Grand petit retour cette semaine du rappeur français Benjamin Epps qui nous dévoile son deuxième EP Vous êtes pas contents ? Triplé ! Pas de premier album officiel, il faudra attendre encore un peu, mais un nouveau projet assurément bien foutu, venu placer la barre encore plus haut que le précédent. De quoi miser de grands espoirs sur l’autoproclamé meilleur rappeur de sa génération.
Une première tentative déjà exemplaire pour Benjamin EPPS
On le découvrait l’année dernière avec son premier EP Fantôme avec chauffeur, qui laissait entendre une voix éloignée de tout ce que le rap accouche à l’heure actuelle. Puis une fois passée cette belle surprise, on s’était laissés prendre par l’ensemble. Instrus carrées allant à l’essentiel (signées Le Chroniqueur Sale) dans une ambiance hyper old-school bien appréciée, celle-ci ressentie comme un vent frais, drôle d’ironie. Maitrise d’un flow acerbe également. Epps ne sortait pas de nulle part. Derrière, il transportait une histoire. Celle du rap américain des années 90/2000, ingérée, digérée, puis libérée avec tact et intelligence dans des titres surprenants.
Un deuxième essai qui va droit au but
Vous êtes pas contents ? Triplé !, titre emprunté à Kyllian MBappé qui avait lâché cette phrase dans une interview en 2018 à propos de sa position dans l’équipe de l’AS Monaco (on vous laisse aller chercher par vous-même), confirme tout ce qu’on pensait déjà d’Epps. Plus loin encore, cet EP place le rappeur à un niveau qui force le respect. Loin d’être une copie de son premier projet, celui-ci marque une avancée notable. Plus gros, plus ambitieux, tout aussi cohérent et cela au sein d’un univers pourtant bien démarqué du précédent.
Eppsito (son surnom) lâche les fauves. Lui seul les dompte, puisqu’aucun featuring n’apparaît sur ce nouvel EP. 100% Epps. Les prods sur lesquelles il pose ont plus de poigne, avec un côté rétro toujours présent, mais cette fois-ci moins appuyé et un peu plus modernisé. Cela dans l’idée de proposer un rap non pas tellement nostalgique, mais tourné vers une démarche d’emprunt à destinée d’une matière neuve. Le rappeur ne cache pas ses obsessions, et joue avec elles intelligemment. Apparaît ainsi King Jay-Z sur « Encore », Nas au niveau du titre et de l’instru de la deuxième track « Drillmatic », et d’autres influences davantage enracinées… Ce socle subtilement présent lui permet de se situer dans un espace singulier, et de laisser apparaître sa touche bien personnelle. Cette touche, c’est toujours sa voix et sa manière de la poser, dont il a déjà une parfaite maitrise, sonnant à la fois comme un caprice enfantin et une rébellion mâture. L’inverse fonctionne aussi : une rébellion enfantine et un caprice mature. Il y a dedans autant d’invectives que de douceur latente, comme en prouve le génial morceau « Marathon ». On y ressent une menace planante dans un rêve tranquille.
Le reste est presque tout aussi bon, et particulièrement « Drillmatic », notre coup de cœur. Mais nous ne sommes pas surpris, puisque son Colors sorti le mois dernier annonçait déjà la couleur. Benjamin Epps révélait à l’époque le dernier morceau de ce nouveau projet, « Ce que le pips demande » et on y sentait déjà le désir de taper un grand coup, et de dynamiser le talent qu’on lui connaissait déjà. Mission réussie. Son premier album sera grand. C’est une garantie.
Pour bien débuter ce mois de février dont on espère qu’il sera aussi satisfaisant que sa disposition visuelle sur le calendrier, même s’il y a peu de chances…
C’est à la Galerie Polaris à Paris près de Bastille, non contrainte à la fermeture mais tout de même impactée par la situation présente, qu’est en ce moment…
On en approche de vifs pas, de la fin de cette terrible année forte en émotions et rebondissements. Mais pas si vite ! Avant de plonger la tête baissée dans 2021 qui, pour l’instant, ne s’annonce pas bien meilleure que son aînée, il nous reste des choses à vous faire découvrir. Parmi elles, un album sorti le mois dernier : Lignes Futures. Son créateur répond au nom de Brazzier. C’est le feu me direz-vous. Et pourtant, vous n’avez pas encore entendu son projet !
