard, par chance, j’ai pu faire écouter à Jean Luc Ponty mon album, ici, dans mon studio… C’est ce que j’appelle une boucle. On écoute quelqu’un à une époque, après on le rencontre et après… Je pense pas que j’aurais été capable de l’écrire mais mes références étaient à ce moment là. ça prouve qu’on est sur le bon chemin, tout d’abord, ça boucle quelque chose avec la passé… C’est quelque chose qui m’arrive très souvent, qu’on appelle la synchronicité. Je fais très souvent attention à ça, aux symboles et ce que ça veut dire…

 


« New York est une ville inspirante, car tout le monde est passé par New York »


 

 

P&S : Pour le clip de Ballad with Jaco, vous avez mis en images New York. Vous  avez pour habitude de mettre de la musique sur les images, est ce que l’inverse est aussi facile ?

Cyril Morin : J’ai fait quelques clips. Qui étaient basés sur des films, des rushs augmentés si l’on peut dire…. Et j’avais toutes ces images tournées à New York et j’avais envie de leur donner un sens, j’ai eu envie de les compiler avec tout les prénoms de ces jazzmen… C’est vrai que New York est une ville inspirante, car tout le monde est passé à New York… Tout les jazzmen sont passés à New York… Tout les artistes sont passés à New York… Quand on se ballade dans la rue c’est toujours quelque chose de chargé, il y a toujours quelque chose dans l’air, donc je trouvais ça bien de passer par New York, là où on sait que tant de musiciens, que l’on connaît tous, sont passés.

Couverture de l’album de la saison 1 de Borgia DR

P&S : L’intégrale de vos compositions sur la saison 1 de Borgia sort prochainement. Pouvez vous nous en dire plus sur votre participation à ce projet ?

Cyril Morin : Le constat c’est que quand on compose pour une série, on prend le générique, les morceaux les plus longs et ça fait la BO. Mais ça ne reflète pas vraiment tout le travail qui est réellement fait, c’est à la fois un travail de précision et de changement de rythme. Il faut savoir qu’une scène de série dure généralement une minute, on a une musique qui illustre cette scène, puis on passe à une scène suivante, etc… Une musique d’ambiance va succéder à une musique d’action puis une musique dramatique,etc… Je parle bien sur pour une musique de série, au cinéma c’est différent, on a plus de temps pour dérouler sa musique et on peut donc avoir quelque chose qui se suit. En reprenant mes différentes compositions faites pour la saison 1 de Borgia, je me suis dit qu’il y avait du sens et qu’en en groupant certaines, en en séparant d’autres, ça donne plus l’esprit d’un opéra. Avec des variations importantes plutôt que des thèmes qui se succèdent et qui n’ont pas forcément de lien. Mais il n’y a pas la dramaturgie, je dirais même l’inter dramaturgie. C’est à dire la combinaison des différents drames, les différentes tensions que peuvent vivre les personnages. Cette inter dramaturgie est beaucoup mieux mise en valeur dans cette BO que dans celle sortie à l’origine.

 

 


« La musique est un triangle entre ce qu’on a voulu dire, le résultat et celui qui dirige tout ça, le réalisateur »


 

 

P&S : Comment se passe le processus créatif sur une série ? Comment s’est passé le processus créatif sur Borgia ?

Cyril Morin : Sur une série, au niveau de la musique, il faut vraiment être force de propositions. J’ai beaucoup composé en amont, j’ai fait écouter beaucoup de musiques à Tom Fontana ( NDLR : le showrunner de Borgia), il me donnait son sentiment sur ce qu’il aimait, ce qu’il aimait moins… Quand les images sont arrivés, je me suis perçu qu’une grande partie de la série était plus intimiste que prévu, c’est à dire que ça se passait plus en huis clos que dans des grands espaces. Une partie des musiques que j’avais fait ne convenait pas, car j’étais plus parti sur quelque chose d’épique, de grandiose. Finalement, on a utilisé ces musiques là pour les scènes spectaculaires avec de grands espaces, de la foule, des figurants,etc… J’ai donc retravaillé sur les scènes intimistes, on est comme dans Le Parrain, c’est l’histoire d’une famille . Mario Puzo, qui a écrit Le Parrain, a sorti récemment un livre sur les Borgia ! Le parallèle est intéressant.

P&S : Le processus créatif se fait donc en deux temps : avant les images et après les images. Est ce que cela se passe toujours de cette façon ?

