Voilà maintenant 22 ans que Shaka Ponk a débarqué dans le coeur de ses fans. Quelque part 22 ans pour un groupe c’est une véritable ère. Comme 90 ans de vie pour un humain.e. Il devient dans les consciences collectives un repère, de ceux qui seront toujours à vos côtés. En France, la formation très engagée a boulversé des vies, éveillé des conscience, donné le goût au live, tracé parfois sans le savoir des trajectoires et des carrières. Mais voilà qu’il fallait arrêter, pour se concentrer sur d’autres projets, pour défendre des convictions écologiques, et donc dire au revoir. Le Final Fuck*d Up Tour posait donc ses valises à l’Accor Arena pour un long adieu du 27 au 30 novembre 2024. Un moment qui se vivait tel un deuil à travers ses 5 étapes, soir après soir. On vous raconte.
Shaka Ponk et la colère
Il existe une théorie qui dit que le deuil se déroulerait en 5 stades distincts, dans un ordre spécifique pour mieux mener à l’acceptation. Si la théorie a fait beaucoup parler d’elle, elle ne manque pas aussi d’être contredite dans son ordre. On passerait d’un stade à l’autre, en revenant au premier. C’est ainsi qu’il faudra faire nos adieux à Shaka Ponk dans le désordre émotionnel et dans l’ordre qui correspond le mieux au groupe. Ainsi la première étape de notre périple sera celle de la colère. Ce sera d’ailleurs l’un des premiers mots que prononcera Frah en montant sur scène en cette soirée du 28 novembre. Mais aussi pour ces autres soirs qui verront une set list similaire être amplifiée par une émotion de plus en plus grande, rendant à chaque concert son unité. Le groupe débute son set sur une estrade centrale, située dans la fosse, après avoir été serrer un maximum de mains dans les gradins. Le dernier contact physique avant le deuil, les douloureux adieux, il fallait poser ses yeux sur les êtres aimés encore un peu.
La colère, donc, nous disions, perchés sur leur plot central avant d’entonner « I’m Picky » à l’acoustique. En colère de devoir s’arrêter, à cause, disent-ils d’un gouvernement fou et destructeur qui ne se responsabilise pas sur la condition de la planète, qui n’a pas de respect pour l’humain, divise et appauvrit. Alors cette colère, motrice, elle pousse à faire sa part, partir vers d’autres horizons, notamment vers The Freaks, le collectifs d’artistes engagés pour la planète créé par Frah et Sam en 2018. Cette colère, elle s’exprimera à plusieurs reprises au court de nos quatre soirées de concerts. Lorsqu’un Macron, marionnettiste géant apparaîtra sur les écrans pour pousser dans une folie meurtrière et capitaliste des hommes dans un ravin. La colère sera aussi là quand il s’agira de défendre corps et âme des valeurs. Lorsque les drapeaux palestiniens flotteront sur scène pour ne jamais fermer les yeux sur une guerre atroce qui se déroule en ce moment même. Elle se traduit par ses revendications à l’égard de Paul Watson dont la libération sera explicitement demandée et dont l’anniversaire sera chanté lors du clap de fin du 30 novembre. Elle existe encore lorsque le groupe confie ne pas aimer les gens à travers les paroles de l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau, présent sur scène, qui signe la préface de son dernier album, et profite de ces soirées pour lire un texte engagé. Il y parle de la colère qu’il a lui aussi face à l’attitude des gens qui ne respectent pas la planète, se détournent des autres, lorsqu’ils « génocident » ajoutera-t-il encore. Même si, Samaha fera mentir brièvement ce désamour pour parler de son amour pour leur public et pour son meilleur ami, présent le 30 novembre dans l’assemblée. La colère, elle génère aussi des brasiers d’amour ces soirs là. La colère contre celles et ceux qui n’acceptent pas les autres dans leur entièreté pour mieux demander à ce chacun.e d’être soit-même, d’être entier, de s’aimer comme ils et elles sont et pour mieux brandir un drapeau LGBT en fin de set.
Shaka Ponk : le choc et le déni
Le choc, c’est aussi celui frontal et brutal du live pour ce groupe qui a toujours donné son énergie à 100 % à chaque performance. Ce soir, il est physique le choc, alors que le groupe n’a de cesse de s’offrir des slams dans la public. Frah y nage, y traverse le Styx, avec l’aisance de celui qui en est mille fois revenu. Je me souviens à mes débuts dans le journalisme l’avoir interviewé et évoqué ses souvenirs de concerts. L’un de ses pires s’amusait-il à conter, consistait en un slam raté alors que la foule s’était écartée d’un coup pendant qu’il était dans les airs. La chute lui avait cassé quelques os. Aucune peur n’en avait pourtant résultée. Lui et Samaha, celle qui avait valu à la formation son immense notoriété quand elle l’avait rejoint en 2011, n’ont de cesse de le traverser ce fleuve. Confiants, et portés par tous.tes. Et puis il sera très littérale, le choc, pour le public de la fosse invité à participer à un circle pit géant à mi-concert. « Attention, il y a des morts chaque soir » scandera Frah sur son plot central, avant d’inviter la foule à courir à toute vitesse. Pour mieux vivre le deuil, mieux vaut trouver son exutoire et l’exercice en est un bon.
