C’est aux couleurs de l’Irlande qu’il faut se parer pour célébrer cette dernière journée de Rock en Seine. Une journée Up to 90 comme le dit l’expression irlandaise pour dire bouillante (up to 90 degree). Trèfles à quatre feuilles peuplent en effet les parterres du festival verdoyants pour mieux accueillir deux des plus gros noms d’une dernière journée très attendue. Le premier Kneecap, a beaucoup fait parler de lui notamment en raison de nombreuses polémiques autour de leur engagement pour la cause Palestinienne et de leurs procès. Le second, Fontaines D.C est devenu de loin la plus grande sensation rock du moment. En dehors des deux comparses et leurs performances fracassantes, la journée est allée de coup de cœur en coup de cœur. Impossible de rater l’envoûtante Sharon Van Etten and the Attachement Theory, de ne pas se laisser envoûter par Sylvie Kreush, de ne pas pogoter avec Fat Dog ou de danser aux côtés de Dylan Minette et son groupe Wallows ou de finir la journée avec la tête d’affiche : Queens of the Stone Age. On vous emmène avec nous pour debrifer ce moment dont il est difficile de redescendre.
Fontaines D.C : une si belle romance !

Que s’est-il donc passé ? Il y a 3 ans, Fontaines D.C s’offrait la scène Cascade (aujourd’hui Revolut, les choses changent trop vite) face à un public d’adeptes, compacts oui mais surtout indé. Les voilà qui aujourd’hui prennent d’assaut la grande scène et la remplissent, à ras-bord. Difficile de se frayer un chemin au milieu du public souvent estampillé au couleurs du groupe. Rose et vert donc. Ce sont elles qui donnent le premier indice sur ce qui a retourné toutes les cartes. La sortie de l’album « Romance » l’année dernière, un changement de label et voilà que la groupe de Grian Chatten est sorti de son territoire de rois du pop punk indé. En lieu et place la formation est devenue icône du mouvement et n’est pas sans rappeler la puissance d’Arctic Monkeys en terme d’aura et de succès. A Rock en Seine, l’affaire ne manque pas, faisant du groupe un concurrent sérieux en terme de notoriété à la tête d’affiche du soir : Queens of the Stone Age. Côté scène c’est un set assez simple qui attend la foule, pas de gros effets scéniques, pas d’énorme mise en scène, peu de temps de prise de parole. Parce que finalement ce qui porte Fontaines D.C, c’est la musique elle même. Ainsi, le groupe choisit de tout miser sur une set list aux petits oignons dans laquelle les tubes se succèdent. Une entrée immense sur « Here’s the thing » met tout le monde d’accord alors que les minutes qui suivent ne laissent pas le temps de reprendre son souffle tant toute l’assemblée chante à pleins poumons : « Jackie down the line », magistral suit avant d’enchainer : « Boys in the Better land », « Televised Mind », « Roman Holiday »… Combien ont-ils de hits ? Leur discographie n’est-elle finalement pas que succession étourdissante de tubes fédérateurs sans aucune fausse note ? On passe de l’excellence de « Skinty Fia » à la beauté révolutionnaire et désarmante de « A hero’s death ». « Romance », qui est loin d’être oublié pour autant n’ pas seulement redéfinie le statut du groupe en terme de notoriété, il a aussi rabattu ses cartes musicales. La mélancolie, la beauté sombre et introspective a fait place à quelque chose de plus brut et instinctif, loin des évidentes influences the Smiths-iennes du groupe. Les voir basculer de façon si radicale, si évidente dans l’hyper notoriété donne ce sentiment de vivre l’histoire de la musique. De ce genre de concerts dont on parlera encore dans des décennies pour mieux dire j’y étais ! Le dernier single dévoilé du groupe « It’s Amazing to be young » s’offre une place au centre du live. L’immense « Favourite » (issu de « Romance ») aux notes à la Oasis est l’occasion pour Fontaines D.C de le dédicacer à leurs comparses de Kneecap qui jouaient juste avant eux sur la scène Bosquet. Comme eux, le groupe affiche en fin de concert d’immenses slogans « Free Palestine », écho au drapeau qui peuple la scène depuis les toutes premières minutes. Les trois derniers titres arrivent déjà. Un malaise dans la foule interrompt les festivités alors que tout le public applaudit quand la personne est en sécurité. « In a Modern world », le titre le plus puissant du dernier album résonne enfin et prend aux tripes. Avant de se dire au revoir on se chante « I Love you » et l’assistance dans toute sa puissance et sa beauté personnifie cet amour viscéral, fou que seul le live sait offrir. Enfin, la crise d’angoisse de Grian Chatten, le premier extrait de l’excellent « Romance », résonne. « Starbuster » met tout le monde en transe. Ici cette sincérité à se confier résonne autrement. L’angoisse se partage et se dissout, les douleurs sont devenue une fête que l’on ne voudrait jamais quitter.
SYLVIE KREUSCH : girl crush fontaines d.c

