Author

Penelope Bonneau Rouis

Browsing

Lundi 7 Novembre, le groupe américain Future Islands a enflammé la scène de l’Olympia pendant un show de presque 2h. Entre pas de danse possédés, rugissements mélodieux et un public bondissant et transpirant, le groupe laissera très certainement une marque indélébile sur les planches de Bruno Coquatrix.

Un peu de surf rock pour commencer

Il est 19h passées quand les portes de l’illustre salle du 9ème arrondissement de Paris s’ouvrent à un public déjà survolté. Certains se dirigent vers la boutique du merch, les autres -les pragmatiques- vers le bar. Il ne faut pas attendre longtemps – 20h donc – pour que Laundromat, la première partie, monte sur scène. La musique fait pas mal penser à du rock progressif un peu saturé des années 90/2000, voire à du surf rock. Souffle de nostalgie pour les jeunes de 20 ans qui n’ont pas connu cette ère. Si leur performance scénique est plus sage que ce qui nous attend, leur présence sur scène commence à déjà à chauffer un public qui s’embrasera véritablement quelque demie-heure plus tard. 

Possession

Et effectivement, quand 21h sonnent et que Future Islands fait son entrée sur scène, le public commence déjà à hurler comme un seul homme (ou femme). Les premières notes de For Sure se font entendre et la foule hurle de plus belle. Mais elle n’est pas la seule à s’emporter, puisqu’à peine arrivé sur scène, Samuel Herring (chant, rugissement et danse) se déchaîne déjà comme un possédé. Comme dans un film de Charlot, sa bouche se tord, ses sourcils se haussent il et mime chaque personnage cité dans ses morceaux. Parfois, il semble même au bord des larmes.  Mais il ne semble pas enfermé dans une boite invisible à part peut-être celle de son corps trop petit pour ses gestes trop grands.

Et juste comme ça une vague de sueur brulante s’abat sur la salle. Les visages luisent mais les yeux brillent d’autant plus.

Dance fever

La setlist se compose autant de morceaux du dernier album que d’albums plus anciens. Et, un peu malheureusement, comme pour beaucoup de groupes, les gens semblent un poil moins enthousiastes au moment des titres du dernier album. Une situation un peu, disons, « normale » pour un groupe qui existe depuis 17 ans. Sans que l’atmosphère se refroidisse réellement, elle s’apaise quelques instants avant de se raviver sur la chanson d’après. C’est bien simple, le public semble tellement transporté, tournoyant que l’on se croirait au bout milieu d’une épidémie de manie dansante. Les gens s’accrochent les uns aux autres, amis comme inconnus, bondissent, exultent en quelque sorte. D’autres plus réservés font des signes polis, intimant gentiment l’ordre à ceux qui bougent un poil trop de ralentir, ou même carrément d’arrêter.

Si Samuel Herring, est déchaîné, limite dépassé par sa propre force vitale, le reste du groupe en comparaison est d’un statique remarquable. Je dis « remarquable » car ce sont bien les seuls dans la salle. Le chanteur semble être un pantin de bois dont une force occulte invisible tirerait les ficelles. Son jeu de jambes en ferait pâlir de jalousie les danseuses du Moulin Rouge. Si quelques unes étaient présentes dans la salle, mesdames, je suis navrée.

Mélancolique malgré la fougue

Musicalement parlant, il y a quelque chose de profondément nostalgique et mélancolique chez Future Islands. En effet, si Samuel Herring n’est pas très bavard sur scène, chacune de ses interventions mentionne tel ou tel souvenir de sa jeunesse, telle ou telle relation terminée. Lors du rappel, il présentera le dernier morceau, Little Dreamer, du set en évoquant ses amours passées et douloureuses. À chanteur possédé musique exorcisante. 

Les spectateurs quittent la salle avec dix litres de sueur en moins, mais avec une certaine euphorie et un certain éclat qu’ils n’avaient pas en entrant. Et dans la lueur de la lune, on ne peut qu’attendre que les saisons passent pour espérer un jour, les voir à nouveau.


Tamino – Sahar (Crédits photo : Jan Philipzen)

Quatre ans après la sortie fracassante de son premier album, Amir, Tamino revient avec son deuxième (et très attendu) album, Sahar le 23 septembre 2022. Sur fond oriental, flamenco et résolument folk, Tamino se livre et se délivre comme il ne l’avait probablement encore jamais fait. 