Qu’est ce qui mérite donc de vous retenir ainsi quelques instants ? La promesse de la découverte d’une œuvre affinée comme un bon comté. Alléchant n’est-ce pas ? Lignes Futures ressemble à beaucoup de choses et vit en même temps à la frange de la norme. Il est le premier projet solo de Max Balquier. Premier premier ? Pas tout à fait, car ce dernier est loin d’être novice dans le milieu. Plusieurs expériences musicales passées lui ont insufflé une force et une rigueur créatrice qui, aujourd’hui, font pleinement leurs preuves. Dès les années 2000, au sortir d’années 90 délirantes en matière rock qui l’auront sans surprises influencé, en particulier la scène indie noise, Max Balquier est d’ores et déjà sensible aux sonorités électro. Il forme alors le groupe FRIGO, qui obtient un certain écho dans le milieu puisqu’ils seront signés par Dernière Bande, le label de notre cher aimé Rodolphe Burger (n’hésitez pas à aller voir notre interview de lui !). Deux albums, plusieurs EP. De quoi se constituer un bien beau bagage, ainsi qu’une bien belle expérience live (plus de 200 concerts). Plus tard en 2015, son penchant vers l’électro se concrétise davantage avec son nouveau groupe You, Vicious !, dans lequel on retrouvera certains membres de Frigo. La guitare, la basse et la batterie soutiennent encore le tout. Mais on sent que bientôt, leur présence ne sera plus que spirituelle. C’est aujourd’hui chose faite avec Lignes Futures. Il aura fallu à Max le mode solo pour pleinement faire vivre son amour des sons électro, garants d’une atmosphère non plus terrestre mais cosmique.
Identité dualiste
L’album fait régner les boucles électro en maître. « L’instinct », parfaite entrée en matière, dans un mélange de flottement mystique et d’urgence lancinante, pose les bases du projet, à savoir un univers futuriste face auquel la pochette, un peu trop propre à notre goût bien qu’en accord avec le thème, garantit de visuellement nous confronter. Max Balquier enveloppe le tout d’une voix nonchalante pour nous livrer ses états d’âmes. Petit à petit, nous nous déracinons à l’écoute de cette musique portée vers un ailleurs que seul l’électro semble pouvoir approcher. De cela naît deux types de réception : l’épanouissement, souple et volatile, ou bien l’effroi, froid et mystérieux. Le mélange des deux est aussi possible. Car l’album de Brazzier est un point de friction. D’une part, il y a la recherche d’un lissage presque protecteur, naviguant parmi les sonorités et le talent de composition, et d’autre part s’y mêle une ambiance désenchantée, flippante tant elle se vêtit d’un caractère grâcieux, qui nous prend à la gorge et qui ne nous lâche pas jusqu’à la dernière chanson. C’est cette dualité, ce mélange entre soin apporté à la musique et peur de la manière dont ce trop parfait finit par sonner, reflet d’un futur monochrome, qui fait l’intérêt de ce projet.
Une œuvre d’anticipation ?
Avec l’idéalisation des univers de science-fiction qui gouverne depuis plusieurs années, Lignes Futures, consciemment ou non, propose une réflexion musicale sur ce monde en devenir loin de faire l’unanimité. Les sonorités utilisées semblent contenir l’image d’un avenir. A vous d’en décider si cette image vous séduit ou, au contraire, vous fout les jetons. Une chose est sûre : c’est avec force et pertinence que Brazzier construit cet ensemble. « Parachute » est peut-être l’exemple le plus parlant, tant le morceau arrive, grâce à ses sonorités, à capter notre attention, au point de nous faire approcher un paradis matrixé.
