En voilà un pari audacieux: réadapter le chef d’oeuvre, « ça », de l’horreur de Stephen King en 2017!
Un roman qui avait fait ses preuves lors de sa sortie en 1985, un téléfilm qui avait traumatisé toute une génération en 1990, la barre était haute. D’autant plus qu’en ces temps difficiles de remakes, préquels, séquels, le manque d’originalité de la démarche ne facilitait pas la tâche de ce nouveau film.
Pourtant les bandes-annonces et les excellents chiffres d’entrées enregistrés dès ses premiers jours en salle promettaient un très beau moment de cinéma d’épouvante.
Qu’on se le dise : pas d’embrouilles, cette réadaptation de « Ça » est une réussite totale et vaut le déplacement dans les salles obscures.
Pour ceux qui ne connaissent pas les grandes lignes du métrage ( comment est-ce possible?): l’ouvrage du maître suit le groupe des losers, des pré-adolescents vivant à Derry dans
le Maine. Ville dans laquelle les enfants disparaissent en masse. Alors que le petit frère du leader du groupe Bill Denbrough est lui aussi ( et dès le début) la victime de Pennywise, le croque-mitaine, appelé « ça » par le Club des Ratés, les enfants décident de détruire la créature,mettant fin à leur innocence dans ce qui va être leur dernier été d’enfance.
Tout le monde se souvient du petit Georgie, son bateau en papier, son ciré jaune, la pluie, sa rencontre avec « ça » et sa tragique disparition. C’est là que commence le bouquin de King, tout comme son adaptation. Ses premières minutes d’exposition capitales faisaient office de test pour cette adaptation : le ton y sera-t-il?
C’est un grand « oui ». Dès ses premiers instants, le remake plonge le spectateur dans l’univers si particulier de cette oeuvre culte. Le jeu malsain du très talentueux Bill Skasgard, ses grimaces, ses jeux de regards ( et de strabisme), ses rires, ceux de Georgie et puis l’horreur, vous y êtes. Qu’importe que vous ayez aujourd’hui 30 ans, vous voilà à nouveau enfant, traumatisé dans une salle de cinéma.
Après cette ouverture jouissive, restait à savoir si le fait de transposer « It » en 1988 alors que l’original était supposé se dérouler en 1958 serait également une réussite. La nostalgie actuelle pour cette période aidée à renforts de vêtements et autres « Stranger Things » laissait à craindre un côté racoleur évident. Et bien sûr de tomber dans le piège d’une série télévisée qui cartonne et qui n’hésite pas à faire des clins d’œil ( c’est la version polie) aux souvenirs de trentenaires qui apparemment dominent le monde audiovisuel actuellement.
Que néni, bien loin de tomber dans un quelconque piège, le choix de l’époque qui fait également écho à l’adolescence de son réalisateur donne un ton vrai et naturel à son intrigue. Les clins d’œil à cette période que l’on connait sont là mais légers et fins (comme par exemple les références à » Nightmare on Elm Street » ou bien encore « L’Arme Fatale 2 »).
C’est d’ailleurs ce qu’est le film qui bien loin de vouloir se la jouer terreur absolue crée une bande d’amis à laquelle on croit.
Les enfants tous plus attachants que les uns que les autres sont à l’image de ceux crées par Stephen King.
Là où le maître absolu prend le temps d’introduire ses losers pas si losers, le film prend un malin plaisir à donner corps en quelques répliques à ce qui prend des pages à découvrir.
Richie Tozier (la grande gueule joué par Finn Wolfhard de « Stranger Things », on en parlait) offre de nombreuses
répliques bien senties et de très beaux moments d’humour auxquels d’ailleurs la salle entière n’a pas manqué de réagir. Bill le bègue Denbrough se place avec finesse en leader
charismatique, Beverly Marsh est aussi belle qu’elle est décrite dans l’ouvrage et bouffe la pellicule du haut de son jeune âge. Ben Hanscom persécuté ici parce qu’il est nouveau (et
le petit gros) s’avère être un personnage d’une douceur incroyable tout comme l’hypocondriaque Eddie Kaspbrak. A cela s’ajoute Stanley Uris, le fils du rabbin, un brin plus en retrait que ses amis et le petit dernier Mike Hanlon, persécuté par les brutes de la ville en raison de sa couleur de peau.
Maltraités par les brutes du quartier, par un clown maléfique certes mais également par des parents eux-même tyranniques. Puisque dans l’univers de Stephen King, le monstre est également bien souvent l’humain lui-même ici influencé par un être maléfique. Ces personnages entre les parents absents de Bill détruits par la perte du petit dernier, le père pervers de Beverly, celui violent d’Henry ou encore la mère surprotectrice d’Eddie sont également joliment retranscrits et sont la métaphore du besoin d’émancipation de nos gamins qui perdent progressivement la naïveté de l’enfance pour entrer dans la grande guerre intérieur qu’est l’âge adulte.
Outre ces éléments qui étaient capitales pour faire de « Ca » une adaptation réussie encore fallait-il jouer avec toutes les figures de Pennywise et son aspect grand guignol sans pour autant risquer de sombrer dans le ridicule.
Ce qui fait frémir dans un bouquin peut rapidement basculer à l’image. Qui s’y frotte s’y pique et nombreux sont les cinéastes à avoir raté le côche, perdant de vue l’aspect cauchemardesque des personnages de King en voulant lui être trop fidèles. Ici le piège est évité. Si les peurs des enfants sont
savamment exploitées par notre boogeyman, elles ne sont pas pour autant les exactes mêmes et se contentent d’en garder leur substantifique moelle.
Les clins d’oeil au maître sont là, de l’apparition du nom de Richard Bachman griffoné, au plan du chemin de fer rappelant « Stand by Me », le film est aussi beau qu’« Horns« lui-même, réalisé par Alexandre Aja et adaptation de l’oeuvre de Joe Hill, le fils donc du King.
La bande originale, elle aussi vaut le détour et s’offre d’excellents classiques d’époques.
Certains déploraient la vision trop rapide de notre clown préféré, rassurez-vous, King le dépeint des les premières pages de son chef d’oeuvre. Les véritables spoilers viennent de bande-annonces en disant trop au risque de perdre quelques jolis jump-scares.
Enfin et si le dire revient à spoiler légèrement les ficelles de cette oeuvre merveilleuse, le réalisateur Andy Muschietti prend le pari de laisser complètement l’âge adulte de côté, ménageant son suspense pour se focaliser sur l’enfance. Un parti pris à l’opposé de King qui lui, préférait sa classique trame narrative de sauts dans le temps alternant enfance/adultes. Un élément qui a toujours fonctionné dans ses oeuvre et ce depuis Carrie. Connaître le sort d’un personnage quand il est écrit d’une main de maître devient un
élément de suspense puisqu’après tout comment peut-on commencer par dire d’un personnage qu’il est mort pour ensuite le faire foutrement adorer par ses lecteurs? Hello Ruth (Les Tommyknokers) et Johanna ( Sac d’Os). Ici, sans savoir ce qui attend les enfants, la peur peut doucement s’installer. Elle restera douce pour les adultes que nous sommes.
Alors prenez vos yeux d’enfants, vos peurs du noir, et laissez-vous bercer par le merveilleux qui émerge de l’horreur. La force de faire partie d’un groupe, les leçons que l’on apprend à affronter ses peurs et ce thème fort que Stephen King défend depuis toujours : l‘enfant n’est jamais aussi naïf que l’on veut bien le dire.