Disons les choses, présenter Tamino ici serait une tâche bien inutile. Sa notoriété grandit de jour en jour et l’attente autour de son album est électrique. Personnage relativement secret, il attise une curiosité et une fascination sans borne. Et avec Sahar, ça ne manque pas. Tamino se hisse au rang des plus grands virtuoses de ces dernières décennies, tout en apportant une petite touche, un petit éclat qui lui sera à jamais sienne et que personne, je dis bien personne, ne sera capable d’imiter.

Un album Marqué par l’éveil et la découverte

Un peu comme son grand frère, Amir, Sahar conserve cette veine mélancolique et nostalgique. Mais Tamino semble ici plus apaisé; là où Amir nous apparaissait spectaculaire et écrasant par son côté « ovni », Sahar apparait comme une suite logique et où pourtant une évolution nette  se fait sentir. Le jeune belge semble plus en phase avec ses inspirations qu’il mêle brillamment. En effet, aux parfums orientaux et à la folk européenne  bien significatifs de sa musique s’associent des intonations de Flamenco -« The Flame »– et d’autres un peu plus pop -« Cinnamon »– qui prennent leur place au sein de ce recueil avec une aisance remarquable.

De plus, cet album semble représenter pour Tamino un renouveau, une redécouverte et une exploration des différentes influences qui constituent le patrimoine culturel de ses ancêtres et de ses origines. Petit-fils de Muharram Fouad, chanteur très renommé en Égypte, Tamino apprend le oud avec l’aide d’un réfugié syrien, Tarek Alsayed, et partagera son nouveau savoir sur plusieurs morceaux de Sahar. C’est le cas notamment sur « A Drop of Blood » ou « The Good Disciple »premier single sorti au printemps dernier et dont les paroles sont inspirées par les écrits de Khalil Gibran, poète libanais aux qualités mystiques.

Quelques collaborations prestigieuses viennent d’ailleurs ponctuer cet album : Colin Greenwood (Radiohead) l’accompagne à la basse sur plusieurs morceaux, mais également Angèle qui l’accompagne au chant sur le cinquième morceau, « Sunflower »

Un album intimiste

Cette collection de chansons, écrites et composées dans le confort de son petit appartement d’Anvers, sont partagées entre une déclaration d’adoration pour sa compagne et une quête de l’individualité. En effet, autant sur « Fascination » où il s’extasie sur toutes les qualités qu’elle possède et lui, manifestement, non, que sur « The Longing » où il est question d’accepter son individualité, Tamino se confie et se dévoile.

La grande qualité de cet album se trouve dans l’unicité et l’union de chaque morceau. La progression de ces dix morceaux est brillante et guide l’auditeur dans un cocon aux parois à la fois angoissantes et rassurantes. L’ultime morceau « My Dearest Friend and Enemy » coup de coeur personnel- signe un final éblouissant et particulièrement émouvant.

Ainsi, avec cet album Tamino offre à son auditeur l’occasion d’entrer dans son univers de merveilles pendant 45 minutes. Ou 90, si toutefois vous décidez de l’écouter deux fois de suite. Ses deux prochaines dates au Trianon les 21 et 22 novembre prochains affichent déjà complet. Le culte s’installe.


L’équipe du film de Quantum Cowboys par Théophile Le Maitre

À l’occasion du Champs-Élysées Film Festival 2022,  notre équipe a eu l’immense plaisir d’interviewer l’équipe de la petite pépite psychédélique (que de -P), Quantum Cowboys;  Geoff Marslett, Lily Gladstone et John Way. Après avoir eu l’occasion de passer une soirée avec eux sur le rooftop du Publicis, les revoir afin de leur poser des questions sur leur film ne pouvait qu’être fait dans la bonne humeur. 

Quantum Cowboys est un western, mais ne le définir que par ce terme serait le dénuer de toute les spécificités qui le constituent. Le film est tellement riche que le réalisateur chapeauté, Geoff Marslett a décidé d’en faire une trilogie, je n’en dis pas plus, toutes les réponses à vos questions se trouvent ci-dessous!  

Geoff, Lily, John, bonjour ! Le festival vous plaît? 

John : C’est fantastique ! Il y a une fête tous les soirs, sur un rooftop juste en face de l’Arc de Triomphe, je pense pas que l’on puisse avoir une expérience plus française que celle-ci… vraiment fantastique. 