Cyril Morin : Oui parce que la musique est un triangle entre ce qu’on a voulu dire, le résultat et celui qui dirige tout ça, le réalisateur. Finalement, c’est dans ce triangle qu’on doit se retrouver. C’est ce triangle qu’on doit combler musicalement, c’est à dire qu’il est possible que pendant le tournage on n’ait pas la scène que l’on voulait faire, l’ambiance qu’on voulait retranscrire, mais le fait de connaître le script permet de rajouter un petit élément dans la musique pour d’une certaine façon rattraper la scène. C’est l’équation entre ces trois choses qui permettent de faire une bonne musique de film/série. Je pense vraiment qu’il faut écouter les trois, même si j’aurais tendance, avec l’expérience à privilégier le scénario.

P&S : Est ce qu’il y a une différence entre composer pour une grosse production internationale, comme Borgia, et une saga de l’été française, comme vous avez pu le faire avec Méditerranée, il y a quelques années ?

Cyril Morin : C’est la même chose. L’époque a changé bien sur, on attend plus la même chose qu’avant. La fiction française a changé, elle est en pleine évolution, même si à mon avis elle est encore un peu lente. Ce qui a changé c’est le thème. On est moins demandeur sur une thématique, on est plus demandeurs sur une atmosphère. Il n’y a plus le rendez vous télévisuel, on regarde la série quand on veut. On va la chercher, à l’époque, elle passait. Ce sont deux approches très différentes, on recherchait le thématique pour que ce soit fidélisant, alors qu’aujourd’hui, ce n’est pas la musique qui fera qu’on sera fidèle ou non à une série. On a besoin de rentrer dans une ambiance, parce qu’en rentrant dans une série, on va y rentrer pendant 12 heures, 24 heures, 36 heures, c’est pourquoi donner la meilleure ambiance possible est essentielle. La musique crée un véhicule qui ballade le spectateur au milieu de personnages qui sont souvent plus complexes que dans le cinéma.

 


« Je travaille plus sur les sentiments que sur l’image »


 

P&S : Est ce que vous avez senti une évolution similaire dans l’univers du cinéma ? Et avez vous ressenti une évolution sur votre façon de travailler ?

Cyril Morin : Oui. J’ai moins besoin des images. Je travaille beaucoup plus sur les idées que sur les images. Je travaille beaucoup plus sur les sentiments que sur le spoting de l’image. Le spoting de l’image c’est le fait de dire « il rentre là, il ferme la porte, on passe d’un plan large à un plan serré sur le personnage et il ressort de la pièce » et que la musique doive suivre ce mouvement. Ce n’est pas quelque chose qui est intéressant au premier abord. Ce qui est intéressant c’est de se dire « on va dans tel univers , je vais prendre tels ingrédients qui sont de l’orchestration, je vais me rendre dans cet univers avec ces ingrédients et on va donner une couleur particulière, mais une couleur qui est pensée avant même d’avoir vu les images. Maintenant, c’est toujours bien de voir quelques rushes, quelques extraits, pas forcément le film en entier. Ça m’est arrivé récemment et souvent arrivé dans ma carrière. Vous avez mentionné « Méditerranée » tout à l’heure, pour « Méditerranée » j’ai fini la musique, le dernier jour de tournage ! Dans l’équation Histoire/Résultat à l’image/Vision du réalisateur, sur cet exemple précis, je me suis basé beaucoup sur ma relation avec le réalisateur, ce qu’il attendait et sur l’histoire, le script. C’est intéressant, je me souviens avoir rencontré Gabriel Yared qui lui me disait qu’il ne travaillait que sur le scénario. Et à l’époque je ne comprenais pas, j’avais presque trouvé ça loufoque ! Et en fait, quelques années plus tard, j’en suis arrivé à la même conclusion. Après, il y a des films ou on ne reçoit pas le scénario et ou on reçoit directement le film! Ça a été le cas sur mon dernier travail pour le cinéma d’ailleurs… On est dans une toute autre logique de création dans ce cas de figure…

P&S: Vous avez été récompensé dans de nombreux festivals, qu’est ce que ce type de reconnaissances vous apporte ?

Cyril Morin : Sur le plan personnel, tant que ce n’est pas un des prix majeurs de la profession, ça n’apporte pas grand chose. On ne va pas tourner autour du pot (rires). En même temps, je n’ai pas participé à beaucoup de compétitions françaises, car je n’ai pas réalisé de film français. Je n’ai eu qu’un film nommé pour les Césars. Pour les prix majeurs, il faut savoir que c’est quand même un gros travail d’attaché de presse. Tout seul, on a beau faire la plus belle musique du monde, on n’aura pas de prix. C’est très politique. La musique de film est très politique. Donc, je ne peux pas dire que ça m’ait apporté grand chose. A part… A part une grande satisfaction personnelle. quand on est musicien, la moitié de son enfance on joue faux. On essaie de faire des groupes, ça sonne pas terrible. Et petit à petit, on arrive à sortir quelque chose, mais ça prend vingt ans ! Peut être que les générations nouvelles sont beaucoup plus talentueuses et baignent dans de plus nombreuses influences, donc sortent des choses plus tôt. Mais il faut savoir que la moitié de son enfance, on est pas du tout un héros. C’est du travail la musique. Du coup, quand on a ses premiers droits d’auteur, quand on a ses premières récompenses dans des festivals, dans des petits festivals, ça fait extrêmement plaisir.

