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Sylvie Kreusch a probablement sorti le meilleur album de cette fin d’année. A l’origine d’une pop délicate, enchantée, dansante et surtout abreuvée par une potion magique dont elle seule a la recette, la chanteuse belge était de passage à Paris la semaine dernière pour défendre ce nouvel opus intitulé « Comic Trip » sur la scène de la Maroquinerie (report disponible ici). Nous avons saisi l’occasion pour lui poser quelques questions qui nous préoccupaient : comment cet album peut-il être si merveilleux ? Quel est son secret pour être si magnétique et charismatique ? Et a t-elle vu le film « Velvet Goldmine » de Todd Haynes ? Vous trouverez dans cet article les réponses à toutes ces interrogations qui, nous sommes sûrs, vous taraudent également  !

Sylvie Kreusch – Crédit : Eloïse Labarbe-Lafon

Pop & Shot : Pouvez-vous nous présenter ce nouvel album en trois ou quatre mots ?

Sylvie Kreusch : Je dirais d’abord qu’il est très ludique et coloré. Je pense qu’il est aussi audacieux en un sens. Et puis d’inspiration western… Ca fait quatre mots là non ? *rires* Si vous avez un autre mot en tête, n’hésitez pas à l’ajouter !

Pop & Shot : Il y a une certaine évidence dans ce disque qui, de bout en bout, est merveilleusement composé, écrit et arrangé. Cela donne l’impression que la direction artistique était claire depuis le début, que vous saviez exactement où vous vouliez aller, mais était ce vraiment le cas ?

Sylvie Kreusch : Ca ne l’est jamais. Je ne sais jamais ce que je vais faire avant de l’avoir fait. C’est seulement à la fin du processus que tout s’éclaircit. Je trouve ça difficile d’arriver avec un concept, ou alors si tu en as un, de vraiment se lancer dedans. Parce que l’ensemble de la réalisation d’un album prend tellement de temps qu’il est certain que si j’ai un concept, il n’arrêtera pas de bouger en cours de route. Les choses évoluent si vite.

Pop & Shot : Est ce qu’il y a eu un élément déclencheur ? Qu’est-ce qui est venu en premier ?

Sylvie Kreusch : La seule chose que je savais, c’est que je voulais faire quelque chose de très positif.

Après Montbray (son premier album sorti en 2021), je me suis dit ras le bol des ruptures et des chagrins d’amour. Je voulais être amusante, ou plutôt que l’expérience soit amusante, à l’inverse de ce premier album où il était beaucoup question de moi pleurant dans ma chambre, seule et en colère *rires*

Puis j’ai été inspiré par le morceau « Walk Walk », figurant sur mon album précédent, qui m’a donné l’envie de prendre une nouvelle direction pour ce deuxième opus. Les premières chansons sont apparues quand nous sommes venus en France avec mon guitariste, on est restés deux ou trois semaines et on a écrit énormément. C’est un peu là que tout a commencé.

Pop & Shot : Vous étiez dans un état d’esprit plus enjoué.

Sylvie Kreusch : Oui mais paradoxalement, ca a été plus compliqué pour moi, du fait de cela. Ca a pris du temps pour savoir quoi faire.

Pop & Shot : Ca vous a pris combien de temps ?

Sylvie Kreusch : Ca m’a pris du temps de me remettre dans le processus d’écriture parce que c’est une compétence que tu peux perdre si tu es trop occupée par la tournée par exemple. C’est quelque chose qui revient progressivement et que tu dois aller chercher à nouveau. Cette étape a pris une année. Puis quand je fus de nouveau sur les rails, les chansons sont venues rapidement. Je les ai écrites en quelques mois.

Pop & Shot : Dans votre travail, quelle est la part de spontané et de délibéré ?

Sylvie Kreusch : J’aimerais pouvoir écrire sur les tournées mais je n’y arrive pas. J’ai vraiment besoin de m’ennuyer. Ca m’aide toujours de me rapprocher de la nature. Je ne suis pas du genre à devoir vivre en ville pour ressentir les choses. Je suis très vite submergée puisque trop stimulée. Impossible de m’entendre penser dans cette atmosphère oppressante. C’est pour cette raison que j’ai déménagé proche de la nature, avec un grand jardin. M’ennuyer, c’est le remède ! Dès lors que l’ennui arrive, je dois écrire sinon je deviens très anxieuse.

