Buck Meek, connu pour être le lead guitare des excellents Big Thief, a aussi une carrière solo. Il publiait le 25 août son tout nouvel album « Haunted Mountain », un opus qui parle d’amour dans toutes ses formes mais aussi de celui qu’il éprouve pour son épouse : Germaine Dunes. Un périple à travers les montagnes miraculeuses mais aussi sauvages et dangereuses dont la bande son touche clairement à la country. La musique s’y façonne sur fond d’héritage américain, profondément solaire, elle invite à la douceur et à la joie. De passage à Paris le temps d’un Hasard Ludique complet et très chaud, Buck Meek a accepté de répondre à nos questions. Dehors, assis sur coussin de sol, le très sympathique musicien nous parle de son rapport à la communauté, du fait de rester humble, de la culture musicale américaine, de son projet solo comme de Big Thief. Un rencontre enivrante et passionnante, à lire ci-dessous.
Popnshot : Comment tu décrirais ton album « Haunted Mountain » ?
Buck Meek : Sur cet album j’ai essayé d’écrire une chanson d’amour vraiment honnête ce qui pour moi est la chose la plus difficile à écrire. Le dernier album parlait de perte, de processus de guérison et de rupture. Sur celui-ci je parle d’amour, mais dans tous les sens du terme. De l’amour d’une mère pour son enfant, d’amour platonique, d’amitié mais aussi du travail que demande le fait d’entretenir une relation saine.
P&S : Il se dit qu’il est plus simple d’écrire des chansons au paroles tristes ou mélancoliques. Comment as-tu appréhender la lumière et la joie qui transpercent cet album ?
Buck Meek : Ce n’est pas évident d’écrire un morceau joyeux sans devenir banal. Pour moi c’es plus simple d’écrire lors d’un processus de guérison quand la douleur est encore là. Parce que la douleur donne l’impression qu’on sort de son propre corps. Quand je souffre ou que je dois abandonner quelque chose j’ai cette impression naturel de sortir de mon corps. La joie est bien plus direct, elle fait sentir tout son corps. Et ça peut vite se transcrire de manière banale. C’était un challenge pour moi d’écrire quelque chose de joyeux mais qui resterait frais.
Ça me rappelle que je suis vulnérable et c’est très intéressant à exploiter dans mon processus créatif.
P&S : Cet album, il parle aussi de montagnes, puisqu’il a été écrit dans les montagnes du Portugal. Ton dernier album avec Big Thief s’appelle « Dragon new warm Mountain I Believe in you », celui-ci « Haunted Mountain ». C’est la nature sauvage qui t’interpelle autant dans cet environnement ?
Buck Meek : J’aime les montagnes pour leur volatilité. Il y a toujours un sens du danger là-bas qui rend humble. Ça me tient éveillé et c’est un bon rappel de mon insignifiance je pense. Ça me rappelle que je suis vulnérable et c’est très intéressant à exploiter dans mon processus créatif.
J’essaie d’écouter plus et l’humilité, fait partie de ce chemin.
P&S : Etre humble, c’est un mot que tu utilises énormément et qui revient dans toutes tes interviews. Pourquoi cette notion est-elle si importante pour toi ?
Buck Meek: Je pense que c’est un des plus grands challenges dans la vie de travailler son humilité. Que ce soit avec ton ou ta partenaire, tes amis, c’est un élément essentiel. Etre proche d’une personne c’est rester humble, curieux et avoir de l’empathie pour elle. C’est si simple de te laisser aller à ton égo, de penser tout savoir. En plus, en tant qu’homme je pense que c’est un trait récurent de la masculinité toxique que de se dire qu’on a les solutions à tout et qu’on doit tout expliquer. J’essaie d’écouter plus et l’humilité, fait partie de ce chemin.
P&S : Ecouter plus c’est aussi un chemin qui vient avec la maturité. J’ai l’impression qu’en vieillissant ça devient plus simple d’entrer dans ce processus.