L’album parvient donc subtilement à rendre compte d’un futur aux prises avec ses contradictions, dont l’appel vers un monde meilleur va de pair avec l’uniformisation des goûts et des esprits. Brazzier semble jouer de cela grâce à une identité sonore façonnée selon cet imaginaire mais qui, au lieu de tomber dans le piège de l’inconsistance, contourne les dangers pour livrer une œuvre intelligente où la sobriété est de mise. S’y déploie dans l’écoute de l’album une tension constante, mise en musique avec justesse de la part de l’artiste.
Décollage imminent
Les compositions sont bonnes, enivrantes et traversées d’une pudeur poétique. Le trio final « Oublions oublions », « Je suis » et le génial « L’équation » rassemblent et résument la diversité d’humeurs et d’émotions que déploient le projet : entre ivresse onirique et enracinement profond, entre amour et désamour, entre contemplation émotionnelle et réveil spirituel… Le tout appuyé par une production léchée.
Max Balquier a ainsi résussi le pari de s’épanouir musicalement en solo, laissant libre cours à ses affections pour l’électro, tout en gardant une base rock qui continue à se faire ressentir. A l’image de la Lune, cesLignes Futures, tracés d’un avenir mystérieux, vous promettent d’être captivantes.
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A l’occasion de leur premier concert depuis le confinement, qui eut lieu mercredi 07 octobre 2020 à la maison de la radio, le groupe irlandais Fontaines D.C, en pleine explosion depuis la sortie de leur album Dogrel l’année dernière, était de passage dans la capitale française. A Hero’s Death, leur brillant second opus (vous pouvez aller jeter un œil à notre critique juste ICI), a été dévoilé fin juillet dernier. Pour la reprise d’activité, dans un emballement certain à l’idée d’enfin pouvoir présenter sur scène leur nouveau bébé, le groupe étaient donc les invités de France Inter, à qui ils ont offert un set d’environ une heure, réservés à quelques chanceux et chanceuses (mesures sanitaires obligent) dont nous ne fûmes malheureusement pas partie. Le concert tant attendu était néanmoins retransmis sur France Inter.
La veille, nous étions conviés dans un hôtel parisien pour les rencontrer. Quel honneur se fut pour nous, qui apprécions tant leur musique. Aujourd’hui plus que reconnus dans la scène rock actuelle, Fontaines D.C dégage une certaine aura, et sont aussi cools que tout rockeur qui se respecte, ne manquant tout de même pas de préserver un côté mystérieux. Arrivés sur place, on nous présente Tom Coll, le batteur, avec qui nous allons pouvoir discuter. Bienveillant et engagé, il répond avec sourire à toutes nos questions et s’exprime à propos du nouvel album, de santé mentale et de rock. Sans plus attendre, on vous laisse avec la discussion !
Je tiens d’abord à m’excuser puisqu’on ne va pas commencer très gaiment mais c’est un sujet que j’ai abordé l’année dernière avec Murder Capital et sur lequel je voulais avoir votre ressenti. C’est à propos de la santé mentale des artistes du monde de la musique, dont on dit souvent qu’elle n’est pas toujours au meilleur de sa forme, surtout pour des groupes de votre envergure qui connaissent un succès fulgurant. Cela vous concerne directement. Comment le vivez-vous ?
L’année dernière a été intense. On était pas habitués à tourner autant. On a passé 18 mois sur la route. De fin 2018 jusqu’à mars dernier, on était constamment en train de bouger. Ca a été difficile de s’y habituer. Rien que le fait d’être loin de sa famille, alliée au sentiment de ne pas avoir de maison, était étrange. Aussi, on était quatre ou cinq personnes sans arrêt ensemble, c’était difficile d’avoir son propre espace. On a même du annuler des festivals l’été dernier parce qu’on était pas en mesure de les assurer.