Geoff : Et non seulement la vue depuis le rooftop est incroyable mais le public français est formidable. Le cliché des français cinéphiles, selon le microcosme de ce festival, s’est confirmé à mes yeux 

C’était la question crash-test, pour vous mettre dans l’ambiance. Pourriez vous  décrire le film en quelques mots ? 

John : Wow, c’est difficile à décrire en si peu de mots… Quantum Cowboys… Ça irait comme description ? (Rires) Non? Bon alors… fou, aventure, amitié et changement. 

Geoff : Pour faire ce film je me suis inspiré de la période où j’étudiais la physique, un peu avant tout ça et de la théorie des multivers. Ce film est très expérimental; c’est une tentative de mise en place d’une version de multivers un peu plus scientifiquement correcte que ce que nous avons l’habitude de voir. On a tous un souvenir différent de chaque événement que l’on passe ensemble. Par exemple, toi et moi, on s’est rencontrés jeudi soir, on est allés sur le rooftop et on s’en souvient tous les deux. Mais si nos souvenirs sont similaires, toutes les émotions ressenties sont toujours internes à un seul individu. Donc tu as un souvenir, j’ai un souvenir. Chaque souvenir que quelqu’un a de n’importe quelle expérience, de n’importe quel moment crée son propre univers, à l’intérieur de nous. On recrée continuellement cet univers de manière chimique dans notre propre tête. Tous ces souvenirs sont en nous, et on essaye de les raconter aux autres dans un but de se présenter à eux, pour qu’ils nous connaissent. C’est pour ça que l’on crée, que l’on raconte des histoires et des anecdotes, que l’on se dispute, que l’on donne des interviews, que l’on écrit des choses et finalement, tout cela se mélange dans l’univers autour de nous jusqu’à ce que l’on se mette d’accord sur ce qu’on décide d’appeler Histoire. Et cette décision éteint tous les autres souvenirs et dans cinq ans, la version de notre rencontre à cette fête sera celle que l’on aura décidé, en tant que société, à conserver comme la bonne et l’unique. C’est une idée un peu folle et bizarre mais c’était ma tentative de mettre cette théorie au centre de l’intrigue sans en dire : « C’est ce que je veux que vous reteniez de ce film. » mais plutôt, en essayant de vous faire vivre ça,  de forcer quelqu’un à regarder 94 minutes d’un film qui te fait ressentir ce que c’est que d’avoir plusieurs points de vue coexister. C’est ce dont parle le film pour moi… en quelques mots. 

John : J’ai respecté la consigne, moi (rires) 

Lily : Je dirais que c’est pas un western révisionniste mais plutôt un western visionnaire. 

John (en claquant des doigts, ndlr) : C’est ça, c’est exactement ça! C’est bon vous l’avez votre titre pour l’interview ! 

Étant donné que beaucoup de créateurs et d’animateurs ont participé à ce projet, quel a été le processus de tournage et de montage pour ce film ? (Fond vert? Les différentes techniques employées?) 

Geoff :  C’était compliqué. Dès le début, j’avais noté sur mon scénario – pas celui des acteurs, juste le mien – où les animations changeraient. Donc je savais dès le début quand le style changerait. Quand on a commencé à tourner, je devais maintenant décider quelles seraient ces animations, parce qu’en fonction de ça, le tournage des scènes n’était pas le même. Mais c’est là que ça s’est gâté, pour le monde entier. Le Covid a commencé au moment où on a fini les tournages. Mon plan initial était de réunir tous les animateurs dans la même ville et travailler tous ensemble. Ça aurait été déjà compliqué comme ça mais avec le Covid, on avait des animateurs au Japon, en France, en Amérique du Sud, d’autres éparpillés aux États-Unis et ils n’ont jamais pu travailler tous ensemble. Chaque fois que l’un d’entre eux avait une question, il se tournait toujours vers moi alors ça a très vite été mon rôle de retravailler chacune des séquences une à une. Tout ça m’a rajouté beaucoup de travail mais comme on dit, l’adversité offre des diamants spéciaux. Bon… je ne réponds qu’avec des phrases bizarres qui n’ont aucun sens (rires confus ndlr) Ce que je veux dire c’est que même si cette situation offrait des avantages d’un point de vue créatif, ça augmentait quand même pas mal les difficultés. 