Le choc c’est aussi celui d’une setlist diablement rock « Wanna Get Free », « Twisted Mind », la reprise de « The House of the rising sun » en version mi acoustique, « 13 000 heures ». Shaka Ponk savait rendre au rock français ses lettres de noblesses, s’osant à un punk que l’on trouvait si peu chez nous. « Faire des roulades dans la foule et danser aux côtés d’un singe géant, quelle vie de fou vous nous avez offert ! » s’émerveille Frah . Le deuil c’est l’occasion de bilan forcé, de souvenirs qui remontent en masse. Ceux d’un premier concert adolescent, à la découverte de guitares qui crient et d’écrans géants qui offrent un univers inconnu. Le choc, il était là au début, dans les yeux émerveillés de la découverte, d’une passion déclenchée, comment aurait-il pu ne pas revenir pour les adieux ?
Et forcément, il provoque le déni. Ce ne peut être la fin ! Pour mieux vivre avec lui, une chorale accompagne le moment. D’abord dans les hauteurs , puis se mêlant de plus en plus à l’avant scène jusqu’au rappel. Il faut de la douceur aussi pour réussir à dire au revoir. Toutes ces mains tendues sont bonnes à prendre, et ces voix tendues, à écouter.
Shaka Ponk et la grande tristesse
Elle est évidente celle-là non ? C’est déjà celle d’un public qui n’a de cesse de les suivre et de les retrouver date après date. C’est aussi celle qui s’entend dans la voix de Frah lorsqu’il parle la voix cassée de son émotion. « Chaque soir c’est de plus en plus difficile », confie-t-il d’ailleurs.
Etre triste à un show de rock endiablé, ça parait impossible, improbable et pourtant, c’est bien présent. Sur scène, les temps acoustiques du début, la reprise de « Smell like a teen spirit » de Nirvana, viennent à personnifier ce sentiment. Pour l’expliquer, le chanteur prendra le temps de parler des enfants du Monde qui ont aujourd’hui besoin de nous. Ici pour les guider, en Palestine où la guerre vole leur candeur, en Israel où elle ne les épargne pas. « On croit toujours que le bonheur c’est plus tard… » expliquera le musicien, que ce serait quand on aura une maison, une carrière, quand on possèdera tel ou tel bien, mais c’est faux, ce n’est qu’illusion tient-il à partager. Je ne sais pas quand et où serait ce bonheur tant convoité. Je sais que la tristesse c’est maintenant. Elle est mêlée au sourires provoqués par les souvenirs. Ceux là sont beaux et puissant. Un groupe de musique et leurs compositions peuplent nos vies et habillent nos moments. Leurs concerts offrent le piment dont nos quotidiens ont besoin. La grande tristesse, elle est toujours en demie-teinte. Et pour mieux se plonger une dernière fois dans le passé, le groupe invitera ses anciens membres à les rejoindre sur scène en cette soirée du 28 novembre. Le passé, il frappera à la porte de Samaha, le 30 novembre, date anniversaire de la mort de sa maman, comme elle le confiera avant de quitter la scène pour la dernière fois. Et pour sécher ses larmes, il faudra se tourner vers l’avenir. Les adieux qui peuplent la fin d’une ère, c’est connu, rappellent que la suivante arrive et qu’elle sera belle, pour nous ou alors pour d’autres. Et c’est ainsi qu’elle invitera des enfants à monter sur scène. Eux aussi, vivront un jour, le dernier concert de ce groupe qui les aura fondé et formé à appréhender le Monde. Tout finit et tout recommence.
Shaka Ponk et le Marchandage
Le marchandage sera peut-être l’étape un peu moins belle du concert. Shaka Ponk ne souhaite pas laisser la scène depuis le début de cette tournée et ça se sent à chaque date. Pour allonger la soirée, la bande de fous furieux ne recule devant rient, parlant beaucoup et offrant un concert de presque 3 heures, ponctué de beaucoup de propos et d’un peu moins de morceaux. C’est l’envie d’en dire énormément, beaucoup, de dire tout ce qu’on a à dire temps qu’on a un micro et des oreilles attentives. Parce que le groupe tient à ses messages, il prend le temps de tous les faire passer. Encore un peu de temps, alors que les morceaux s’étirent en des bridges instrumentaux qui permettent à la foule de se mettre au sol puis de sauter dans les airs, de pogoter, de slamer.
Shaka Ponk marchandera d’ailleurs son départ jusqu’au plus tard possible. Il s’offre un évident rappel sur « Rusty Fonky » – alors qu’on aurait bien marchandé « Stain » -, énergique comme jamais mais qui, contrairement aux concerts traditionnels, ne sera pas la dernière note du show. Cette dernière sera de longs échanges avec le public « C’est vous Shaka Ponk » n’hésiteront-ils pas à dire et redire. C’est dur de dire au revoir d’un côté et d’autre de la scène alors on gratte les minutes et les secondes pour mieux nier la réalité.
Shaka Ponk et l’acceptation
Il faudra sûrement un temps plus long pour parfaitement accepter ces adieux prononcés. Côté groupe, pour arrêter cette folle vie. Côté public, pour se laisser surprendre à l’été prochain de l’absence de nom du groupe sur les affiches des festivals qu’ils peuplaient chaque année. Il faut bien des anniversaires et des moments à vivre sans l’autre pour comprendre pleinement que cette nouvelle page elle se fera sans eux. Mais l’avantage en musique est que l’art offre la vie éternelle. Si nous ne bondirons plus avec Goz, leur mascotte, nous pourrons toujours trouver du réconfort auprès de leurs albums. Les nouveaux souvenirs pourront se constituer en écoutant leurs morceaux et en prenant plaisir à les redécouvrir au cours de nos vies. Un morceau ne nous quitte jamais vraiment et pour ça, au moins pour ça, on pourra transformer l’acceptation en gratitude.
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