On ne se rend pas compte de l’extérieur mais les tournées doivent être épuisantes et doivent vous demander beaucoup d’engagement.
On va d’hôtel en hôtel. Tellement d’heures sont passées sur la route à simplement rouler. A un moment, on a eu envie de réécrire de la musique. Parce qu’on jouait les dix mêmes chansons depuis un an, ce qui était difficile. S’enfermer dans une pièce pour écrire de nouvelles choses, qui ont finalement abouti à ce nouvel album, c’est ce qui nous a permis de nous en sortir.
Si je comprends bien, ce deuxième album a donc été composé essentiellement en tournée ?
On a eu beaucoup d’idées qui ont émergé du fait d’être en tournée. Et l’été dernier, on est rentrés à la maison. Du lundi au jeudi, on passait notre temps à écrire de nouveaux morceaux. Puis le week-end, on partait en festival. C’était fatiguant mais on avait besoin de ça pour se sentir réellement accomplis.
Combien de temps vous a pris la composition de ce nouvel album ?
Ca nous a pris trois mois entier je dirais. De juin à août 2019. Même si on avait déjà commencé à composer de nouvelles choses depuis la sortie de Dogrel environ.
Dogrel, qui, on le rappelle, a connu un succès immédiat. Appréhendiez-vous la sortie de ce nouvel opus ?
Hum… Oui et non. C’est quelque chose qui nous tenait réellement à cœur de présenter un nouvel album, parce qu’on est tous attachés à cette idée de vouloir sortir autant de choses que possible. C’est venu comme une nécessité. En ce sens, on ne l’a pas tant appréhendé.
Le premier album avait quelque chose d’instinctif et abrupt. Celui est plus porté vers une certaine ouverture. Il y a des morceaux très divers. Avez-vous aussi vécu ça comme une nécessité de changer de style et d’atmosphère ?
Oui, ce nouvel album est plus lent je dirais. « Lucid Dream », « Televised Mind » et « A Hero’s Death » sont des chansons énergiques. Elles se démarquent. Le reste de l’album est plus relaxant, contrairement au premier. On avait besoin d’aller chercher ailleurs.
J’ai aussi la sensation que ce nouvel album convient mieux à des écoutes séparées. Les morceaux ont chacun une identité propre, très marquée, autant qu’ils s’inscrivent bien dans un ensemble. Vous avez peut-être cherché à construire des identités de chansons plus qu’une identité d’album ?
C’est intéressant. Mais ce n’est pas quelque chose de volontaire en tout cas. Tu as peut-être raison je ne sais pas. Cela dépend de comment on aborde l’album.
On parle beaucoup des Beach Boys comme influence sur ce nouvel album. En quoi vous inspirent-ils ?
En effet ils sont définitivement une influence. On est tous fascinés par leur musique dans le groupe, surtout au niveau de leurs arrangements vocaux. Ce qu’ils sont arrivés à faire est incroyable. Tout est si bien imbriqué dans leur musique, c’est vraiment un modèle de construction. On les a énormément écouté pendant nos voyages, dans un van, en Amérique. C’était une expérience formidable.
La chanson « Televised Mind » renvoie un message très fort, avec peu de paroles. Vous y pointez du doigt le fait que nos esprits ont pour habitude de suivre des pensées impersonnelles, que l’on a tendance à être confirmé dans nos opinions et à ne jamais être confronté à nos tords. C’est quelque chose que vous avez réalisé récemment ?
Tout le monde vit dans une bulle. Une chambre d’écho. Entourés de personnes qui pensent la même chose que nous. Parfois, on ne remet pas en questions nos pensées, et pourquoi on pense certaines choses. Ce n’est pas enrichissant. Personnellement, je me suis rendu compte au fil du temps que mon entourage ne me faisait pas m’interroger sur mes propres pensées politiques par exemple. Je me suis souvent dit : tout le monde pense ça, alors moi aussi. Sans le remettre en question. Ce n’est pas quelque chose de sain je trouve.
