« Soft tissue ». C’est le nom du nouvel album de Tindersticks, aussi doux que son titre le laisse entendre.
Meilleur que les deux précédents, rivalisant même avec leurs albums cultes des débuts, cet opus marque un retour en grande pompe du groupe, fait de morceaux toujours plus sublimes, et habité par une âme soul entièrement retrouvée.
C’est leur premier album composé post-pandémie, et il reflète l’immense plaisir qu’ont eu les membres du groupe de jouer ensemble à nouveau. Et de ces retrouvailles, la magie a opéré…

Pour l’occasion, Stuart Staples, chanteur et leader, nous a accordés de son temps pour répondre à nos questions.
Adorable personnage qui nous fait penser au père castor par son côté grand-père conteur d’histoires, l’homme dont la voix nous berce depuis plus de 30 ans nous attend sur la terrasse du bateau Petit Bain. Un cadre parfait pour s’entretenir avec lui autour du nouvel album, mais aussi autour de l’histoire du groupe et du chemin semé d’embûches qui les a amenés jusque-là.

Stuart Staples – Tindersticks
Pop & Shot : Le groupe a derrière lui plus de 30 ans de carrière. Qu’est-ce qui a changé depuis vos premiers pas et qu’est ce qui vous motive à encore faire des albums aujourd’hui ?

Stuart Staples – Tindersticks : Quand tu dis ça, ça sonne comme une ligne continue, sauf que cette ligne a connu beaucoup d’obstacles et a été brisée. On était de jeunes garçons qui, pendant nos cinq premières années d’existence, vivaient comme on l’entendait, selon nos propres règles. Personne ne se mêlait de quoi que ce soit. Pas de maison de disques. Sur cette période, on a fait nos deux premiers albums avec une liberté totale. Puis la réalité a fini par frapper à notre porte *rires* : maison de disques, budgets et tout ce qui s’en suit, avec le besoin de mener le groupe vers une existence viable, d’en faire notre travail. C’est vraiment difficile quand ta passion devient ta source de revenus. Tu dois prendre des décisions parce que tu dois payer ton loyer.

Pop & Shot : Le Tindersticks d’aujourd’hui n’est plus le même que celui des débuts donc ?

Stuart Staples – Tindersticks : Cette première formation du groupe que je viens d’évoquer a duré pendant dix ans avant de prendre fin. J’ai cru à ce moment-là que le groupe était terminé. Quelques disques solos sont parus puis Neil [Fraser] and David [Boulter], membres du groupe, ont voulu essayer de nouveau. On a alors recommencé à faire de la musique ensemble, accompagnés de Dan McKinna qu’on a rencontré à ce moment-là et qui est avec nous depuis. Il a eu un impact incroyable sur le groupe et sa relancée. Puis on a aussi rencontré Earl Harvin qui est notre batteur depuis 13/14 ans. Ces deux gars sont à l’origine d’une version du groupe totalement différente que celle originale. Les gens pensent qu’étant donné que je suis un des membres fondateurs, j’ai la main sur tout mais ça n’est pas comme ça que fonctionne un groupe. Les groupes sont généralement faits de personnalités musicales qui s’assemblent. Il faut sentir le feeling dans la pièce et si le feeling est là, tu ne peux pas dire : c’est moi seul aux commandes. Le groupe a vécu bien des choses et c’est toujours aussi stimulant.

Pop & Shot : Si le groupe a eu différentes vies, votre manière de chanter reste toujours dans la continuité des débuts selon moi. Cette façon si belle que vous avez de poser la voix en accord avec la musique, est-ce qu’encore aujourd’hui, vous la travaillez en quête d’exploration et de nouveauté ou, au contraire, est-ce que vous avez le sentiment d’avoir déjà atteint votre sommet à ce niveau là ?

