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Album après album #3. Quoi de mieux en cette période si particulière que de dédier son temps libre à la découverte ? Certainement l’une des choses les plus stimulantes de notre existence. Chercher… Découvrir… Ne pas s’accommoder à quelconque confort, mais toujours se trouver dans un état d’esprit d’ouverture au monde, d’élargissement culturel, afin de faire jaillir un sentiment de satisfaction nous donnant l’impression de nous construire en même temps que notre cercle s’élargit. Voilà ce dont nous avons tous besoin, même sans nous en rendre forcément compte. Et quel moment plus adapté que celui que nous vivons en ce moment, confinés, à l’heure où absolument tout est disponible en ligne depuis chez soi !

Pour cette cinquième semaine (déjà !) de confinement, où les esprits s’échauffent et où le ras le bol général légitime commence à gagner de plus en plus de foyers (ce qui n’est pas une raison pour sortir davantage), beaucoup privés de toute forme d’épanouissement et gagnés par un ennui profond, il est grand temps de vous proposer l’épisode 3 de notre série consacrée à la découverte d’albums que nous tiennent à cœur, pour essayer de remonter le moral à ceux qui en ont besoin mais aussi pour vous faire voyager parmi des atmosphères diverses et uniques. Ces albums, choisis chaque semaine avec attention, comme nous le répétons à chaque fois, ne sont ni des classiques mondialement connus, ni des œuvres enfouies et secrètes inconnues de tous et de toutes. Ils font partie d’un juste milieu, entre évidence et confidentialité. Somme toute des classiques pour tous ceux qui voudront bien les reconnaître comme tel ! Il se peut évidemment que vous les connaissiez déjà, et c’est dans ce cas la parfaite occasion pour vous replonger dedans si l’envie vous prend. Cette semaine, ce sont deux albums intervenant tous deux à la fin d’une décennie que nous avons choisi de vous présenter.

 

ALbum n°1:  A WAY OF LIFE  (SUICIDE)

Troisième projet du duo le plus revêche de la musique moderne, A Way of life est avant tout une expérience unique en son genre, sans doute moins brutale et plus accessible que ne l’était déjà leur premier album, sorti en 1977, sobrement intitulé Suicide, météorite indescriptible ayant laissé une trace majeure sur toute la production musicale qui suivra, mais du moins toute aussi fulgurante. Dix ans séparent A Way of Life de Suicide, et le groupe composé d’Alan Vega et de Martin Rev ne semble pas avoir vieilli d’une ride. Au contraire, leur musique semble s’être dotée ici de nouvelles textures et profondeurs.  C’est un peu moins nerveux, tout aussi hypnotisant, et un peu plus abordable. Il y a toujours cette force spectaculaire, ce remue-ménage incessant et ce sentiment d’avant-garde qui se dégage de leur art, jamais soumis à quelconques formes de composition mais toujours attaché à l’enchère et à l’excès, jusqu’au point d’épuiser ses auditeurs. Oui, Suicide est une épreuve, faite de synthés primitifs, de répétitions et d’un chant aussi tortueux que bagarreur, crée par des mecs à l’attitude plus virulente que n’importe quel autre punk, mouvement auquel ils affirment d’ailleurs appartenir, sans que leur musique s’inscrive pour autant dans aucun genre particulier tant elle peut être rattachée à une multitude de styles variés : électro, rock, musique minimaliste, techno, new beat…  (ayons tout de même en tête qu’Alan Vega a eu l’envie de créer Suicide après avoir assisté à un concert des Stooges en 1969, précurseurs du mouvement punk). Mais c’est une épreuve nécessaire qui aura un fort impact sur votre manière de concevoir la musique, tant elle englobe tout un tas d’idéaux liés à une certaine forme de production et de composition : primaire, directe, violente, brutale, sauvage… Du rock à l’état pur, privé de tout artifices.

L’album attaque directement dans le dur, avec un « Wild in Blue » rugueux et revêche, sorte d’apothéose d’un savoir-faire ici totalement mûr, transcendé par un Alan Vega au plus haut de son intensité. Il ne chante pas, il donne son corps, son esprit et son âme à la musique qui rugit dans une répétition frénétique indomptable. Ce morceau est l’un des sommets de Suicide, tant il témoigne d’une démonstration de force de haute voltige qui vient assurer au groupe un retour réussi. Car on le sait déjà en écoutant ce premier morceau, l’album sera une claque.