Pourquoi as-tu décidé d’utiliser tous ces styles d’animation différents? Est-ce que ça avait un rapport avec le script ? 

Geoff :  Chaque style d’animation représente le souvenir d’un des personnages présents dans la scène, donc à chaque fois que le style change, le spectateur se retrouve propulsé dans une nouvelle perspective de ce qu’il s’est passé. Quand j’ai dû choisir à quoi devait ressembler ces animations, je savais qu’on aurait besoin de suffisamment d’animations différentes pour que le spectateur assis sentirait l’univers changer autour de lui. Mais elles devaient être suffisamment similaires pour que le personnage qui passe par différents styles soit facile à reconnaître. 

Une question pour Lily et John : quelles ont été vos premières réactions en recevant le script ? 

Lily : La première page disait « Tout le monde, partout, tout le temps ne le comprend jamais bien » (Everybody, everywhere always never gets it right) et en lisant ça je me suis dit que je voulais absolument faire partie de ce projet. J’avais vu Mars et j’ai juste plongé dans le script vu que j’avais déjà une idée de la vision de Geoff. Je voulais le voir en tant que réalisateur, étant donné qu’on est amis depuis plus de dix ans maintenant. Cette formulation avec toutes ces doubles négations m’a vraiment plu. Ce que j’aimais vraiment dans Mars, c’est qu’il y parle d’un concept assez spirituel qui est devenu très populaire : se casser pour aller vivre sur Mars. Geoff a toujours été en avance sur son temps, sur la société, mais d’une manière où tu ne le prends pas autant au sérieux que tu le devrais. Les humains sont très étranges, des petites marionnettes de viandes avec la folie des grandeurs. Je pense que c’est une menace contre la société quand les gens commencent à être un peu trop détachés du fait que nous sommes des animaux, avec des failles. Et c’est ce que j’aime chez Geoff, il pose un regard tellement drôle et bienveillant à la fois sur le ridicule et la beauté de l’humanité et sur notre manière de conceptualiser et d’examiner tout. Ça me paraissait si évident dès la première lecture du script. En plus, le premier titre du film était Cowboy on a Zebra. Rien que le titre m’a donné envie de sauter sur l’opportunité, suivi de ma première réplique quand je fais tomber Franck : « Je voulais juste pas te voir mourir à nouveau ». En à peine quelques pages j’ai adoré. 

John : Sacrée réponse, je vais essayer d’être à la hauteur… Quand j’ai reçu le script, je venais juste d’apprendre la Théorie des Fentes de Young et la différence entre une particule et une onde, et comment tout cela évolue en fonction de certaines ouvertures. Donc je commençais tout juste de comprendre ce monde de la physique quantique, de la mécanique quantique donc j’étais déjà un peu époustouflé par tout ça quand j’ai lu le script. Certaines paraboles me sautaient aux yeux, notamment cette idée de rechercher Blackie, comme une allégorie du chat de Schrödinger. Ensuite, j’ai vu comment tous ces personnages en quête étaient tous des personnifications de ces idées quantiques entêtantes et ça m’a beaucoup parlé. En plus, c’était un western et j’adore les films qui parlent de l’ouest des États-Unis d’une nouvelle façon. Ma première expérience américaine était le sud-ouest (John Way est né à Londres, ndlr) alors cette région a une place très spéciale dans mon coeur. Bon ! Ma réponse n’a pas été aussi mauvaise que ça ! 

Comment vous êtes vous préparés pour ce film étant donné que le tournage était un peu différent de ce à quoi vous êtes habitués?