Il y a ce côté très obsessionnel dans les paroles. Beaucoup de phrases sont répétées inlassablement. Je pense notamment à : « I don’t belong to anyone », « Love is the main thing », « Life ain’t always empty ». Ce sont des idées qui guident votre façon d’être et que vous répétez chaque matin devant le miroir ?
Ce qui est intéressant avec le fait de répéter quelque chose plusieurs fois, c’est d’en perdre son sens premier. Notre cerveau s’embrouille. Du début à la fin de la chanson, on n’entend plus vraiment la même chose et on perçoit quelque chose de nouveau et de différent au fur et à mesure. On aime ce procédé qui dénature le sens pour rendre les mots encore plus forts.
Vous aimez la musique répétitive ?
Beaucoup. Le Krautrock par exemple. On joue avec les bruits, on répète les mêmes choses pendant sept minutes. Ca nous entraine dans un ailleurs. C’est quelque chose qui me touche.
Votre musique dégage à la fois un côté vaillant et courageux et à la fois quelque chose de résigné. De quel côté vous vous voyez ?
Dans la vie de tous les jours, on est des gars très optimistes. Notre musique penche peut-être plus vers ce côté résigné dont tu parles, en tout cas pour ce qui est de notre deuxième album, plus introspectif. Et cela est surement dû à notre état d’esprit au moment de la composition. On a voulu s’éloigner de cette énergie constante qui rythmait nos nuits. On s’est mis à écouter des musiques plus lentes et confidentielles, qui ont joué sur notre propre créativité.
Vous n’aimez pas que l’on vous mette dans des catégories, comme on a souvent tendance à vous qualifier de post-punk. Vous préférez qu’on décrive votre musique comme du rock tout simplement ?
Le rock est un terme si vaste maintenant. Il a perdu son sens premier. Ca ne veut plus dire grand-chose aujourd’hui et je crois que c’est aussi pour cette raison que l’on nous qualifie de post-punk. Pour mieux nous cerner. Mais on ne voulait pas s’enfermer dans un style. On aime tous les styles de rock et de musique. On veut explorer plein d’autres choses. La qualification de post-punk avait tendance à mettre des barrières. Avec ce deuxième album, on a réussi à les dépasser.
Vous avez des collègues/amis dans le milieu. Je pense à des groupes comme Murder Capital ou Girlband, qui sont aussi originaires d’Irlande. Et est-ce que vous êtes en contact/partagez entre vous ?
On partage un espace commun, c’est-à-dire qu’on répète dans un même bâtiment. Parfois quand on joue, il nous arrive par exemple d’entendre Girl Band répéter à côté. Et en se promenant dans les couloirs, il est toujours enrichissant d’aller voir et écouter ce que les autres sont en train de faire. Le rock venu d’Irlande est spécial. On se serre les coudes. C’est une belle communauté.
Les médias parlent d’ailleurs de cette dite communauté dont vous faites partie comme étant un nouvel espoir du rock. Avez-vous parfois l’impression de porter un poids trop lourd sur vos épaules ?
Ca peut être un handicap c’est vrai. Mais on essaye de ne pas trop le prendre en compte. Avant tout, on profite de notre musique et on écrit ce qu’on a envie d’écrire. C’est plus sain de ne pas y accorder trop d’importance, même si on est reconnaissants de ce qu’on dit sur nous. L’égo peut vite dégénérer dans ces cas-là. Il faut rester lucide.
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White Riot. Dans l’Angleterre de la fin des années 70, en pleine apogée punk, le fascisme gagne de plus en plus de terrain. Au travers d’un racisme décomplexé, le National Front fait preuve d’un nationalisme à toutes épreuves en embrigadant le plus de monde possible, dont la jeunesse, sa principale cible, dans des pensées conservatrices et réactionnaires. L’Angleterre connait à ce moment-là une période difficile, avec une situation économique désastreuse et un fort taux de chômage. La presse de droite ne manque pas de réveiller la peur en criant que le pays s’apprête à être envahi. Pour éviter la soi-disant catastrophe, le National Front parcoure les rues, les sorties d’écoles et d’universités, organise des manifestations et des marches… Leur but est simple : faire sortir les étrangers d’Angleterre. En parallèle, la répression policière envers les minorités s’accentue et installe un climat de tension extrême dans le pays.