La suite se gâte d’ailleurs avec des morceaux terriblement entêtants, dont les rythmiques et les mélodies aussi minimalistes que sauvages, comme on en a l’habitude avec le duo, trouvent une profondeur supplémentaire qu’auparavant, grâce à une production certes moins rentre-dedans mais davantage nébuleuse et inquiétante. L’album brille par sa maitrise tandis que sa noirceur prend constamment le dessus avec des compositions magistrales (« Rain of Ruin », « Dominic Christ »). C’est un concentré pur d’animosité, quelque chose d’à la fois terrifiant et sublime, de sombre et de lumineux… Bien que moins direct que le premier album, A Way of Life intègre plus de basse, plus de punch et s’affirme comme une œuvre à part et singulière, d’autant plus que deux morceaux en particulier retiennent notre attention, l’un pour sa beauté organique : « Surrender », une sorte de balade futuriste élevée par un cœur féminin des plus saisissants, et l’autre pour sa vivacité, « Jukebox Babe 96 », une sorte de rockabilly moderne sous drogue teinté de sonorités de l’espace.

A Way of Life est un bijou de la musique moderne, une œuvre grandiose qui continue encore aujourd’hui à faire effet et à influencer la production actuelle.

 

DOUBLE DOSE  (HOT TUNA)

Quittons maintenant l’univers tumultueux de Suicide pour s’intéresser à notre deuxième album de la semaine, Double Dose, un double album (d’où le titre) live de Hot Tuna, une musique plus classique et moins sauvage que celle de Suicide et qui, pourtant, procure elle aussi une belle claque à son écoute. Hot Tuna est un groupe américain composé de deux anciens membres de Jefferson Airplane : Jack Casady (basse) et Jorma Kaukonen (guitare) dont l’idée de départ est celle de jouer plusieurs classiques du blues réarrangé à leur manière. Leur premier projet, sorti en 1970, s’intitule Hot Tuna, un album live entièrement acoustique très réussi dans lequel ils interprètent principalement des reprises de blues. Double Dose intervient huit années plus tard, en 1978, et sonne comme l’aboutissement de leur travail, ici éclatant et concentré en un double album particulièrement jubilatoire. Malgré sa longueur (1h20), Double Dose n’admet aucun soupir et file tout du long à une vitesse éclair. Pas le temps de s’ennuyer une seconde, l’album est parfaitement construit et dosé, si bien que l’on se surprend à en redemander une dose lorsqu’il se termine. Les quatre premiers morceaux sont acoustiques et d’une beauté frappante, animés par la voix sensuelle de Jorma Kaukonen et son fluide jeu de guitare. La suite est entièrement électrique, un long chemin sans trêve, une continuelle avancée dans le merveilleux univers du blues, ici au meilleur de sa forme, allié à un rock fulgurant pour nous faire comprendre que ce dernier tire ses racines de là, du blues. Le rock et son essence même se joue dans nos oreilles. On y entend une musique traditionnelle à laquelle on a insufflé une intensité supplémentaire, un son détonant. Les morceaux sont d’une évidence implacable. Tout coule de source.

Double Dose a en réalité deux qualités principales qui lui permet de briller autant : des morceaux simples et terriblement efficaces, quelques-uns étant des reprises de certains classiques du blues (« Talking ‘bout you » de Chuck Berry ou encore « I can’t be satisfied » de Muddy Waters), ainsi que des musiciens fabuleux, dont la maitrise du rythme est ici primordiale. Tout ça élevé par une prise de son impeccable. Que faut-il de plus ?

« Funky #7 », en tant qu’ouverture du deuxième CD, donne directement la couleur : Double Dose ne passe pas par quatre chemins, il va à l’essentiel, prenant source à travers une musique aussi riche que complète et l’entraînant dans un tourbillon de guitare à la sauce rock’n’roll assumée. C’est net, c’est précis, c’est sublime.

By Léonard Pottier

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