Curieux bijoux que ce Décaméron sorti sur Netflix cet été sans grande promotion. Pourtant, cet objet télévisuel hors normes s’ose à mélanger les genres et les époques, situant son intrigue en pleine épidémie de peste en 1348 pour mieux lui offrir un traitement et un ton d’une grande modernité. Au milieu de sujets de lutte des classes, de survies, de sexe comme de sexualité, à travers ses actions barrées et ses drames finement écrits ressortent deux messages : l’amour est un fardeau aux visages pluriels et les histoires contées sont celles qui changent les trajectoires.

Le Décaméron NetflixLe Décaméron de quoi ça parle ?

Située à Florence en 1348, alors que la peste noire frappe fort, la série suivra une poignée de nobles qui sont invités à se retirer avec leurs serviteurs dans une grande villa de la campagne italienne et à attendre la fin de la peste avec des vacances somptueuses. Mais alors que les règles sociales s’amenuisent, ce qui commence comme une aventure sexuelle imbibée de vin dans les collines de la Toscane va se transforme en lutte pour la survie.

Le Décaméron pourquoi c’est bien ?

Le Décaméron LiciscaA l’origine, le Décaméron est un recueil de 100 nouvelles écrites en italien par Boccace entre 1349 et 1353. Du matériel d’origine il restera la peste et l’isolement de nobles dans une demeure pour fuir la maladie. Si le roman se base sur le décalage entre l’insouciance du recul d’un lieu décrit par paradisiaque et l’horreur de la peste noire, la série Netflix n’aura elle aussi de cesse de jouer sur des décalages.

Le premier est d’ailleurs le ton et le langage. Nos nobles et leurs serviteurs, en costume d’époque, retirés dans une villa de rêve alternent constamment entre tournure de phrases en vieil anglais et mot actuels, les « fuck » y allant bon train sans jamais rendre l’un ou l’autre incohérent. Ce jeu rend le tout immédiatement attractif comme le recul évident qui est pris avec la maladie dans les premières minutes. La mort étant autant quelque chose que l’on fuit qu’un sujet relayé au second plan de problématiques bien plus terre à terre ou humaines : gloire, fortune et statut social en tête. D’ailleurs l’humour est immédiatement utilisé comme une arme. Un humour pince sans rire, absurde et souvent à l’anglaise. D’un récit qui pourrait s’adresser à un public averti en quête de nourriture intellectuelle, la série va rapidement prendre le plie de s’adresser au plus large public possible sans jamais pour autant le prendre de haut. En seulement 8 épisodes, la mini série saura par ailleurs changer son discours et la trajectoire de ses personnages, à tel point qu’en fin de course, le souvenir de leur première apparition paraitra bien lointaine. Le Décaméron nous fera ainsi aimer follement ses personnages, se jouant de nos sentiments premiers à leurs égards.

La peste ou le choléra ?  La lutte des classes !

Le Décaméron - Pampinea et Misia
Pampinea et sa servante
Misia

De prime abord, la série semble traiter de lutte des classes. C’est l’un des sujets qui sera le fil rouge des premiers épisodes. Déjà parce que une servante et une noble vont par un concours de circonstance et une belle rébellion échanger leurs places. Lorsque Filomena (Jessica Plumer que vous connaissez grâce à Sex Education mais dont vous découvrirez ici une nouvelle facette) et Licisca (Tanye Reynolds) échangent les rôles, la servante au grand coeur finit par se comporter comme la noble qu’elle jugeait. Trucs et astuces pour séduire et assurer son futur se mêlent à un profond besoin de liberté. La seconde, elle, fera également son chemin de croix, mais sans jamais perdre de vue les traits qui la caractérisent s’affirmant plus en tant que personne une fois les besoins du statut mis de côté.

Sirisco (Tony Hale ) et Stratilia (Leila Farzad à retrouver au casting de l’incroyable série Kaos), privés de leur maître et devant mentir sur le sujet, deviennent eux même les « Scapin » et maîtres de la villa à leur insu, magouillant pour reproduire, malgré les circonstances extérieures, le schéma auquel ils sont habitués. L’idée de ne pas être de simples serviteurs mettra son lot de péripéties avant de leur arriver en tête. Et là encore la série questionnera, lorsqu’un peu de pouvoir vous est donné faites-vous mieux que celui qui l’avait avant vous ?

Tindaro, le malade imaginaire, renverra quant à lui une image du népo kid terrible. Auto-centré, mysogine, cherchant une attention constante. Il finira lui aussi par changer de trajectoire, grandissant à l’écran comme pour mieux prouver que même le pire d’entre nous peut s’améliorer sans jamais devenir pour autant parfait. Rédemption y es-tu ?