Buck Meek : C’est vrai. Mes parents sont toujours ensemble. Mon père aime encore énormément ma mère. J’ai beaucoup appris d’eux. De voir mon père écouter ma mère. C’est une femme très forte. Mais je pense qu’être dans un groupe peut aussi être un vrai challenge. Tu est dans des lieux restreints, très proches pendant des heures parfois des semaines. Et peu importe qui tu es, il y aura naturellement des frictions qui naîtront même si vous êtes meilleurs amis. Avec Big Thief comme avec mon groupe, le show à la fin de la journée est une chose qu’on chérit et qui permet de tenir ensemble. C’est un peu comme un enfant qu’on co-parente. Et du dois bosser au delà de tes résignations, de tes peurs pour rester ensemble et élever cet enfant qui est la musique.
La communauté donne du pouvoir dans la musique
P&S : L’amitié est un vecteur essentiel de ta musique. Tu en parles beaucoup et surtout elle se ressent dans tes différents projets musicaux. Pourquoi est-elle centrale dans ton travail ?
Buck Meek : Je pense que la communauté donne du pouvoir dans la musique. Tous les groupes que j’ai eu font partie d’une communauté. Big Thief par exemple est une toute petite partie d’une grande communauté d’amis qui se soutiennent les uns les autres. On joue avant tout pour nos amis notamment quand on les retrouve à New-York. Ils font partie de plus de 20 groupes. Avoir des gens en qui on peut avoir confiance et à qui faire écouter notre musique, c’est primordial.
Une chose que je trouve distinctive dans la musique américaine c’est que tu es un immigrant et donc tu prends à différentes cultures.
P&S : C’est quelque chose qui transparait dans Big Thief et qui ajoute quelque chose de très beau au groupe. Parmi tes amis tu as aussi Jolie Holland qui signe plusieurs morceaux de ton nouvel album. Tu disais dans une interview qu’elle a une véritable compréhension de ce qu’est la musique américaine. Pour toi, qu’est-ce qu’est la musique américaine ?
Buck Meek : C’est bonne question. (Il prend le temps de réfléchir). Une chose que je trouve distinctive dans la musique américaine c’est que – et sauf si tu es natif américain et que tu fais de la musique indigène – tu es un immigrant et donc tu prends à différentes cultures. C’est un amalgame de différentes cultures. Aux Etats-Unis tout le monde est un peu orphelin culturellement. Au bout de 5, 6 ou 7 générations, ils n’ont aucune idée d’où ils viennent. Je sais que j’ai du sang français, italien, gallois … mais je n’ai aucun connexion à ces cultures. Il y a une perte et une tristesse là-dedans. Mais tu dois aussi trouver ta propre identité et prendre ce que tu peux sur ce chemin-là. Tu dois créer une synthèse de tout ça. A un certain degré, la musique américaine est une synthèse de ses influences, pour le meilleur et pour le pire. Il y a beaucoup d’influences africaines qui vient des esclaves, il y a beaucoup d’évidences. A un certain degrés c’est une musique de voyageur.
ce que j’aime le plus dans la musique américaine, c’est d’écouter comment les gens se découvrent et découvrent leur identité, à travers la musique
P&S : Qu’est ce qui te touche le plus dans ces musiques ?
Buck Meek : Il y a un mythe dans les histoires américaines. C’est difficile à expliquer, c’est une bonne question, personne ne me l’avait jamais posée avant . Je pense que c’est ce que j’aime le plus dans la musique américaine, c’est d’écouter comment les gens se découvrent et découvrent leur identité, à travers la musique, sans dépendre d’un héritage en dehors de l’héritage américain qui est très abstrait.
P&S : Ton album aussi est international. Tu l’as écrit au Portugal, enregistré au Texas. Comment tout ce chemin l’a-t-il façonné ?
Buck Meek : J’ai écrit les chansons pour cet album dans beaucoup d’endroits, je voyageais beaucoup et j’étais en train de tomber amoureux de la personne qui est aujourd’hui ma femme. Elle vient des Pays-Bas. On a voyagé au Portugal, en Grèce et dès qu’on le pouvait, on allait camper et j’écrivais pendant ce temps. Mais pour ce qui est de l’enregistrement c’est mon producteur qui a voulu qu’on le fasse là où j’ai grandi. C’est le premier album que j’enregistre là-bas.