Stuart Staples – Tindersticks : J’ai toujours été motivé par l’envie de faire des choses, plutôt que de me dire : hey je suis un chanteur. Quand j’étais jeune, pour faire exister une chanson, je n’avais pas beaucoup : une guitare et une voix. C’est grâce à ça que je pouvais faire naître des chansons mais je ne me voyais pas comme un chanteur. Dans les débuts du groupe, j’étais un peu désinvolte à propos de mon chant. En une prise j’étais là : ok c’est bon. Puis c’est à partir du quatrième album que j’ai commencé à prendre le sujet véritablement en considération. J’ai alors commencé à déceler les faiblesses de mon chant. Sauf que c’est une partie naturelle de moi. Je n’essaie pas d’en faire quelque chose d’autre. C’est juste moi. Et aujourd’hui encore. Tout est très naturel.

Pop & Shot : Vous composez depuis des années les bandes originales des films de Claire Denis. Qu’est-ce que cette collaboration de longue durée vous a apporté ?

Stuart Staples – Tindersticks : Je ne sais pas si je serais encore là à faire de la musique si ça n’était pas pour Claire. Chaque fois qu’on travaille ensemble, ses idées m’obligent à aller chercher ailleurs, sur un terrain nouveau de notre musique. Une fois que tu es passé par là, que tu es sorti de ta ligne créative pour explorer une nouvelle façon de jouer et de composer, tu en ressors forcément changé. C’est comme une extension du groupe qui le fait évoluer. Notre collaboration repose sur une conversation vivante entre nous deux à chaque fois. C’est SON film à elle et moi, j’essaie de l’aider au mieux à atteindre l’endroit où elle a besoin d’aller, toujours au service de son œuvre. Tant que la conversation est vivante, je suis toujours heureux d’y participer.

Pop & Shot : Et ça change quoi dans votre manière de composer d’écrire des morceaux pour du cinéma ?

Stuart Staples – Tindersticks : Il n’est pas question d’écrire sur notre propre expérience, mais plutôt à partir d’elle. Donc c’est pratiquement semblable, mais c’est à la fois quelque chose de différent. Je réponds à ce que Claire demande, à ses idées visuelles. Ca engage ma personne, mais d’une manière différente. Plus légère. Car parfois, nos propres créations peuvent être un peu lourdes, étant donné qu’elles parlent de nous directement…

 

Cover de « Soft tissue » (2024) – Tindersticks

Pop & Shot : Ce nouvel album que vous vous apprêtez à sortir est excellent. Je trouve que c’est l’un de vos meilleurs. Vous arrivez à capter mon attention de la première à la dernière note, avec des morceaux hyper prenants, jamais ennuyants…

Stuart Staples – Tindersticks : J’aime que tu dises ça : jamais ennuyants, contrairement à ce que vous pourriez penser ! *rires*

Pop & Shot : Oui pardon, ça ne devait pas sonner comme ça *rires*
Pouvez-vous nous parler de la conception de ce nouvel album ? Comment est-il né ?

Stuart Staples – Tindersticks : Premièrement, par la manière dont tu décis ce nouvel album, et je le ressens comme ça aussi, c’est que c’est un moment charnière pour le groupe. C’est un album post-pandémie, qui est marqué par le plaisir de se retrouver suite à un long moment on ne pouvait pas aller au studio tous ensemble. On sortait d’une période où on a été privé de ce temps important : celui de profiter de notre compagnie commune, celui de partager nos idées, celui de jouer… Pour nos retrouvailles, on s’est pas mis en tête de faire un nouvel album. Non. Quand notre tournée en Espagne s’est terminée, on a loué un studio là-bas dans l’idée de passer un week-end ensemble, à discuter, à boire, à jouer. Voyons ce qu’il se passe ! C’était le sentiment : on méritait d’avoir ce temps de nouveau ensemble, sans pression. Ca n’était pas un grand studio couteux. Il était modeste, et il nous a permis de célébrer ses retrouvailles dans la joie et l’inconnu. De là a commencé a naitre des bribes de morceaux : « Always a Stranger », « New World », « The Secret of Breathing ». On est revenus de ce séjour avec les bases de chaque idée, qu’il a fallu plus tard mettre en forme. Mais voilà, le cœur de tout, c’est nous dans ce studio à ce moment précis, poussés par un désirs commun.

Pop & Shot : Vous avez pris plus de plaisir avec cet album qu’avec le précédent (Distractions, 2021) ?