En réponse à cette paranoïa réactionnaire, le punk va prendre les rênes de la révolte. Avec l’émergence de Rock Against Racism, mouvement politique au nom explicite, l’Angleterre bénéficiera d’une campagne de taille afin de contrer les élans fascistes d’une partie du pays, dont certaines figures de proue de la musique, comme Eric Clapton, Rod Stewart ou encore David Bowie, auraient encouragés de manière plus ou moins claires et explicites. White Riot, le nouveau documentaire signé Rubika Shah, se propose de revenir sur cette période de contestation d’une Angleterre divisée en deux.
White Riot En Echo avec la société d’aujourd’hui
Pour faire le récit de cette lutte antifasciste de la manière la plus authentique et honnête possible, la réalisatrice a choisi de se tourner vers le genre du documentaire. Témoignages, images d’archives et captations de concerts sont donc au rendez-vous afin de nous baigner dans la réalité de cette époque qui, malheureusement, résonne grandement avec le monde d’aujourd’hui où, on le rappelle, le racisme perdure plus que jamais et soulève encore très légitimement de nombreux combats de toutes parts dans le monde, et cela d’autant plus depuis la mort atroce de Georges Floyd à Minneapolis il y a quelques semaines seulement. Ainsi, White Riot bénéficie du climat du monde d’aujourd’hui, une société au bord de l’implosion, où l’intérêt pour les luttes antiracistes, non pas inexistant auparavant, loin de là, connaît néanmoins aujourd’hui un fort et magnifique rebond. Le film fait ressurgir le passé comme pour appuyer d’autant plus la réalité d’aujourd’hui qui, en l’espace de 40 ans, n’a pas bougé d’un poil. Les minorités continuent d’être persécutées et réprimées dans le silence général. Là où White Riot trouve sa solution en nous vantant les mérites de la musique dans la lutte contre les inégalités, il en est tout autre pour la réalité d’aujourd’hui qui ne risque pas de venir à bout de ses problèmes aussi facilement. Plus personne pour mener l’insurrection ou société tellement gangrenée que rien n’est plus à espérer ? C’est un autre débat. Concentrons-nous plutôt sur le contenu du film, son fond et sa forme.
Le rock est politique par essence
Retraçant l’histoire du mouvement Rock Against Racism, de sa création jusqu’à son apogée avec le tant attendu festival ayant réuni entre autres les Clash, Steel Pulse et Tom Robinson à Victoria Park, le film s’évertue à nous faire saisir la complexité du travail de communication ayant mené jusqu’à ce fameux point d’orgue où 100 000 personnes se sont réunies contre les poussées nationalistes du pays. Le chemin tumultueux et agité de Rock Against Racism, via tout d’abord de modestes fanzines distribués dans des concerts pour ensuite parvenir à rallier de plus en plus de monde, n’aura pas été vain puisqu’il sera parvenu à vaincre les pensées conservatrices de ses opposants par la musique et par le nombre, allié à l’Anti League Nazi. Rock Against Racism prend de l’ampleur et devient le principal mouvement de protestation. Comme le dit le créateur du projet : « c’est comme un train au bord duquel tout le monde monte ». L’alliance entre différents styles musicaux, allant du punk au reggae, est probablement la plus belle chose réussite de ce mouvement qui aura su privilégier une lutte intersectionnelle. Les blancs se rendent soudainement compte que le racisme existe en Angleterre et se doivent d’apporter leur soutien aux minorités qui en ont besoin, d’où le titre du film, lui-même tiré du fameux titre des Clash. Grâce aux témoignages d’acteurs importants du mouvement, nous sommes en mesure de saisir ce qu’était réellement ce mouvement, son essence et son aspiration : « nous voulons une musique rebelle, une musique de la rue, une musique qui anéantit la peur de l’autre, une musique de crise, une musique qui sait qui est l’ennemi ». Ainsi, tout passe par la musique qui, on le comprend, est l’arme principale pour lutter contre le nationalisme. Pour ce qu’il montre de cela, le film est digne d’intérêt, car il n’y a pas plus belle forme d’émancipation que celle dont le rock est la mère. Et en désignant ce dernier comme un état d’esprit et non plus simplement comme un genre musical, le film réussit son pari en nous montrant que la musique a le pouvoir de changer le monde oui, tant qu’elle dépasse son propre statut. Le rock sera toujours politique, plus que tout au monde et White Riot est une ode à cette pensée.