Pop & Shot :  Cela se ressent dans votre style de pop, hyper élégant et relativement calme, à l’inverse d’un style que l’on aime de plus en plus pousser dans ses extrêmes depuis quelques années avec des sonorités toujours plus brutes – je pense à Charlie XCX notamment, devenue une véritable icône – c’est important pour vous de garder cet aspect plus tranquille ? Et je tiens à préciser que j’adore votre musique autant que celle de Charlie XCX !

Sylvie Kreusch : Je peux trouver du plaisir à écouter Charlie XCX également ! Mais c’est la première chose que j’ai su lorsque j’ai commencé à faire de la musique : le désir de faire quelque chose de dansant mais avec des sonorités chaudes. Je serais d’ailleurs incapable de faire un « cold beat » ! On se moquerait de moi. Je n’ai pas le talent pour être si moderne et à l’avant-garde *rires* Ce que j’adore dans la musique, c’est lorsque qu’elle est faite par de vraies personnes donc j’essaie de rester à l’écart des ordinateurs.

Pop & Shot : Vous avez décrit ce nouvel opus comme un album coloré et ludique. Et effectivement, votre musique et vos visuels dégagent parfois un sentiment d’émerveillement et d’imagination enfantins. Quel rôle joue cet aspect ludique dans votre identité artistique ?

Sylvie Kreusch : C’est l’un des premiers thèmes retenus pour l’album lorsque j’ai commencé à réfléchir à sa conception parce que c’est arrivé à un moment de ma vie où je ne me sentais pas inspirée du fait de mon cadre de vie on ne peut plus tranquille. Ma vie était très cosy. J’étais dans une relation saine et stable. Je me réveillais en faisant des trucs chiants réservés aux adultes, comme remplir des papiers administratifs. D’un côté, j’adorais cette atmosphère paisible, mais d’un autre côté, ca n’est pas vraiment recommandé aux artistes *rires* C’est un tue l’inspiration. Un conflit se jouait dans ma tête. Comment ouvrir à nouveau mes sens sans avoir à replonger dans des relations nocives, ni devoir forcément sortir, boire etc ? Comment retrouver l’état d’esprit dans lequel on se trouve suite à une peine de cœur sans devoir en revivre une ? Je ne voulais pas m’infliger ça de nouveau.

Alors j’ai repensé à lorsque j’étais enfant, toujours la tête dans les nuages. J’ai beaucoup été punie à cause de ça *rires*. Là m’est venu l’idée de retrouver ce regard enfantin sur le monde. Ca a guidé mon inspiration.

Pop & Shot : Il y a plusieurs références au monde de la bande dessinée dans l’album (le titre, le clip du morceau éponyme…) et on sait l’importance et la place majeure que cet art occupe en Belgique. C’est quelque chose à laquelle vous êtes attachée ?

Sylvie Kreusch : Dans ce désir de retrouver mon regard de petite fille sur le monde, j’ai essayé de me replonger dans des moments précis de mon enfance, comme mon attachement aux bandes dessinée. On en avait énormément dans le grenier de chez ma grand-mère. J’étais tout le temps en train d’en lire. Ca m’a paru être un concept intéressant à décliner en chansons.

Mais en réalité, c’est un seul morceau, qui donne son nom à l’album, qui navigue autour de cet univers. C’était pour moi une manière visuelle pertinente pour donner un aperçu de l’album entier, de ses thèmes et de son esthétique globale.

Pop & Shot : Pour décrire l’album, vous avez aussi employé le mot western, et ses références dans l’album ne nous ont pas échappé. C’est un univers qui vous parle ?

Sylvie Kreusch : C’est surtout une coïncidence, que tous ces éléments soient réunis. Je me rappelle que j’écoutais énormément Toots Thielemans, un immense joueur d’harmonica belge. Il est mort il y a quelques années. Il a joué dans tous les films. Quand tu entends un peu d’harmonica dans un western, tu peux être sûr que c’est lui !

On pourrait le comparer à… je ne sais pas… Qui est actuellement le plus grand artiste belge à l’heure actuelle ? Peut-être Stromae.

Et bien quand tu regardes l’impact de Toots Thielemans à l’international, c’est complètement fou ! Il m’a beaucoup inspiré. Mais je le répète, c’est une coïncidence que tous ces mondes se rencontrent, celui du western, de l’harmonica, de la bande dessinée et de l’enfance…

Pop & Shot : Et vous aimez regarder des westerns ?