Lily : J’ai regardé quelques vidéos de behind-the-scenes de fond verts et de motion capture, particulièrement celles de Benedict Cumberbatch pour Smaug dans Le Hobbit. Je voulais briser mon propre paradigme dans ce film, parce que jusqu’à présent, mon jeu était très minimaliste. Le minimalisme à l’écran de petites salles de cinéma est ce qui m’attire le plus. Mais, en sachant qu’il y aurait des animations, il y avait ce challenge où je devais la dépasser. Ça m’a donné la permission d’être un peu plus théâtrale que d’habitude. Pour les autres films que je fais, d’un point de vue stylistique, le minimalisme fonctionne avec eux. J’avais l’impression que si j’avais sorti de mon chapeau tous mes tours habituels, ça n’aurait pas été suffisant, donc j’ai un peu observé comment les autres acteurs appréhendaient leurs personnages animés, leurs manières de plonger dans la théatralité et la physicalité de l’expérience. C’était très libérateur de travailler devant un fond vert, c’est comme un théâtre « boîte noire » : tu débutes à peine, tu n’as quasiment aucun accessoire sur scène à part ton imagination et l’intrigue de la pièce. C’était sympa de revenir aux origines comme ça. Soudainement, je suis un cowboy et j’ai l’impression que pour accéder à un thème aussi touffu que celui de la physique quantique tu as besoin de te remettre en phase avec l’enfant en toi, celui qui reçoit la connaissance. Ce film me rappelle aussi le livre Codex, qu’un artiste italien avait publié. Le langage et les symboles sont inventés et ne veulent pas dire grand chose. L’auteur voulait juste recréer ce sentiment que l’on avait, enfant, quand on regardait des livres avec des images pour la première fois, sans savoir ce que ça voulait dire mais d’essayer de comprendre quand même. C’est quelque chose qui est difficile de ressentir en tant qu’adulte. C’est comme ça que je vois le travail de Geoff. Comme un puzzle que je vais résoudre. C’est très intéressant dans un film. 

Je voulais briser mon propre paradigme dans ce film

John : C’était quoi la question déjà ? (rires, répétition de la question, ndlr) Je pense que Lily a vraiment bien résumé l’expérience en parlant de théâtre « boite noire ». Ça nous a permis d’être dans la tête de nos partenaires de jeu, on a dû créer ce monde ensemble et être les personnages qui occupaient ce monde, alors c’était une expérience de collaboration très intéressante. 

Geoff : En plus, tu as dû jouer avec un accent étranger. 

John : Oui ! Et c’était très amusant ! De manière un peu égoïste, c’était très intéressant pour moi, ces explorations de mon passé génétique. Je suis né à Londres et j’ai grandi à l’étranger pour une grande partie de ma vie, donc je suis arrivé en Amérique comme un étranger, un peu comme mon personnage Bruno. J’ai un peu canalisé mes expériences avec celles de Bruno parce que c’est suffisamment familier pour me sentir chez moi et suffisamment différent pour que je me sente un peu apeuré, j’ai essayé de revivre ça. Mes ancêtres venus s’installer aux États-Unis étaient Danois et ils se sont installés dans le Sud-Ouest alors j’ai vu ça comme un grand privilège de jouer ce personnage. C’était pas la réponse à votre question mais c’était la réponse à la nouvelle question ! (rires, ndlr) 

Pourquoi vouloir faire une trilogie ? 

Geoff : Surtout parce qu’il y a trop d’idées fourrées dans ce premier film et il ne présente qu’un tiers de l’iceberg pour le moment. Je voulais donner aux spectateurs suffisamment de réponses pour qu’ils soient satisfaits pour le moment. Mais il y a encore de nombreuses questions auxquelles on a pas encore répondu, notamment sur les vilains (David Arquette et Frank Mosley) et leur histoire, également sur le personnage de Linde (Lily Gladstone) et son rôle dans l’arc, sa connection à l’équipe de tournage. Qui est l’équipe de tournage aussi ? Qui sont les immortels? Des personnages comme Esteban, un vétéran du Vietnam et éleveur de bétail, Anna la viking, Père John le fantôme qui est aussi prêtre. C’est surtout des questions plus vastes auxquelles on ne pouvait pas répondre dès le premier film, donc j’espère que les gens ont suffisamment apprécié pour vouloir les réponses et que je puisse leur donner un deuxième film et dans le troisième, peut-être que toutes les pièces se connecteront. 

L’équipe de tournage apparaît souvent dans le film, pourquoi avoir décidé de briser le quatrième mur? 

Geoff : Le quatrième mur n’est pas vraiment brisé puisqu’il s’agit de vrais personnages. Une fois arrivé au troisième film, on a l’impression qu’il y a un narrateur et que la caméra brise le quatrième mur. C’est ce que n’importe qui pourrait penser en regardant le film. Mais, sans trop spoiler, j’ai fait ça parce que ces personnages participent réellement au film, c’est pas juste l’équipe de tournage. Ils travaillent pour Linde. Ce sont de vrais personnages dans l’univers de ce film. 

Je pense que j’ai fait quelque chose de suffisamment bizarre pour ne pas avoir d’attente.

