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mars 2024

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Julia Holter est une artiste à part dans l’univers musical actuel. Chanteuse rêveuse aux compositions travaillées, structurées et denses, elle crée des mélodies hors cases. Son dernier né « Somehting in the room she moves » sortait le 22 mars 2014. Là encore, il fallait s’attendre à un album à ne pas mettre entre toutes les oreilles – l’incroyable « Sun Girl » et ses presque 6 minutes en introduction en est la preuve – mais surtout d’une grande poésie. Au programme un opus aquatique, centré sur le corps, écrit entre sa grossesse et le Covid, qui parle d’amour. Elle a accepté de répondre aux questions de Pop&Shot et de nous parler de musique mais surtout de maternité, du ressenti interne qu’est le fait de porter un enfant, de composition, de perte d’inspiration et des Beatles. A lire après avoir écouter ce monument de musique.

Julia Holter par Camille Blake
Julia Holter par Camille Blake
P&S : Comment décrirais-tu ton nouvel album à quelqu’un qui ne l’aurait pas encore écouté ?

Julia Holter : J’ai commencé à le décrire comme une sorte de voyage à travers toutes les facettes de l’amour. Une exploration à travers les côtés les plus sombres et les plus extatiques de l’amour. Dans mon album précédent j’avais le sentiment de le vivre comme en dehors de mon corps et celui-ci je l’ai vécu à l’intérieur de mon corps.  J’essaie de personnifier les émotions de manière viscérale et d’une façon sur laquelle je ne m’étais pas focalisée dans le passé.  L’amour romantique, l’amour médiévale, espérer l’amour, aimer dans le passé, se souvenir de l’amour. Cet album me fait me sentir dans le présent et il parle du travail qu’est l’amour, ce qu’il te prend et la manière dont il te change. L’amour le plus profond se vit au présent.

le corps est central dans mon album

P&S : Tu parles d’un album conçu à l’intérieur du corps. La musique y sonne d’ailleurs comme particulièrement aquatique. Le corps étant principalement composé d’eau. As-tu voulu parler du cœur face à la science ? Les sentiments vus de façon scientifiques ?

Julia Holter : J’ai pensé au corps comme étant quelque chose d’aquatique, de liquide. Il y a beaucoup d’eau et de sang et des choses dégoutantes (rires).  C’est parce qu’effectivement le corps est central dedans. J’y parle de l’humain et de ses sensations et j’essaie de les capturer.

Julia Holter par Camille Blake
Julia Holter par Camille Blake
P&S : Pourquoi as-tu voulu parler du corps au présent sur cet album ?

Julia Holter : J’ai eu un enfant dans les dernières années. C’est mon premier album depuis que je l’ai eu.  Tout ne parle pas de ça mais ça en fait partie. Il y a tellement de demandes constantes à vivre dans le présent quand on a un enfant. Ils sont toujours en demande et tu dois toujours faire attention à tout ce qui se passe. Un enfant interrompt souvent le cours de tes pensées.  C’est un retour constant au présent. C’était d’autant plus vrai quand elle venait de naître. Je devais me lever et prendre soin d’elle.  C’est ce qui m’a amenée à vivre dans le présent. Ma personnalité avant ça c’était d’être plus dans mes rêveries.  Et puis il n’y a pas eu que la grossesse. Le Covid aussi est passé par là puisque j’ai commencé à écrire en 2020. Et je pense qu’il y a eu beaucoup à dire sur le corps pendant la pandémie. Il ne fallait pas se toucher, les gens étaient isolés. C’est pour ça que je fais autant de connections sur cet opus entre les gens et leurs corps. Je cherchais les connexions avec les autres et je cherchais l’inspiration que j’avais perdu. La pandémie était si déprimante que je n’étais plus motivée. En plus le premier trimestre de ma grossesse a été très intense pour moi. C’était nouveau pour moi, les hormones étaient folles. Le fait d’être isolée a exacerbé ça.  Tout ça a rendu les choses encore plus étranges.  Je cherchais ma créativité.  Il y a une démo sur laquelle je baille parce que j’étais tout le temps si fatiguée, tout le temps. Je cherchais l’espace où je me rends d’habitude pour être créative. Là où les paroles me viennent naturellement et au lieu de ça, j’éprouvais le besoin de prendre soin de mon corps tout le temps. C’était tout ce qui m’intéressait. J’avais l’impression de m’être transformée en une autre personne. Je n’ai pas pu lire pendant un an. C’était une drôle d’expérience pour moi. J’étais coincée dans mon corps.

Je cherchais les connexions avec les autres et je cherchais l’inspiration que j’avais perdu.

P&S : Tu parles de communication. Dans une précédente interview tu disais que tu n’aimes pas tellement la communication mais que tu aimes la musique qui elle est un langage. Cet album a-t-il été un moyen pour toi de retrouver la communication ?