Pour cette cinquième et dernière journée de Rock en Seine, le rendez-vous avait été fixé un peu plus tôt qu’à l’accoutumée. Certains auraient pu céder à la tentation de quelques heures de sommeil supplémentaires, mais le soleil éclatant et l’excitation encore bien présente ont suffi à faire lever les plus récalcitrants. C’est Sylvie Kreusch qui avait l’honneur d’ouvrir le bal.
À 13h40 précises, la chanteuse belge fait son entrée, vêtue d’une robe blanche scintillante bordée de fourrure. On s’interroge sur la manière dont elle supporte une telle tenue sous cette chaleur écrasante… mais très vite, la question s’efface. Sa voix cristalline, légère et limpide, apporte une bouffée de fraîcheur aux festivaliers déjà rassemblés. Et soudain, on réalise que le sommeil pourra bien attendre.
Plus tard dans son set, elle s’octroie même un petit bain de foule, armée d’un parapluie au motif de pastèque. Un geste simple, mais fort, par lequel elle affirme avec élégance son soutien à la cause palestinienne. Car ce sont souvent ces petites marques symboliques qui ouvrent la voie aux grandes avancées.
FAT DOG : chiens sans laisse fontaines d.c

15h40 sonne, et c’est le signal : C’est l’heure de courir vers la Grande Scène, parce que Fat Dog va commencer.
Originaire du sud de Londres, le groupe s’est taillé une sacrée réputation en un temps record. Moins d’un an après la sortie de leur premier album Woof, ils enchaînent déjà les festivals aux quatre coins du globe. Leur passage au Trabendo en avril dernier avait laissé un parfum de chaos joyeux. Alors, autant dire qu’on les attendait de pied ferme.

Joe Love, le chanteur, débarque sur scène clope au bec et bière à la main, les bras tendus avec une nonchalance affirmée. Le groupe s’installe, un extrait théâtral résonne, voix caverneuse à la Vincent Price… puis surgit le hurlement d’introduction : « Vigilante » explose. Dans la foule, les premiers pogos se forment. Chris Hughes, derrière les synthés, se jette rapidement dans le public, dirigeant les corps comme un maître de cérémonie, mains en pinces de crabe pour dicter la chorégraphie du pogo.
Tout le concert se joue dans ce rapport direct, charnel, avec le public. Quand ce n’est pas Hughes qui plonge dans la foule, c’est Joe Love qui passe la quasi-totalité du set dans les bras des spectateurs. Cette proximité transpire d’authenticité, et rend Fat Dog immédiatement attachants : on a envie d’être de leur bande. Mention spéciale au violoniste, qui délaisse soudain son instrument pour offrir une improbable démonstration de breakdance, achevant de rendre le moment totalement fou.
Kneecap : The Wind That Shakes Rock En Seine fontaines d.c