Ce projet est très ambitieux. Quelles sont vos attentes face à la réaction du public ? 

Geoff : J’ai pas vraiment d’attente, dans le sens de prédiction. Prédire insulte le futur, donc je ne sais pas, je pense que j’ai fait quelque chose de suffisamment bizarre pour ne pas avoir d’attente. En revanche, je pense vraiment qu’il y a un public quelque part qui veut voir un film comme ça, résoudre ses énigmes. J’adorerais trouver un distributeur qui ait le courage de m’aider à entrer en contact avec ce public. Donc j’imagine que mon espoir pour ce film c’est qu’il se trouve une place, aussi modeste soit-elle. Même s’il ne soulève pas de foule, au moins qu’il trouve un petit groupe de personnes qui donneraient un peu de leur temps pour comprendre mon travail. 

Lily : J’ai l’impression qu’ils sont déjà un peu là. Quand on était au Festival International d’Animation d’Annecy, on a rencontré un groupe d’étudiants qui ont vu toutes les séances là-bas et sont venus à Paris pour le revoir. Je pense que ce film ne plaira pas forcément aux exécutifs et ceux qui font les décisions, mais plutôt le public lui-même, notamment de la génération Z. 

Geoff : John veut juste son chèque. 


Du 21 au 28 Juin dernier, s’est déroulé le Champs-Élysées Film Festival, et notre équipe s’y est rendue et a sélectionné quelques très jolis films issus du cinéma indépendant franco-américain à voir. On vous prend par la main pour mieux vous raconter nos coups de cœur.

ATLANTIC Bar – fanny Molins

Atlantic Bar – Fanny Molins (2022)

Le premier long-métrage a avoir été projeté dans le cadre de la compétition est Atlantic Bar de Fanny Molins.

Ce documentaire suit le quotidien de Nathalie, Jean-Jacques et des habitués de leur bar Atlantic, à Arles avant sa fermeture en 2022. S’il apparaît de premier abord comme un portrait intimiste et amusant, grâce aux nombreuses répliques (ou plutôt paroles) de Nathalie, ce documentaire cache de nombreuses facettes. Il mêle assez brillamment l’humour, la légèreté et les drames qui ponctuent leur quotidien. C’est avant tout ce petit ton bien franchouillard qui lui donne son charme particulier. Il donne une voix à ceux que l’on croise, à qui l’on ne parle pas forcément mais que l’on a pourtant l’impression de déjà connaître.

QUANTUM COWBOYS – GEOFF MARSLETT

 Quantum Cowboys, second film de notre sélection, est un western psychédélique ambitieux et très expérimental. Le réalisateur originaire d’Arizona, Geoff Marslett, a fait appel à 12 illustrateurs différents pour créer un film d’animation des plus inédits. Les deux personnages principaux, Franck (Kiowa Gordon) et Bruno (John Way) explorent le désert américain des années 1870, y rencontrant des personnages étranges les menant vers de nouvelles quêtes, comme Linde (Lily Gladstone). Sorte d’Odyssée revisitée mais sans cyclope et des multiverses à la place. Ce film fiévreux est le premier d’une trilogie dont les prochains opus se concentreront tour à tour sur des personnages présents dès le premier. Cependant, ce film exigeant n’est pas « facile d’accès pour tous ». Film d’animation, certes mais pas film pour enfant. Comme le disait d’ailleurs le réalisateur à la fin de la projection : il faut savoir se laisser porter par l’incompréhension du visionnage. C’est fait.

ASCENSION – JESSICA KINGDON

Ascension est très certainement le long-métrage le plus glaçant de cette sélection, le plus perturbant. Il s’agit d’un documentaire, retraçant les différentes classes sociales chinoises. Ce long-métrage – dont la bande-son est signé Dan Deacon, invité d’honneur du festival –  est très structuré, souple dans sa progression et esthétiquement saisissant. La réalisatrice offre aux spectateurs la possibilité de grimper l’échelle sociale chinoise, inspectant chacune des catégories. Cela commence dans les usines de production et se termine à un diner de l’élite chinoise. Ce qui est frappant, c’est que malgré l’écart social, les discours servis et avalés y sont les mêmes. Comme le dit la productrice, Kira Simon-Kennedy, présente lors de la projection, si ce film peut nous mettre mal à l’aise, il est aussi préventif. Un pareil système ne serait pas impossible en France et ailleurs.

