Vendredi 25 août 2023 marquait la deuxième journée de cette vingtième édition de Rock en Seine. Retour à un format plus classique avec cette fois toutes les scènes d’ouvertes et une programmation mettant en valeur des artistes établis tels que Christine and the Queens ou bien encore Placebo. Une journée durant laquelle la question de l’image aura été questionnée.
La programmation d’une journée de festival est un travail relevant de l’orfèvrerie. Il faut mettre en avant la tête d’affiche prévue pour le dernier ou l’avant dernier créneau du soir tout en réussissant à maintenir l’attention et l’engouement du public tout au long de l’après-midi. Si Placebo était fortement attendu, le public du domaine de Saint Cloud aura eu droit à des rafraîchissements aux saveurs variées pour rester en haleine tout au long de cette deuxième journée de festival.
Quelques nuances de performances musicales
Pas besoin forcément de sophistication pour toucher au but. Cela s’applique parfaitement à Turnstile, car si la ficelle est aussi fine que les gros rif de guitare envoyés depuis la scène Cascade en plein milieu d’après-midi par le groupe de Baltimore, l’objectif de bien secouer et d’éviter toute torpeur estivale est parfaitement rempli.
Par volonté de contraste avec cette première expérience de la journée, Bertrand Belin se pose là, tant sa performance sur la Grande Scène n’était que, justement, contraste. Voix suave aux accents Bashungiens posée sur un rythme enjoué plein de percussions par un artiste dans un total look retro-classique déclamant des lignes profondes comme « Tu veux ma haine ? Tu veux mon amour ? » ou bien encore « Je viens d’une longue lignée d’alcooliques… ». Surprenante curiosité hautement recommandable donc.
De surprise, il n’était pas vraiment question avec les Viagra Boys tant leur entrée en scène cochait toutes les cases de ce que l’imaginaire populaire peut attendre d’un groupe punk rock. Clope au bec, bouteille de bière à la main, allure savamment négligée, Motherfuckers déclamés comme des signes de ponctuations, le groupe de Sebastian Murphy, torse nu et arborant un pantalon de jogging digne d’un truand d’Ex Yougoslavie sorti d’un film de Guy Ritchie aura livré une performance digne de l’image qu’il s’évertue à donner. Mais il ne faut pas s’arrêter à l’image donnée, car à la grande surprise de beaucoup de spectateurs, ces mêmes Viagra Boys ne se priveront d’aller saluer les Boygenius lors du début de set de ces dernières.
Au vu des échos entendus près de la Grande Scène, beaucoup auront eu plaisir à aller voir hier après midi le « supergroupe » emmené par Julien Baker, Phoebe Bridgers et Lucy Dacus : Boygenius. Si les trois artistes ne se réunissent qu’occasionnellement, menant des carrières solo, la synergie entre les trois américaines était impressionnante tant elles auront su s’effacer et se mettre en valeur à tour de rôle en fonction des différents morceaux permettant à chacune d’entre elles de s’exprimer en fonction de ses sensibilités et de ses propositions musicales aux influences diverses mais baignant dans une esthétique recherchée comme étant un hommage à des années 90 fantasmées. De la folk à la pop onirique, l’alliance de ce trio transcende les registres de chacune de ses participantes. Il faut dire qu’il est un plaisir à retrouver sur scène l’icône Phoebe Bridgers, aujourd’hui figure forte de la pop indé et son homologue Julien Baker, douce esthète folk. Boygenius est une réussite totale qui sait écrire ses balades et créer un univers qui fait mouche autant sur scène donc que sur son très beau premier album « The Record ».
C’est avec le goût délicieux de la transgression que l’on peut parler de la performance de Flavien Berger. Avec une désinvolture que seuls les grands peuvent se permettre, il aura ainsi maîtrisé son set tout en improvisant(?) une descente dans la foule, déambulant dans cette dernière avec un discours fleurant bon le méta. Jouant avec maitrise de l’absurde comme un Philippe Katerine d’il y a quelques années, Flavien Berger aura autant amusé qu’enjaillé les spectateurs de la Scène Cascade.