Julia Holter : Oui je pense. Il y a une sorte de communication qui passe aussi par le toucher, le fait de toucher les mains de quelqu’un. Il y a une chose dont je parle beaucoup sur l’album c’est de l’ocytocine, l’hormone de l’amour, qu’on a pour tout ce qu’on aime, même l’amitié, ou accoucher. J’en ai pris conscience en étant enceinte même si cette hormone a toujours été là. Je voulais capturer ce sentiment chaleureux, qui est une forme de connexion humaine.

P&S : C’est bien que tu parles d’amour dans un spectre large, l’amitié, la maternité, la famille. Souvent la musique parle d’amour romantique …

Julia Holter :  C’est vrai qu’il faut parler de toutes ces formes.

Il y a des éléments sombres dans l’amour.

P&S : Tu parles aussi de dualité. Comment l’amour peut être bon et mauvais. Ton précédent album « Aviary », parlait des douleurs de l’amour, cette fois-ci de son meilleur aspect. Pourquoi ce besoin d’évoquer ces différents spectres ?

Julia Holter : Il y a des éléments sombres dans l’amour. Quand on aime vraiment quelqu’un ça fait peur parce qu’on a tellement à perdre. Mais c’est aussi pour ça que les gens ont peur dans les relations amoureuses et ont des problèmes de pouvoir. C’est parce qu’on se protège. Quand on a un enfant par exemple, on ne peut pas contrôler ça. Il y a cette personne que tu aimes tellement et c’est terrifiant parce que tu sais que tu pourrais perdre quelque chose de tellement crucial. J’ai connu ça quand mon neveux est mort. J’ai eu ma fille et il mort un an ou deux plus tard. C’était le pire des cauchemars pour ma sœur. Ces deux évènements ont pu révéler l’intensité de l’amour. C’est tellement important et puissant et tu peux le perdre. C’est fou. Sur mon album je dis que l’amour peut être bouleversant. C’était ma manière de parler de tout ça. C’est la partie sombre de l’album, ce qui suit est extatique. C’est quelque chose de spirituel.

Julia Holter par Camille Blake
Julia Holter par Camille Blake
P&S : Le nom de l’album « Something in the room she moves » vient des Beatles. Qu’est ce que ce groupe représente pour toi ?

Julia Holter : C’est un peu difficile à expliquer parce que ce n’est pas une référence claire. L’album n’est pas à propos d’eux. C’est quelque chose qui m’est venu sur le moment et est resté avec moi. Je les aime depuis que je suis enfant. Et la plupart de leurs chansons faisaient partie de moi. Je connais toutes les paroles. Quand j’ai eu ma fille et qu’elle était bébé, je lui chantais beaucoup de leurs chansons. C’était les seules chansons dont je connaissais toutes les paroles. Je ne lui chantais pas mes chansons, parce qu’elles sont trop bizarres. Et c’était juste après que j’ai écrit le titre de l’album. En 2020, j’ai écrit des chansons sur un fichier et pour l’enregistrer je l’ai nommé « Something in the room she moves ».  Je ne pensais pas le garder comme titre mais ça m’est venu dans l’instant. J’ai eu envie de le garder, ça m’a amusée que ce soit le nom qui me vienne pour unir toutes les paroles. Je m’y suis attachée. Le fait de bercer ma fille avec ces morceaux a renforcé mon amour pour ce titre. Je suis aussi tombée amoureuse du documentaire « Get Back » au sujet des Beatles. Je ne sais pas si c’est une forme de nostalgie qui vient quand on a un enfant. Je pensais que la nostalgie était une idée ennuyeuse pour la créativité. Mais j’aime les Beatles comme j’aime Yoko Ono, le rôle qu’elle a joué dans ce documentaire. J’ai trouvé beaucoup de choses inspirante.

le fait d’avoir un enfant fait perdre de l’espace.

P&S : C’était également une façon de mettre la femme au cœur de l’action. Est-ce une façon de donner du pouvoir aux femmes ?

Julia Holter : Le fait que la femme fasse l’action ? Oui complètement. Mais ça m’est venu en une seconde. Je n’ai pas chercher pendant des heures à avoir une vision féministe. Ça m’est venu dans l’instant avec un certain humour. On m’a parlé aussi d’un livre de Virginia Wolf en interview et c’est assez pertinent puisque ça parle d’une femme mais, et comme toute personne, qui a besoin d’espace pour écrire. Je pense que ce soit pour mon partenaire ou moi, le fait d’avoir un enfant fait perdre de l’espace. Tu dois utiliser beaucoup de temps et d’espace pour que les choses fonctionnent. Je trouve ça normal et saint de vivre ça mais c’est aussi un challenge. Tu dois te redéfinir un espace pour toi. Quand j’enregistrais la voix, j’avais beaucoup de mal à me concentrer sur l’écriture des paroles. Et ça s’est débloqué à l’entrée en studio. Je suis tombée malade, j’ai perdu ma voix et j’allais enregistrer à la maison. Je n’enregistre jamais la voix en studio parce que je préfère le faire à la maison. Mais cette fois, en studio, avec une journée pour moi, les paroles me sont venues très vite.