P&S : Comment s’est déroulé l’enregistrement ?
Buck Meek : On a enregistré en deux semaines. La première semaine on a enregistré tous les rythmes. On se mettait en cercle dans une grande pièce et comme le voulait mon producteur, on jouait tout en live ensemble avec les vocaux eux aussi en live. La deuxième semaine on l’a mixé.
P&S : Ta femme ouvre aussi pour toi sur cette tournée. L’album lui est dédicacé. Qu’est ce que ça fait de l’avoir avec toi pour pour le jouer ?
Buck Meek : C’est très doux. Mais ça me rend vulnérable. Il y a certains titres qui sont très honnêtes et ça me rend vulnérable de les chanter avec du monde autour parce que je les trouve très intimes.
j’ai beaucoup appris à soutenir notre chanteuse, Adrianne (Lenker),à comment vraiment la suivre et à être dans l’empathie.
P&S : Tu as passé l’été à tourner avec Big Thief et cet automne tu es en solo. Comment tu vis le fait d’être cette fois, le lead singer ?
Buck Meek : Les deux projets se donnent de l’oxygène mutuellement. Parce que avec Big Thief, j’ai beaucoup appris à soutenir notre chanteuse, Adrianne (Lenker), à comment vraiment la suivre et à être dans l’empathie. Quand je suis le leader, je me rends compte que je m’inspire beaucoup d’elle parce que j’ai beaucoup appris d’elle. Avec Big Thief c’est plus abstrait puisque je fais les instruments. Je peux faire l’ambiance ou les mélodies, je peux être sauvage et noisy ou au contraire très calme. Avec ce projet, j’ai plutôt la responsabilité de guider le public à travers une histoire. Et dire ma vérité honnête.
P&S : Le live et le studio peuvent sonner différemment. Vous avez rencontré le problème avec Big Thief et le titre « Vampire Empire » dont la version studio, sortie plus tard, avait déçu certaines personnes , à tord, les deux sont excellentes. Penses-tu qu’un morceau à plusieurs visages, changeant à chaque interprétation ?
Buck Meek : Je l’espère, c’est comme ça que j’aime jouer de la musique du moins. Mais c’est bien aussi parfois d’avoir un squelette et une façon de retourner à la base d’un morceau. C’est amusant parfois de jouer de la musique complètement improvisée. J’aime qu’il y ait une structure : les paroles, la mélodie et une forme d’improvisation. C’est ce qu’on essaie de créer en studio avec les groupes. On joue tous en même temps pour voir ce que chacun donne. On a des réponses à la seconde, on jour une chose et on répond à ce qu’une personne a joué dans la pièce.
Je veux débloquer les chansons dans de multiples dimension
P&S : Ton projet solo tu en parles toujours comme d’un groupe. C’est très rare cette démarche. Pourquoi ce besoin de mettre le groupe au centre ?
Buck Meek : Je veux débloquer les chansons dans de multiples dimensions et quand j’écris les paroles, j’essaie de faire appel à tous les sens. Il y les lumières, la période de l’année et de la journée. Je veux que ce soit un lieu où on peut vivre dans les chansons. Et avec un groupe c’est aussi quelque chose que je peux faire. Créer un espace à quatre dimensions, ce n’est pas une chose que je peux faire seul. Les musiciens qui jouent avec moi ont une telle dimension sonique que ça nous permet d’élever la musique.
P&S : Qu’est ce qui vient en premier les paroles ou la mélodie ?
Buck Meek : C’est simultané. Je prends habituellement la guitare et j’écris de façon abstraite, je mets de mots, souvent des syllabes sur la mélodie. Et puis je fais des sons dessus. La mélodie vient donc un peu en amont mais elle est accompagnée de mots, de formes. Et quand ça me parait bien je transforme ces formes en une narration. Mais je laisse le subconscient agir avant que le conscient ne dessine une carte.