Fidèle à lui-même, Jean Louis Murat poursuit son chemin avec la plus remarquable des élégances. Si l’on se réfère à son rythme constant (un projet par an) depuis un sacré moment maintenant, BABY LOVE sera son œuvre de 2020. Inammorato, celui de l’année précédente, présentait quelques nouvelles chansons, mais était principalement composé de versions live. C’est ici un tout nouvel album que nous offre le chanteur auvergnat, dont le talent n’est plus à prouver. Tout d’abord découvert par une pochette flamboyante, BABY LOVE nous faisait un peu peur il faut l’avouer, l’ambiance années 80 n’étant pas forcément notre fort… Fait de couleurs vives et d’une identité kitsch assumée, ce projet n’annonçait-il pas à l’avance une perte de vitesse et un manque d’inspiration ? C’était sous-estimer Jean-Louis Murat que de penser cela ! Car l’une des forces de l’artiste est justement le renouvellement et l’adaptation. Alors, que vaut-t-il réellement ce nouveau bébé ?
Un départ difficile
Triomphe sans grande dextérité, « Troie » entame le projet sur une lourde caricature d’un style qui commence à se prendre les pieds dans son propre manège. D’une atmosphère de fête mêlée à de sombres paroles sur l’amour se dégage une impression d’essoufflement, comme si l’artiste peinait à engager ses manières et ses obsessions sur ce nouveau terrain dangereux. Le morceau fonctionne bien, car la voix et les textes font toujours leur effet, allié à une mélodie il faut avouer bien trouvée, mais manque malheureusement de subtilité et d’ingéniosité dans la démonstration sonore qu’il livre. Les cuivres synthétiques ressassent une mélodie que l’on connaît déjà par cœur chez Murat, ici alourdie par une sonorité abrupte et un texte caméléon, et dont on a du mal à entrevoir la force habituelle qui l’anime. « Troie » fait partie de ces morceaux toujours bons mais un peu trop maladrois du chanteur, méthodiquement composé selon une recette étudiée dont les rouages nous sont à force devenus familiers.
Une suite revigorante
Pour autant, ne vous inquiétez pas ! La suite est toute autre, car BABY LOVE se rattrape bien assez vite pour nous faire oublier ce premier contact. Les successeurs de « Troie » élèvent le niveau à tel point qu’ils parviennent à éviter toutes les facilités liées à l’univers sonore dans lequel le projet s’inscrit. Les écueils sont contournés, la prise de risque enlacée, et l’album commence alors à scintiller. « Le mec qui se la donne » et « le Reason Why », titres aussi séduisants qu’intrigants, débarquent avec bien plus de gravité et de profondeur, offrant enfin le Jean-Louis Murat attendu, celui qui, depuis quelques années, semble être au meilleur de sa forme créatrice. Compositeur au talent indéniable, le chanteur poursuit ici sa route à travers des propositions sonores certes connues, mais mises au goût du jour de telle sorte qu’elles en adviennent rattachées à un savoir-faire unique, celui d’une identité transposable partout et à foison.
Le défi du renouvellement
Les morceaux de Jean-Louis Murat ont beau être directement reconnaissables, ils délivrent toujours quelque chose de neuf et de puissant, à la croisée d’un sentiment nostalgique et d’une volonté certaine de ne jamais s’épuiser. Pendant combien de temps cela perdurera ? Indéfiniment il faut croire. Car il s’agit moins de se répéter bêtement que de trouver des façons de le faire avec grâce et distinction, en essayant de ne pas perdre l’essence première d’un art déjà mis à nu. Le renouvellement est le principal défi de Murat aujourd’hui, essayant de créer avec les continuelles mêmes ficelles, mais sans jamais penser faire deux fois le même album. L’impression de connaître les morceaux dès leur première écoute est saisissante, tant elle raconte quelque chose sur la carrière de l’artiste, qui a su construire un lien extrêmement fort entre tous ses projets. Ces nouveaux morceaux, nous les avons déjà apprivoisés par le passé, mais rien n’est plus fort que de ressentir sans cesse le même plaisir à les écouter, car ceux-là ont des traits légèrement différents : une voix perfectionnée, un texte endurci, une production affinée… BABY LOVE témoigne d’un riche vécu, en faisant réapparaître mille en une images sous une forme encore inexplorée.
Une appropriation sonore plus que convaincante
Les guitares s’entremêlent aux synthés intelligemment utilisés, refusant de s’enfermer dans un style caricatural années 80, mais lui empruntant certains aspects incontournables de manière assez subtile pour en éviter les pièges assurés. « Rester dans le monde » utilise un riff de guitare qui ne nous est pas étranger, tonique et entrainant, mais n’abandonne jamais le ton et l’esprit muratien. « Réparer la Maison », lui, présente une base rythmique autour de laquelle tout se construit progressivement. Toujours dans sa manière très particulière d’aligner les mots, Jean-Louis Murat parvient à nous entraîner dans son délire à demi enchanté, où il est question de tout réparer : la maison, la chanson, le chagrin… Une sorte de vie en reconstruction, à l’image d’un album qui se plaît à expérimenter, construire, assembler…
« Montboudif » et « La Princesse of the Cool », quant à elles, épousent la face plus aventureuse d’un artiste qui a parfois besoin de s’essayer à des choses moins convenues, (dans la lignée de son ovni, Travaux sur la N89, un album que nous apprécions particulièrement), comme l’utilisation du vocodeur. Moins mélodiques, mais tout aussi surprenants, ces morceaux offrent au projet la possibilité d’entrevoir à travers des sonorités synthétiques une perception nouvelle de ce que peut être cette musique. L’artiste opère une dissection pour en ressortir avec des idées et des propositions bienvenues.
Production soignée et équilibre maitrisé
Entre amour et désamour, comme souvent chez Murat, BABY LOVE fait l’état d’une existence marquée par la musique et les sentiments amoureux, meilleurs alliés comme meilleurs ennemis. De par sa production exigeante et une qualité sonore comme il est rare, l’album trouve ici son point fort le plus évident. « Xanadu » ou encore « Tony Joe » le démontrent avec ardeur : le son est une priorité. Les cuivres de « Ca c’est fait », quant à eux, élèvent le morceau en lui donnant une force lourde et imposante. Pour autant, Jean-Louis Murat ne laisse aucun élément prendre le dessus sur l’autre. Entre textes, sonorités et mélodies tout se conjugue parfaitement au point de faire porter une voix atypique que l’on connaît presque par cœur, mais qu’il fait toujours chaud au cœur d’écouter. Car le chant de Jean-Louis Murat est sans nul doute l’un des meilleurs de la chanson française. Alors, tant qu’il perdure avec élégance et talent, pourquoi s’en priver ?