Stuart Staples – Tindersticks : Disons que Distractions a été fait pendant le confinement, donc c’était beaucoup moins fluide et chaleureux. C’était en mode : on se libère un jour pour mettre la batterie sur cette chanson. On avait pas cette atmosphère facile, sereine, et cool qui prédomine sur ce nouvel album. (14:30)

Pop & Shot : Ce nouvel album sonne plus soul que les précédents, avec des cuivres, des violons, et des chœurs féminins, ce qui le fait gagner en intensité et en accroche. D’où vient cette direction artistique ?

Stuart Staples – Tindersticks : Cet aspect fait partie de notre musique depuis très longtemps. Notre album « Simples Pleasures » sorti en 1999 se voulait vraiment être un album de soul. C’est tellement une partie intégrante de nous, de moi en tant que chanteur, d’Earl en tant que batteur, de Dan en tant que bassiste… C’est si naturel pour le groupe que ça n’était pas vraiment une décision en tant que telle. Rien est forcé. On le sent alors on le fait.

Pop & Shot : Et par rapport aux deux précédents albums, qu’est-ce qui différencie ce nouvel opus selon vous ?

Stuart Staples – Tindersticks : « No Treasure But Hope » est un album tellement naturaliste, qui a été fait en réponse à ce qu’il y a eu avant, c’est à dire trois projets très spéciaux dont la bande-originale de « High Life » (Claire Denis, 2017) et un album solo qui m’ont demandé beaucoup de temps et de recherche. J’en avais assez de creuser et d’expérimenter dans mon studio. Je voulais retrouver cette simplicité d’être avec les gars, ma guitare et ma voix. Ce qui a donné un disque très naturaliste. Mais finalement, je n’en suis pas totalement convaincu, car ça n’était pas assez excitant à mon goût. Puis « Distractions » a été en réponse à ça. Les morceaux et les sonorités sont devenus très abstraits. Je dirais que ce nouvel album est un combiné des deux. Il poursuit le solide travail de composition de « No Treasure But Hope », ainsi que l’aspect expérimental de « Distractions ».

Pop & Shot : J’ai l’impression que cet album gagne quelque chose en évidence, grâce notamment à la sensation d’un mouvement de progression et d’élévation tout du long, particulièrement marquant. Il y a comme un suspense qui nous maintient en haleine. Le morceau « Always a Stranger » en est la démonstration parfaite. Etait-ce volontaire, d’aller vers ce quelque chose de plus catchy ?

Stuart Staples – Tindersticks : La question du rythme est primordiale. Trouver le rythme, c’est l’enjeu principal.

Pop & Shot : Il y a une chanson intitulée Nancy, est-ce en référence a une personne réelle ?

Stuart Staples – Tindersticks : Non, c’est simplement le prénom d’une femme *rires*

Pop & Shot : La chanson d’ouverture de l’album « New World » me rappelle une autre chanson française qui porte le même titre : « Monde nouveau » de Feu Chatterton. Je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler. Le refrain dit « Un monde nouveau, on en rêvait tous ». Est-ce le cas du vôtre également ? Est-ce qu’on en rêve, de votre new world ?

Stuart Staples – Tindersticks : Les premières lignes de la chanson sont : « Baby I was falling, but the shit that I was falling through ‘Thought it was just the world rising ». [Chérie j’étais en train de tomber mais la merde dans laquelle je tombais était en fait un nouveau monde en élévation]. Ca parle de ne plus être capable de voir le chaos dans lequel on est. Parfois, tu as ton nom dessus. Et tous les gros problèmes de ce monde portent notre nom. On fait partie du problème. On est le problème. Si tu vis dans la tourmente, sentiment que cette chanson reflète, et que partout autour de toi, il y aussi de la tourmente, il faut essayer de comprendre où sont les frontières, d’où ce sentiment de tourmente provient, et si ce n’est pas quelque chose dont tu es toi-même à l’origine.

Pop & Shot : La chanson est accompagnée d’un très joli clip en stop motion, qui s’ouvre par une image d’écroulement. vous pensez que le monde dans lequel on vit est en train de s’effondrer comme dans le clip ?