Happer’s Comet – Tyler taormina 

Happer’s Comet – Tyler Taormina

Hanté, éthéré, intrigant, mystérieux. Tels sont les adjectifs qui nous viennent après le visionnage de ce petit ovni qu’est Happer’s Comet. Pour son deuxième film, le réalisateur Tyler Taormina est revenu là où il a grandi, la banlieue de Long Island, où il a filmé ses habitants, tenus éveillés par une frénésie silencieuse. Aucune musique n’habite ce film. Il n’est illustré que par les bruits de la nuit, ceux de ces personnages solitaires, désireux de quelque chose d’inextricable. Et dans la froideur de la nuit, tout est exacerbé. Un spectateur ne sachant à quoi s’attendre peut cependant facilement se retrouver déboussolé face à ce film.

strawberry mansion – Kentucker audley et albert Birney 

Strawberry Mansion – Kentucker Audley et Albert Birney

Deuxième collaboration entre Kentucker Audley (qui s’octroie aussi le premier rôle) et Albert Birney, Strawberry Mansion aura fait indéniablement voyager le spectateur. Il était précédé du court métrage Skin of man dont le compositeur, Dan Deacon est l’un des deux invités d’honneur du festival cette année avec Ari Aster. Ce que l’on peut dire de Skin of man c’est qu’il n’aura pas franchement réussi à instaurer l’ambiance glauque qu’il visait, la faute à une saturation de l’image pour le moins exagérée et ne servant pas le propos. Strawberry Mansion réussit le pari sur lequel beaucoup de cinéastes ont pu échouer par le passé, à savoir réussir à retranscrire l’univers des rêves. Dans un monde où le gouvernement enregistre et taxe les rêves, un modeste contrôleur fiscal de rêves est entraîné dans un voyage cosmique à travers la vie et les rêves d’une vieille dame excentrique. Si le sens final du film peut sembler nébuleux, indubitablement le duo Audley-Birney aura réussi à émerveiller le spectateur et à rendre un message positif sur l’amour tout en se permettant une charge (qui aurait pu être un poil plus élaborée) sur la société de consommation. Un agréable film.

the integrity of joseph chambers – robert machoian 

The Integrity of Joseph Chambers, deuxième long métrage de Robert Machoian nous parle d’aliénation dans laquelle le diktat de la masculinité peut pousser. Craignant l’apocalypse, un vendeur  d’assurances part dans les bois pour une expérience solitaire. Clayne Crawford, révélé par le bijou Rectify, il y a quelques années et dont l’ascension avait été freinée suite à son éviction de la série L’Arme Fatale (il retrouve sa partenaire du show, Jordanna Brewster pour l’occasion) porte le film – sans surprise pour qui le connaît – de façon impressionnante. il n’a aucun mal à montrer les doutes, les contradictions, les rêveries d’un homme dont la journée de chasse va le conduire de plus en plus à découvrir les parties les plus insoupçonnées de lui-même. Excellemment filmé avec un travail sur l’ambiance sonore impressionnant The Integrity of Joseph Chambers captive de bout en bout jusqu’à un final assez déconcertant où l’on finit par se demander quel message Machoian voulait vraiment passer.

But I’m a cheerleader – Jamie Babbit 

But I’m A Cheerleader – Jamie Babbit

Autre film des plus agréables la projection de But I’m A Cheerleader dans le cadre de Freed From Desire, quatre films des années 90 dépeignant le female gaze. L’histoire est simple : Megan est pom pom girl et a un petit ami. Seulement voilà, il se pourrait qu’elle soit lesbienne. Ses parents décident donc de l’envoyer en école de « réorientation sexuelle » afin qu’elle réapprenne l’hétérosexualité. Là-bas, elle rencontre la belle Graham… Coup de nostalgie de revoir sur grand écran à leurs débuts, Clea DuVall, Natasha Lyonne ou bien encore Michelle Williams au service d’une comédie romantique des plus sympathiques malgré son sujet qui aurait pu donner quelque chose de plus grave comme The Miseducation of Cameron Post diffusé il y a quelques années au Champs Elysées Film Festival. Mais le film de Jamie Babbit sait faire passer ses messages en ridiculisant ce à quoi il s’oppose tout en faisant passer un bon moment au spectateur.

écrit par Pénélope Bonneau-Rouis et Alexandre Bertrand