The Activist Cyril MorinP&S : Vous avez été récompensé, notamment pour The Activist, quelle différence faites vous entre la composition d’une musique, l’écriture d’un scénario et la réalisation ?

Cyril Morin : C’est une vaste question. J’ai beaucoup raconté d’histoires dans mes musiques ou mes albums personnels. Mais en musique, quand on envoie une histoire musicale, qui n’est pas chantée et est juste instrumentale, à cent personnes on aura cent histoires différentes. On n’est pas dans la précision d’une histoire. On est très flottant, très aérien, très dans l’éther… On est pas dans quelque chose de concis et de précis. Une autre façon de raconter une histoire, avec la même énergie, c’est justement d’écrire une histoire. C’est dire « là je vais vous parler de l’insurrection indienne en 73, à Wounded Knee, sous Nixon, à la fin de la guerre du Vietnam, le Watergate, les Oscars avec Brando », c’est dire « je vais vous parler de ça ». ça devient quelque chose d’extrêmement précis dans la communication. C’est une autre approche, moins éthérée, plus terre à terre, plus frontal, plus physique. C’est une autre façon de raconter une histoire. Passer à la réalisation après, c’est du coup continuer ça avec de l’image. Avec ces films ( NDLR : « la trilogie US »), c’était une sorte d’apprentissage. Ce n’est pas forcément évident quand on commence assez tard, comme je l’ai fait, avec ces films qui sont fait avec peu de moyens mais qui permettent de dire quelque chose, d’avoir un autre type d’expression. Après sur les images en elles mêmes on peut toujours s’améliorer… Je suis avant tout un raconteur d’histoire. Que j’écrive, que je compose ou que je réalise. Je ne suis pas intéressé par la pure forme, je suis intéressé par le fond. Tant pis si c’est de manière un peu classique parfois. « The Activist » a une réalisation très classique. Après, avec la pratique, on apprend à jouer avec les images, à les rendre plus volatiles, mais ça c’est quelque chose qu’on ne peut pas maîtriser tout de suite, sauf à sortir d’une école de cinéma et d’avoir étudié pendant de nombreuses années… J’apprends à le faire.

 


« Ce qui m’intéresse c’est de parler de la société »


 

P&S : Est ce un choix délibéré ou un concours de circonstances qui vous ont amenés à travailler sur des sujets ou histoire et politique sont étroitement liés, comme « Mitterrand à Vichy », « Série Noire »,etc… ?

Cyril Morin : C’est un vrai choix d’être dans des histoires mêlant politique et histoire. Ce qui m’intéresse c’est de parler de la société. C’est vraiment un choix de départ. J’ai jamais fait dans « l’entertainment ». J’aurais adoré faire un Disney, mais c’est pas moi. Tout simplement. Je suis plus dans une réflexion. Dans la forme d’expression, il y a une vision sur la société. C’est ce qui explique pourquoi je suis passé à l’écriture et à la réalisation. J’exprimais déjà ces sujets, si vous écoutez « Flood », un vieil album, ça parle d’un certain nombre de sujets, il faut lire les titres… C’est l’un des avantages de la musique, de pouvoir dépasser les paroles, la compréhension consciente, classique mais c’est aussi un de ses désavantages quand on veut raconter quelque chose de plus précis. On peut passer à coté.

P&S : Pour conclure, quels sont vos projets à venir ?

Cyril Morin : J’ai deux BO, deux musiques de films qui vont sortir cette année. J’ai un album qui sortira l’an prochain, qui est la suite de « Ayurvéda ». Ayurvéda 2  sera dans un style très différent. En matière de films j’ai beaucoup de projets, j’écris et je développe beaucoup, sur plusieurs formats. Beaucoup de projets qui se sont accumulés commencent à prendre forme. Il y a un documentaire, une série, voire deux séries, il y a un long métrage, que j’ai écrit, qui est français d’ailleurs, sur lequel je suis juste au scénario et enfin, il y a mon prochain film. Il doit se tourner l’année prochaine. Sa thématique sera « 50 ans de la vie d’un couple »