Un traitement aux limites visibles
Néanmoins, le film connait plusieurs lenteurs et baisses de régimes tout du long, prisonnier des limites de sa forme qui, petit à petit, a tendance à nous faire décrocher. Les images d’archives qui donnent régulièrement vie au genre documentaire, manquent à l’appel. Ici, White Riot semble plusieurs fois à court de contenu et ce ne sont pas les témoignages des quelques mêmes intervenants, dont les paroles ont tendance à tourner en rond, qui sauront nous tenir en haleine pendant une heure et demi (un peu moins). Le rythme relativement plat ne retranscrit pas avec assez de poigne et de volonté toute cette rage bouillonnante de l’époque. Le rock contre le fascisme. Deux mots que tout oppose. Rien qu’en les entendant, on s’imagine déjà des enceintes explosées, des gens fous furieux, de la jouissance, des esprits ravageurs portés par l’amour de la musique et essayant de mettre fin à la haine et aux inégalités, où l’utopie trouve enfin l’arme nécessaire pour se penser réelle. Le film reste trop bon enfant, à moins que ce ne soit réellement l’esprit du mouvement qui, dans ces cas-là, est fait pour être vécu et uniquement vécu. Car le regarder de loin n’a pas l’effet escompté. Même si le sujet reste intéressant en lui-même, il lui manque dans ce traitement une profondeur ainsi qu’un réel désir de nous faire voyager dans le temps : plus d’archives et plus de musique (live surtout) pour nous faire vibrer au rythme de l’époque auraient été préférables.
Aussi n’est-il pas dangereux de s’aventurer dans un sujet comme celui-ci, qui ne bénéficie pas de beaucoup de contenu, le temps d’un film complet ? Car sinon les Clash, Steel Pulse et Tom Robinson, qu’aura-t-on retenu en terme de musique ? La dernière prestation de « White Riot » des Clash lors du festival final peut-être. Autrement cela, aucun moment musical à proprement parler ne porte dignement le film dont on sent rapidement les limites liés à la forme et à son contenu. Quant au passage sur David Bowie et sa fameuse phrase en faveur de l’arrivée d’un leader fasciste, reprise dans le résumé du film, il ne constitue qu’un grain de sable vite oublié dont on ne cherche pas à expliquer plus en détails ni les raisons ni le contexte. Soi-disant l’une des causes de la naissance du mouvement, en plus du soutien plus explicite de Clapton pour un suprémaciste (lui c’est une autre histoire), cette phrase de Bowie aurait mérité des éclaircissements, au lieu d’être ainsi passée à la trappe. Bowie souhaitait-il réellement voir un leader fasciste arriver au pouvoir ? Ne faisait-il pas plutôt l’état des lieux d’un pays au bord de la catastrophe ?
Quoiqu’il en soit, White Riot peine à faire sentir toute la ténacité d’une génération à lutter contre l’un des plus grands maux de l’humanité, même s’il a la qualité de relater un épisode marquant de l’histoire de l’Angleterre de ces années-là. Mais si à la sortie, vous n’avez pas envie de vous refaire toute la discographie des Clash, il faudra vous faire une raison.
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