Denis Lavant n’est plus à présenter. Immense acteur (inséparable de Leos Carax) et comédien, il a maintes fois eu l’occasion de prouver son talent et sa facilité de jeu. Homme du corps et de l’expression physique, il n’en est pas moins un bon orateur, doté d’une voix aux multiples facette qu’il sait manier. On le retrouve en ce moment au Lucernaire aux côtés de trois musiciennes (une pianiste et deux percussionnistes : Mara Dobresco, Elisa Humanes, et Salomé Bonche) dans une pièce intitulée « Il faut donc que vous fassiez un rêve », mise en scène par Volodia Serre et d’après Journal en miettes d’Eugène Ionesco et plusieurs poèmes de Marin Sorescu.
Dans une ambiance confidentielle à l’atmosphère intime et conviviale, la salle rouge du Lucernaire a sublimé cette semaine un grand moment de théâtre. A taille humaine, elle a accueilli et pris en charge pendant un peu plus d’une heure le charisme bouleversant de Denis Lavant. Un charisme enfantin, dans un corps d’adulte vitaminé.
A la recherche du bonheur perdu
Il fait son entrée sur le bord de la salle, au niveau du public. Tous les visages se tournent et restent figés pendant plus de cinq minutes, émerveillés par le monologue touchant d’un personnage qui avoue avoir perdu le goût de la vie. Denis Lavant le porte avec la plus grande justesse d’interprétation, à se demander si finalement, il ne parlerait pas aussi de lui. La question reste en suspense. Le reste de la pièce se déroulera évidemment sur scène, et tracera la quête du personnage vers la joie et le bonheur. D’un homme laissé sur le bas-côté, il tentera de s’imposer au centre de la scène, à travers un parcours tumultueux, allant de l’insouciance enfantine à l’oppression du temps. « Il faut donc que vous fassiez un rêve », celui qui expliquera tout, et qui sera en mesure de le sortir de son état de congestion…
Hanté par de perpétuelles angoisses que les musiciennes se proposent de prendre en charge, Denis Lavant incarne de tout son corps et de son esprit la difficulté qu’est de vivre. Questionnements, doutes, peurs, insécurité sont de la partie : des angoisses qu’il ne peut contrôler, propres à la vie et donc communes à tous, dictent son quotidien. Parallèlement, il tente de se sortir de ce cercle vicieux en se replongeant dans le jeune âge, où les choses qui nous entourent n’ont pas encore franchi la barrière de l’insignifiant. On sort de l’enfance lorsque les choses ordinaires de la vie perdent de leur superbe, et deviennent communes, sans attraits nous dit-on.
Une décor évolutif
Le décor participe à cette émergence d’une recherche de joie et de vie. Il se construit au fur et à mesure, par l’acteur lui-même qui se charge de déballer devant nos yeux tous les rouages d’une mise en scène bien pensée. Denis Lavant se presse de revenir sur son passé, et l’urgence de la situation nous prend aux tripes. On le suit avec tout autant de peine que de joie dans sa tentative de libération. La pièce centrale qu’est le lit, l’endroit le plus intime de l’être humain, favorise le déroulement de ce récit personnel, grâce à une occupation de l’espace parfaitement maîtrisée : en bas, en haut, en longueur, en largeur… Le personnage aura été vu sous tous les points de vue possibles.
Une place de premier choix pour la musique
La musique en live, qui alterne entre rêverie et retour brusque à la réalité, confère à la mise en scène une part de mystère. Les percussionnistes utilisent des objets du quotidien pour créer une ambiance oppressante, et attaquent de plein fouet un personnage tiraillé, qui n’a pour soutien invisible que le public. A la fois hors et à l’intérieur de la diégèse (l’espace-temps dans lequel se déroule la fiction racontée), les musiciennes évoluent avec Denis Lavant, et finissent même par être enfin dévoilés à sa vue. Il voit enfin la source de son enfermement. Porté par des musiques contemporaines (Philipp Glass, John Cage…), le récit alterne entre narration vacillante et lectures de poèmes, que Denis Lavant soutient avec la plus belle force émotionnelle. Ces poèmes, qui viennent à lui de manière impromptue à chaque instant de sa vie, lui permettent de déchiffrer un peu mieux le monde dans lequel il grandit, et semble être un léger remède à sa souffrance. Lorsqu’il lit un poème à des chaises empilées, dont il dit qu’elles sont la meilleure oreille (quand on les place correctement l’une par-dessus l’autre), on y sent une conviction bénéfique, qui lui permet de trouver un bonheur partiel.
L’ambivalence des sentiments
L’espace qui évolue (on nous dévoile au fur et à mesure mille et un objets) en même temps qu’il reste le même (on ne sort pas de cette chambre de grenier) traduit cette perpétuelle lutte entre un besoin de joie sous forme de feu d’artifice et d’emprisonnement intérieur qui empêche d’atteindre ce bonheur. La pièce semble ainsi construite, sur un modèle de confrontation : un texte empreint de douleur et de fantaisie, un combat entre jeunesse et âge adulte, entre démons et lumières, entre comique et dramatique, lenteur et dynamisme… Denis Lavant joue un personnage qui porte en lui l’ambivalence de l’être humain. C’est avec sincérité et émotion que l’acteur incarne donc ce rôle bouleversant que la mise en scène parvient à sublimer. Sa voix magnétique nous emporte dans les tréfonds d’une âme torturée qui aspire à la plus belle des choses : une émancipation totale.
Après un calme démarrage (pour l’instant seulement 5 représentations au Lucernaire) On espère que la pièce reviendra rapidement faire ses preuves dans les salles parisiennes. Néanmoins vous pourrez la retrouver le samedi 21 mars 2020 au théâtre Edwige Feuillère à Vesoul (Bourgogne –Franche Comté).
Léonard Pottier
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