Le sujet de la religion est lui aussi abordé pour mieux être moqué. La pieuse Neifilie prête à tout pour être sauvée par Dieu est rapidement tournée en ridicule, cherchant Dieu jusqu’au plus absurde des comportements. Pourtant et finalement c’est bien loin de l’amour divin qu’elle trouvera sa rédemption, mais sur un chemin de vie allant à l’encontre de son éducation chez les nones. Un parcours qui lui fera d’abord questionner le péché de chaire. Puis, il lui permettra aussi d’aimer pleinement, sans jamais douter, son mari homosexuel, faisant un pied de nez magnifique au traitement habituel du religieux pour les questions LGBT +.  Mais nous y reviendrons plus tard. De leurs côté, les mercenaires, parlant au nom de Dieu sont dépeint comme les plus cruels des personnages qui, soit disant au nom du Divin, ont des problématiques bien plus terre à terre et propres à l’avarice.

Le Décaméron ou L’amour, fardeau aux nombreux portraits

Le Décaméron Panfilo Neifile
Panfilo et Neifile, l’amour a bien des visages

Mais là où le Décaméron fait fort c’est lorsqu’il parle d’amour. Oubliez l’amour romantique, il n’a qu’une petite place dans l’univers de la villa, elle même personnage à part entière de notre histoire.

Il serait dommage de ne pas d’abord parler du couple Neifile / Panfilo. Leur intrigue et leur histoire est probablement le plus beau traitement de ce que signifie aimer vu sur petit écran. Il leur suffira de quelques scènes en milieu de série pour réchauffer et serrer les coeurs. Lui, le noble malin, aux mille idées pour magouiller leur avenir. Elle, la douce et pieuse qui ne cherche qu’à obéir à Dieu. Le couple marié partage une véritable complicité mais ne partagent pas la couche. Panfilo est un homme homosexuel qui ne peut l’assumer – du moins en est-il persuadé- au grand jour. Lorsque les masques tombent et qu’enfin chacun.e apprend à s’ouvrir entièrement à l’autre, alors la plus belle des amitiés et le plus incroyable des attachements vient à se livrer à l’écran. Et ce jusque dans la toute dernière scène de nos époux qui s’aiment à la folie en son sens le plus noble.

L’amour il peut aussi être toxique. C’est le cas de la relation entre Pampinea, le personnage le plus détestable du show et sa servante Misia. Pampinea,  prête à tout pour être mariée, attachée à sa dot qui aura elle aussi une place à part dans l’histoire, l’argent y est donc personnifié, ne fera que montrer le pire d’elle même en toute action. Mais Misia lui voue une totale dépendance affective. Cette relation tient l’une des places centrales de la série. Son évolution, sa mise en place et les conséquences souvent tragiques pour tous.tes qui en découlent.

L’amour au sein d’une fratrie aussi torturée soit elle, la découverte du premier amour pour Liscisca qui lui servira de rédemption, l’amour d’un lieu, d’une communauté, mais aussi celui d’une mère pour son enfant, l’amitié sincère et celle qui voudrait bien devenir un lien de parenté, tous sont abordés. Mais pour mieux en parler il faudrait tout spoiler, ce que l’on évitera de faire ici.

La dernière fête avant la fin du Monde

Au dessus de l’aventure de nos personnages, le visage de la mort plane sans cesse. Il a pris d’assaut Florence et le Monde, la maladie y règne. Alors, dans un confinement qui n’est pas sans rappeler ce qu’on a pu vivre avec le COVID, on tente de garder le visage de la norme. Ne l’avons nous pas fait aussi à coup d’apéros Skype pour croire en un quotidien plus classique ?

Ici les fêtes vont bon train, on mange et on boit à plus soif alors que dehors la faim règne. Derrière les sourires, l’ombre d’une mort certaine, peut-être prochaine et le poids du deuil. Misia personnifie la perte et pourtant, celle-ci sera constamment éclipsée pour lui préférer les faux semblants et les faux drames nourrirent par Pampinea.

Le sexe est de la partie, il a de nombreux visage mais son premier n’est autre que celui de Dioneo, médecin beau gosse qui fera fantasmer et douter la villa toute entière. Il est la personnification de la liberté autant que de la tentation. C’est par lui que tout commence mais pas nécessairement que tout finit.

Ce Décaméron prend tous les visages du drame, tous ceux du tragi-comique et sert autant à déverser quantité de message qu’à divertir. Puisque, et c’est aussi là sa force, il tient surtout à mettre le récit en son coeur. C’est le récit qui peuple le livre d’origine et les histoires que se content les nobles pour passer le temps. Ce sont les récits pluriels de nos personnages qui viendront nous chambouler et nous amuser au cours d’une série hors cases. Et c’est le même récit qui conclue notre show. Celui qui rappelle que toutes les histoires sont intemporelles et que qu’importe leur temps et leur lieu, elles parleront à tous.tes pourvu qu’elles soient bien contées.


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