Tiocfaidh ár lá! Ohlala! Sans doute l’un des concerts les plus marquants, sinon le plus marquant, de cette édition 2025.
À 18h25, Kneecap doit monter sur la scène du Bosquet. Problème de riche pour les festivaliers : à 19h25, Fontaines D.C. démarre sur la Grande Scène, à l’autre bout du site. Dilemme classique des festivals : quitter Kneecap avant la fin pour filer voir Fontaines ? Ou rester jusqu’au bout et assumer d’arriver en retard ? Réponse en fin de récit.
Mais avant même que la première note ne retentisse, impossible d’ignorer le contexte. Kneecap n’est pas un groupe comme les autres. Leur soutien affirmé à la Palestine leur a déjà valu d’être écartés de plusieurs festivals et même bannis de Hongrie pendant trois ans. Mo Chara, lui, est actuellement poursuivi après avoir brandi un drapeau du Hezbollah en concert. Autant de polémiques qui, loin de les affaiblir, nourrissent leur aura : celle de la nouvelle génération du punk irlandais, rebelle, fière et impossible à faire taire.Rock en Seine, lui, n’a pas cédé. Le festival a choisi de maintenir Kneecap à l’affiche. Un geste fort, qui sonne comme un soutien non seulement à leur musique, mais aussi aux causes qu’ils portent, palestinienne et irlandaise en tête.
C’est dans ce climat chargé que le public se presse devant la scène du Bosquet. L’attrait du scandale joue son rôle : beaucoup sont venus « voir ce qu’il va se passer ». Mais d’autres sont là pour témoigner ouvertement leur soutien, drapeaux irlandais et palestiniens à la main, keffiyeh sur les épaules.
Dès 18h10, l’attente devient compacte, presque étouffante. On se faufile difficilement dans le crash, tandis que les voix s’élèvent déjà : « Free, Free Palestine! ». Le ton est donné, l’heure suivante appartiendra à l’Histoire.
18h25. 3CAG explose dans les enceintes. Dans le crash, c’est la cohue, les photographes se bousculent comme rarement pour cette scène. Avant même l’arrivée du groupe, des slogans apparaissent, traduits en français :
« Israël commet un génocide contre le peuple palestinien. Plus de 90 000 personnes ont été assassinées en 22 mois. Le gouvernement français est complice : il vend et facilite le commerce d’armes à l’armée israélienne. »
Puis le rituel commence. DJ Provaì arrive en premier, cagoule tricolore irlandaise vissée sur la tête. Mo Chara et Moglaì Bap suivent aussitôt, et la clameur monte d’un cran. Quelques sifflets surgissent : un petit groupe d’opposants tente de troubler le set. Rapidement, la sécurité les isole et les évacue. La tension est palpable, mais Kneecap ne plie pas. Au contraire, ils redoublent d’énergie et martèlent leur message. Pour eux, le constat est limpide :
« C’est plus facile de se concentrer sur un groupe de rap irlandais que sur le réel problème : un génocide est en train d’avoir lieu et tant que rien ne se sera fait, nous ne nous tairons pas. »
Mais ce concert, malgré son poids politique, reste avant tout une célébration. Moglaì Bap rappelle avec fierté que ce sont des Françaises qui ont offert à l’Irlande son drapeau tricolore. Parce que Kneecap, c’est aussi ça : une force révolutionnaire qui redonne souffle à une langue en danger. L’« Effet Kneecap » a relancé l’usage de l’irlandais, jadis menacé de disparition presque totale, et leur rap abrasif le propulse à nouveau sur les lèvres d’une génération entière.
Et cette joie, elle est là : dans leurs rires, leur complicité et l’énergie contagieuse de leurs morceaux. Le public scande leurs textes, mélange d’anglais et d’irlandais, repris à pleins poumons par une foule franco-irlandaise en communion totale. Mo Chara s’en amuse : « Il y a des Irlandais dans le public ? » — « Oui ! » — « Et des Bretons ? » Moglaì Bap s’émerveille du goût des escargots à l’ail, pendant que DJ Provaì, goguenard, lance un « Allez les Bleus ! » repris par la foule.
Côté setlist, on est servis. Une large part de Fine Art, leur dernier album, ponctuée en fin de concert par deux classiques absolus : H.O.O.D. et Guilty Conscience. Et pour conclure ? Leur tout dernier single, The Recap.
Réponse au dilemme originel donc : nous sommes restés jusqu’au bout, incapables de lâcher une seconde de ce qui restera comme un moment historique du festival. Parce qu’au-delà des polémiques et des slogans, une certitude demeure : le punk est d’abord une manière de vivre, de résister, de croire. Et nul mieux que les Nord-Irlandais ne peut en incarner la fierté, la rage et l’espoir.
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