Sylvie Kreusch : Oui, j’aime beaucoup Midnight Cowboy (1969, John Schlesinger) notamment. Je ne sais pas si on le considère comme un western typique parce que c’est assez psychédélique. Mais j’adore !

Pop & Shot : Ca fait particulièrement sens parce que vous semblez puiser beaucoup d’inspiration dans les années 60 et 70, et même dans les années 20 sur le clip de « Daddy’s Selling Wine in a Burning House », à la fois en termes de musique et d’esthétique. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir à cette époque ? 

Sylvie Kreusch : Je suis quelqu’un de très nostalgique en général. Avec les voitures, les maisons, tout… Je resterai toujours accrochée à ces époques où je n’étais pas née. Parce que le futur m’angoisse énormément. Si on pouvait avoir un bouton pour revenir dans le temps au lieu de continuer vers l’avenir, je l’utiliserais sans aucun doute.

Comic Trip – Sylvie Kreusch

Pop & Shot : Peux-tu nous parler de cette très belle pochette d’album ? 

Sylvie Kreusch : C’est une artiste française de Paris. Elle s’appelle Eloise Labarbe-Lafon. Elle fait toujours des photos analogiques qu’elle colorie avec de la peinture. Je l’ai rencontre parce que son copain m’a accompagné sur une tournée. J’ai tout de suite été subjuguée par son travail. J’ai vu une interview d’elle où elle explique son approche et sa manière de faire son art, très similaire à la mienne. La manière dont elle utilise les couleurs par exemple, comme si un enfant avait peint. Je me suis dit que ça pourrait être le match parfait !

Quand elle m’a proposé un choix de couleurs original, au départ, j’étais un peu réticente parce que j’étais habituée à des couleurs typiquement mystérieuses comme le rouge. Je trouvais ça vraiment audacieux. Mais je l’ai laissé faire bien entendu et maintenant, je suis tellement heureuse du rendu !

Pop & Shot : d’où vient l’idée de cette photo ?

Sylvie Kreusch : C’est l’idée d’un enfant qui porte sur sa tête un bocal à poisson, avec derrière la symbolique que tout est possible. Avec de l’imagination, tu peux aller dans l’espace !

Pop & Shot : Est-ce aussi un aspect de votre personnalité, que de se réfugier dans son monde à soi, avec un goût pour l’isolement ?

Sylvie Kreusch : C’est drôle parce que mon manageur m’a fait la même réflexion, il croyait que c’était parce que j’avais parfois la tête dans les nuages ! J’aime aussi cette idée, même si ça n’était pas vraiment intentionnel au départ.

Pop & Shot : Il y a dans votre travail une certaine énergie magnétique, théâtrale et un aspect androgyne qui rappellent l’Aladdin Sane de Bowie, même si vous le réinterprétez avec une puissante touche féminine. L’approche de Bowie en matière de personnage et de performance vous influence-t-elle ?

Sylvie Kreusch : Oui carrément ! C’est toujours le premier nom qui me vient à l’esprit. Il excellait à beaucoup d’endroits : dans sa manière de performer, dans son univers visuel, mais aussi dans sa manière de changer constamment d’identité et de look et de s’entourer de personnes qui l’inspirent profondément… C’était un directeur artistique génial. J’essaie de m’approcher de cette conception. Je n’ai pas envie d’avoir peur de faire quelque chose de radicalement différent que le public n’attendra pas. Il y a tellement de facettes chez un être humain et Bowie avait décidé de les incarner toutes au travers de divers personas. Chacun de ses albums est très différent du précédent, comme une sorte de rébellion. Chaque personnage que le public aimait, il finissait par le tuer. C’est une grande inspiration.

Sylvie Kreusch – Crédit : Oriane Verstraeten

Pop & Shot : Avez-vous vu le film Velvet Goldmine de Todd Haynes ? Les personnages sont très inspirés de Bowie, Iggy Pop et Lou Reed, avec beaucoup de costumes et de paillettes…

Sylvie Kreusch : Non mais ça m’intéresse, je le note !

Pop & Shot : Qui écoutez-vous en ce moment ?

Sylvie Kreusch : J’ai vu Jessica Pratt il y a quelques jours ! J’étais subjuguée. Je connais son travail depuis longtemps.

J’ai aussi découvert la musique de Suki Waterhouse. Son album est très beau. Elle est incroyable, avec une super voix.

 

Propos recueillis par Léonard Pottier et Pénélope Bonneau Rouis


Sylvie Kreusch - La Maroquinerie - Crédit photo : Pénélope Bonneau Rouis

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