Le rendez-vous est donné sur la Scène du Bosquet pour accueillir Silly Boy Blue, l’enfant prodige de Rock en Seine qui y avait déjà joué en 2019 à ses tout débuts comme elle aura plaisir à le rappeler. Toute la beauté qu’il y a à la retrouver sur scène tient à sa capacité à garder sa candeur et sa fraîcheur scénique tout en distillant un univers qui lui est propre. Derrière ses nombreuses interventions, la chanteur masque une pointe de timidité. Il faut dire que le public s’est déplacé en masse pour assister à sa performance. Côté voix, le timbre aérien pop rock de la musicienne frappe fort. C’est d’autant plus vrai sur « The Fight » et « Teenager », deux de ses premiers singles qui font toujours mouche tant leur émotion passe avec aisance à travers ses auditeurs. Et ça c’est aussi grâce à la capacité qu’a la chanteuse à alterner douceur et refrain foutrement bien écrit qui entre aisément en tête. C’est pour défendre « Eternal Lover » qu’elle se produit ce soir, impossible pour autant d’oublier son EP « But you will ». Phrase tirée du film « Eternal Sunshine of the Spotless Mind » et promesse faite par le personnage de Kate Winsley à celui de Jim Carrey, tu arrêtera de m’aimer voulait-elle dire. Elle sera à utiliser à l’inverse pour Silly Boy Blue, qui trace son chemin vers les étoiles, jusque sur la grande scène… »you will ».
Christine and the Queens : the queen is dead, long live the king
Il n’est pas aisé pour un artiste de se détacher de son postulat de base, de le faire évoluer et d’en sortir une œuvre aboutie et un véritable projet artistique. C’est pourtant bien ce qu’a fait Christine and the Queens en cette deuxième soirée, proposant ainsi la meilleure performance de la journée voir même du festival. La plus clivante aussi tant l’objet ici interprété fait l’effet d’un OVNI qui a pu diviser les spectateurs, en perdre certain.es pour en émerveiller d’autres. Il faut dire que le chemin du musicien a été compliqué à comprendre pour le grand public. D’abord il fut Christine, puis Chris, puis Redcar pour mieux revenir à Christine. Il avait également fait parler de lui récemment dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux entre pleurs et colère où il évoquait sa trans identité et le refus massif des gens à comprendre son parcours et à s’approprier à un art renouvelé loin de accessibilité des début et de fait moins mainstream. Ce terme est certainement un gros mot quand on pense au parcours d’un chanteur qui avait toujours mis la barre très haut quand il s’agissait d’offrir un spectacle de qualité et des titres à fleur de peau à son audience. On le retrouve donc aujourd’hui avec un nouvel album en anglais « Paranoïa, Angels, True Love » désireux d’interpeller et d’être très bavard en terme de messages donnés sur scène. Cette dernière est jonchée de statuts et en s’élançant sur les planches avec une fierté qui frappe fort, il surprend d’emblée. Rapidement son petit veston tombe en un geste politique révélant un torse aux muscles saillants, lorsqu’il harangue la foule c’est d’ailleurs en l’appelant « camarade ».
Les premiers instants ne trompent pas. Tout à partir de ce moment confère au grandiose, le musicien chante pour ses statuts s’adresse en particulier à la statut du lion (un animal que l’on retrouvait aussi dans les paroles de « Saint-Claude ») puis aux autres. Le moment est artistique, d’une excellence pointue, intellectuel mais surtout sensible. Christine and the Queens se joue des genres, enfile une longue jupe rouge, toujours le torse nu, court, virevolte, danse, exulte ses démons et personnifie la paranoïa. Tout est grandiose, jonché de couleurs rouges, comme un appel profond alors que voix et instruments frappent fort, les guitares se perdant dans des montées en puissance maîtrisées, elles aussi hors genres et registres. Le chanteur casse toutes les barrières, celles fixées par le format d’un live, d’un album, d’une industrie, d’une société qui aime les cases. Sous fond de lumières bleues obscures, il enfile ses ailes d’ange (déchu ou s’élevant dans les cieux?). Les frissons viennent à parcourir ceux qui hypnotisés reçoivent cette œuvre d’une sincérité troublante où l’image est aussi centrale que son vecteur : la musique. Il faudra vivre cette heure à bout de souffle, se laisser entraîner dans cette spirale où la douceur la dispute à l’intensité et enfin couronner roi ce renouveau de Christine and the Queens.
