Il est de ces concerts qui nous font beaucoup appréhender avant leur passage, puisqu’on ne saurait trop dire si notre envie d’y assister découle d’un réel intérêt musical ou repose davantage sur une curiosité nostalgique. Celui de Skunk Anansie au Casino de Paris le 29 mars dernier réunissait tous les marqueurs de cette appréhension. A-t-il su la faire voler en éclats ?
Groupe britannique des années 90, Skunk Anansie tient en un nom : Deborah Dyer, sa mythique front-woman qui n’a rien à envier aux plus grand.e.s du milieu. Sa voix et sa prestance en font une véritable maitresse du rock. Et même si Skunk Anansie n’a jamais été un grand groupe, c’est grâce à elle qu’il n’est pas tombé dans l’oubli après toutes ces années. Leur heure de gloire s’étend sur quatre ans, de 1995 à 1999, avec la sortie de trois albums auxquels il serait malhonnête de nier la force d’évidence. Une musique située à plusieurs intersections, entre le rock alternatif, le punk, le métal, le rap… Le tout porté par des compositions commerciales à allures d’hymnes, la plupart du temps tellement bien foutues qu’elles ont su réconcilier chez ses admirateurs leur côté rock badass et leur penchant pour les refrains de cœur.
Depuis 2009 et après une pause d’une dizaine d’années, le groupe continue de sortir des albums (que l’on ose à peine écouter) et à faire des concerts pour le plus grand plaisir des fans de la première heure. Cette date au Casino de Paris donnait rendez-vous à ces derniers après de multiples reports.
La bonne odeur des années 90
Si nous sommes venus, c’était principalement dans l’espoir d’une touche d’adrénaline procurée par l’interprétations des morceaux de leur début de carrière. De ce côté-là, ce fut un festin, puisque le groupe a évidemment conscience que la majorité du public (pas tout jeune) s’en tamponne royalement de leurs dernières créations aussi peu dans l’ère du temps que le dernier single (et presque toute la carrière) de Muse. Voilà donc que le concert débute sur leur classique : « Yes It’s Fucking Political », géniale ouverture de l’album Stoosh (1996). On priait d’ailleurs pour que le concert s’ouvre sur ce titre de grande qualité qui donne tout de suite le ton dans une parfaite définition de l’engagement du groupe. Deborah Dyer entre sous de vives acclamations avec une dizaines de cornes sur la tête, comme une Méduse du côté obscur de la force. Bon, le costume prête plus à la rigolade qu’à l’envoutement… Mais le groupe semble en forme, et heureux d’être là. Dans leur attitude, on sent l’envie généreuse d’offrir le plus impressionnant, le plus iconique et le plus inoubliable. Dès la 3e chanson : « I Can Dream », Deborah demande déjà à la foule de se baisser. On croirait assister à l’apogée du concert. Il faut dire que ce titre contient tous les ingrédients du carton plein, sous la directive d’une vivacité affolante et d’un refrain fédérateur.
Punch Anansie
Mode best-of activé, le concert est un florilège de leurs tubes, entre morceaux bourrins et autres plus mélodieux. On croise la route de « Weak », « Hedonism (Just Because I Love You”, “Charlie Big Potato”… Tous issus des trois albums des années 90. Parmi les morceaux plus récents, « Can’t Take You Anywhere », leur dernier single, tente de moderniser le style Skunk Anansie mais tombe vite dans une lourdeur épuisante… On appréciera davantage « Love Someone Else », tiré de leur album Anarchytecture (2016) qui s’en sort plutôt bien en live.
Deborah Dyer est en forme et remplit son rôle, même si la voix rencontre un peu de fatigue de temps en temps, ce qui n’altèrera néanmoins pas sa générosité. L’accueil chaleureux du public lui sert de carburant, et vice versa. On remarque un grand nombre de sourires sur les visages, comme si certains y retrouvaient là une amie d’enfance avec qui les 400 coups ont auparavant été faits. Des retrouvailles amplifiées par un son plutôt clair et fidèle à la musique du groupe. A la manœuvre, on retrouve le clan originel : Ace à la guitare, Cass à la basse et Mark Richardson à la batterie. Soutenus par Erika Footman aux claviers.
Skunk Anesthésie
Sans grandes surprises, la recette fonctionne. Pas de mensonges sur la marchandise. On fait face à une machine bien rôdée, plus ou moins méthodique. C’est un grand spectacle à l’américaine, qui n’évite malheureusement pas la caricature, bien que, lorsqu’on se prête au jeu, nous emporte assez facilement. Il suffit dès le départ d’adhérer aux règles. Mais voilà que certaines chansons ont tout de même du mal à gagner notre tolérance, tellement s’en dégage quelque chose de désuet, démodé… Si ce n’est pour dire ringard (reprendre ACDC ne vous rendra jamais cools). En réalité, l’ensemble n’y échappe jamais totalement. Mais on leur pardonne en mettant ça sur le compte d’un certain immobilisme artistique dû principalement à un encrage trop appuyé de leur musique.
Yes it’s fucking political !
Heureusement, notre tolérance sera très vite regagnée grâce aux speechs engagés de Deborah Dyer, dont l’engagement politique et la musique sont toujours allées de pair. On ne peut ainsi qu’approuver ses quelques mots sur les immigrés et réfugiés de guerre, comme quoi il est insupportable de constater une différence de traitement selon leur nationalité et religion par les pays en mesure de les soutenir/accueillir, situation mise en lumière par l’envahissement de l’Ukraine par la Russie. C’est bien la réalité des choses et ça ne fait pas de mal de l’entendre. Le rock restera toujours le meilleur porte-parole de l’indignation.
Alors ce concert, pure nostalgique ou réel intérêt musical ? Même si le premier l’emporte haut la main, il n’en fait pas moins un moment apprécié. Skunk Anansie, fidèle à lui-même, poursuit son chemin. Se mettre sur leur route, c’est savoir exactement quelle direction emprunter en connaissances de causes. Etre contrarié de la destination finale, c’est avoir voulu renverser la table mais ne pas être parvenu à descendre de la voiture dont vous vous être abstenu de choisir le chauffeur. En résumé : vous ne pouvez que vous en prendre à vous-même ! Skunk, lui, n’a pas menti.