Stuart Staples – Tindersticks : Avant d’écrire une chanson, je ne me dis jamais : ok cette chanson parlera de ça. Non. C’est les émotions qui me guident. Avant même de penser au clip, c’était important que le morceau et donc l’album commence avec ces perturbations. C’est ce qu’on entend musicalement au tout départ, avec ces gros cuivres. Cette partie symbolise le passé et ensuite, direction le futur. Ces perturbations sont destructrices pour moi. C’est pour ça que les immeubles s’écroulent au début du clip. Ensuite, le petit personnage peut commencer sa journée.

Pop & Shot : vous considérez cet album plutôt sombre ou lumineux ou les deux en même temps ?

Stuart Staples – Tindersticks : Ca change sur le moment selon moi. Si tu me parles de « The Secret of breathing », je vais te dire ok c’est une chanson dure. Vraiment très dure, pour moi. « Falling the Light », par exemple, parle de la lumière qui tombe sur l’eau, et sur les souvenirs. Quelque chose de lumineux donc. Mais c’est aussi autour de la lumière qui disparait. Chaque morceau a sa particularité. « Always a stranger » est une chanson qui en appelle désespérément à la connexion mais lorsque je pense à elle, je ne la vois pas comme une chanson noire particulièrement.

Pop & Shot : L’avant dernier morceau « turned my back », avec ses chœurs féminins, est magnifique et très entrainant. Elle finit presque l’album sur des notes joyeuses. C’est une bonne idée de l’avoir placé. Je n’ai pas de questions particulières *rires*

Stuart Staples – Tindersticks : *rires* merci beaucoup*

Pop & Shot : Concernant la cover de ce nouvel album, c’est une peinture comme beaucoup de vos précédents albums. Elle représente deux personnes qui s’enlacent. Je la trouve très apaisante. Pouvez-vous nous dire son histoire ?

Stuart Staples – Tindersticks : A vrai dire, ce n’est pas une peinture. Elle est faite en feutres, ce tissu artificiel créé à partir de fibres naturelles. On la doit à ma fille qui est une artiste du textile. Elle a crée elle-même chaque couleur que l’on voit dans cette image.

Pop & Shot : Vous lui avez donné une direction ou elle avait carte blanche ?

Stuart Staples – Tindersticks : Pas pour cette image non. Elle a commencé à travailler à partir de cette matière, le feutre, et j’ai beaucoup aimé. Je lui ai commandé trois images qui font partie de l’artwork global de « Soft tissue ». Mais l’image de la cover, c’est une œuvre sur laquelle elle était déjà en train de travailler et je l’ai supplié de pouvoir l’utiliser pour l’album.

Pop & Shot : Sur l’album précédent, vous repreniez une chanson de Neil Young : « A man needs a maid ». Je suppose qu’il est l’un de vos guides en terme de composition…

Stuart Staples – Tindersticks : Il fut un temps oui, mais c’était il y a longtemps. J’ai toujours énormément de respect pour lui. Il y a une époque dans les années 90, où, quand je partais en tournée, j’emmenais avec moi une pile de CDs avec mon lecteur walkman – c’était avant les téléphones etc *rires* – et dans cette pile, il y avait forcément un album de Neil Young. Puis est arrivé un moment où j’ai déconnecté avec tout ça, et je me suis « séparé » de beaucoup de monde. Des artistes qui, je le croyais, m’accompagneraient jusqu’à ma mort. Mais j’ai stoppé. Et aujourd’hui, avec du recul, je suis content de l’avoir fait. Je connais tout concernant cette musique mais je ne l’écoute plus. Ca ne veut pas dire que je ne l’aime plus… enfin je veux dire… tout le monde aime Neil Young non ? J’ai juste arrêté parce que je devais aller de l’avant et si je ne l’avais pas fait, je n’aurais pas été capable de vivre des expériences musicales incroyables que j’ai vécu durant les 25 dernières années. Mais quand même, tout le monde a envie de reprendre du Neil Young, ça ne fait jamais de mal.

Pop & Shot : Et vous écoutez quoi en ce moment ?

Stuart Staples – Tindersticks : J’aime beaucoup le dernier album d’André 3000. C’est ce que j’écoute le plus dernièrement.


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