Placebo : cure nostalgique
Tête d’affiche de la soirée, c’est à 23 heures que les très attendus Placebo, seuls artistes à remplir la Grande Scène ce soir. Un quart d’heure avant le début de la performance, le duo demande au public de ne pas filmer sa prestation sur ses smartphones. « C’est difficile pour nous de connecter avec vous derrière vos écrans, vivez le présent » argue un Brian Molko diffusé sur des écrans géants. C’est donc smartphones en poche, sauf pour les plus rebelles des spectateurs que débute ce live. Le groupe, nous l’avions déjà vu par trois fois, au Live 8, à Bercy, en festival et à chaque fois une sensation de performances aux trop nombreux défauts, d’un manque. Mais il faut savoir laisser à nouveau sa chance. Dans l’instant présent donc, là où Brian Molko invite à la rejoindre, le groupe joue sur une scénographie sobre portée par des jeux d’écrans aux couleurs brouillées et autres effets marqués d’une époque. Il faut dire qu’en place depuis 94, le groupe a vu les modes et façon de faire du live évoluer. En France, Brian Molko aime à s’adresser à son public dans la langue de Molière, d’ailleurs comme il s’amuse à le dire « On est une groupe européen » et bim, le Brexit, dans tes dents. Pour démarrer son affaire, le groupe préfère bouder ses classiques pour mieux présenter d’autres titres. Topo, côté foule, c’est plutôt calme, l’audience écoute attentive, sans rien filmer pour mieux se ré-approprier une air. La voix de Molko est reconnaissable entre toutes, tout comme le son sur le fil d’un rock triste qui a toujours été sur le fil et qui lui aussi est le reflet d’une époque dans laquelle Molko parlait ouvertement de sa bisexualité offrant une des rare proposition queer et glam sur le devant d’une scène rock mainstream et lissée. Il faut attendre 10 titres pour que résonne l’un des plus gros hits des musiciens « Too May Friends » critique des relations tissées en ligne et donc accroché un public moins expert. Sauf que comme à chaque fois, les gros hits sont aussi l’occasion de voir un certain problème de tempo dans le passage au live des titres. Une justesse fébrile peut-être comme une difficulté à faire cohabiter taille des textes et tempo en un seul espace. Les écrans déforment les visages qui changent de couleurs, voir tombent dans un effet « pluie ». Difficile de ne pas penser au clip de « The Bitter end » qui figure sur la setlist tout comme « Song to say goodbye » avant le rappel. Evidemment, la foule réagit fortement aux retrouvailles avec ces titres passés dans le domaine public. Le final se fera sur « Running Up that hill ( a deal with god) », leur reprise de Kate Bush (mais ceux qui savent se souviennent surtout de son utilisation dans « Newport Beach » après la tragique mort de Marrissa, que personne n’a jamais pardonné, hein Mischa Barton ?), pont indéniable pour les nouvelles générations qui ont pu le redécouvrir dans « Stranger Things » mais que Molko et sa bande avaient réinterprété des années plus tôt. Placebo garde la touche d’un temps, ses souvenirs, les nombreux moments à refaire surface en les écoutant. Aucun médicament ne permet pourtant de remonter le temps, même pas un placebo.
Texte : Alexandre Bertrand / Julia Escudero
Photos : Pénélope Bonneau Rouis
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