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CocoRosie, un nom double comme des mots doux susurrés. Une lettre d’amour à deux sœurs, séparées puis inséparables. Bianca et Sierra Casady, prêtresses de la douceur aux sonorités hybrides fêtaient en 2024 les 20 ans de  leur incroyable premier album : « La Maison de Mon Rêve ». Un chef d’œuvre, adulé par la critique qui a donné naissance à 6 petits frères, tous aussi beaux et délicats que le premier né. Ces 20 ans sont l’occasion de faire un tour dans leur parcours hors normes et d’en parler. Mais aussi de revenir sur un Alhambra à Paris plein à craquer, théâtre d’une prouesse musicale inoubliable.

CocoRosie : qui êtes vous ?

Rosie crédit Ginger Dunnill
CocoRosie crédit Ginger Dunnill

CocoRosie, c’est donc le duo formé par les deux américaines Bianca  tendrement surnommé Coco par ses parent et Sierra, Rosie donc. Sierra née dans l’Iowa, Bianca à Hawaï. Alors qu’elles sont âgées de 5 et 3 ans, leur parents se séparent forçant les filles à vivre elles aussi séparément. L’une comme l’autre ne finira pas l’école. Leurs parents préfèrent en effet les confronter au monde réel pour leur permettre d’en apprendre plus sur l’art. Il faut dire que leur mère, Christina Chalmers est elle-même artiste et chanteuse. Avec ses origines  native américaine et  syrienne, elle emmène sa fille Sierra avec elle dans ses nombreux déménagements : Californie, Nouveau-Mexique,  Arizona … les paysages défilent. De son côté Bianca vit avec son père, un fermier de l’Iowa. Il lui fait visiter des réserves amérindiennes et l’entraîne à prendre part à des quêtes de visions.

Quand Sierra a 18 ans, elle déménage à New-York. De quoi se plonger pleinement dans son art. Et puis, elle vient à Paris et emménage dans le quartier le plus artistique de la capitale et sans aucun doute son plus magique : Montmartre. Elle souhaite alors faire carrière en tant que chanteuse d’opéra et étudie au Conservatoire Supérieur de musique de Paris. Mais c’est aussi dans ce quartier que naîtra la légende et le premier album des deux sœurs. Le quartier qui aura vu naître la magie.

La raison de nos rêves

cocorosie alhambra paris 2024
©Kevin Gombert

C’est donc en 2004 que les sœurs qui se sont fraîchement retrouvées composent l’inclassable perle « La Maison de nos rêves ». Toujours prêtes à défier tous les codes, elles y créent un univers oniriques où les voix hors normes s’harmonisent avec subtilité et beauté. La ténor Sierra et la talentueuse Bianca semblent y marcher sur la pointe des pieds et convoquent l’âme de l’enfance. Pour créer ce monde imagé où la musique transcende les notes elles ajoutent des instruments improbables à leurs compositions : des bruits d’eau, de casseroles, de jouets pour enfants viennent compléter la flûte, la harpe, les percussions et le beatbox auxquel excelle Bianca. L’album a également la particularité d’être enregistré dans la salle de bain de la chambre de bonne de Sierra, sur la butte Montmartre. « Good Friday » est l’un des titres les plus marquants de cette pépite. Avec son incroyable délicatesse et son étrange beauté, il a de quoi faire rougir une autre grande de la musique : Bjork. Pas étonnant donc de le retrouvé synchronisé sur une publicité du géant de la mode : Kenzo.

Rangé dans la catégorie folk psychédélique, l’album séduit la critique et se fait un petit public. Néanmoins les cases des genres ne peuvent que limiter le rêve de CocoRosie. La suite leur permet d’ailleurs d’ouvrir leur univers magique au Hip Hop  en ajoutant à leur line-up le beatmaker Tez dès l’album « The Adventure of Ghosthorse & Stillborn ».  Cette alliance avec le registre vivra d’ailleurs son apogée sur l’immense album qu’est « Put the Shine On », trésor inclassable sorti en 2020. Un improbable mélange qui porte divinement son nom tant il met  de la lumière dans la beauté de compositions obscures, toujours optimistes mais ombragées. Il faut dire que cet opus, composé à Hawaï a été enregistré alors que la mère des musiciennes, malade,  était en train d’éteindre à petit feu. Les sœurs savaient qu’il lui restait 6 mois à vivre et ont choisi de mettre de la lumière dans toute la douleur qu’elles traversaient. Une prouesse technique dont les sentiments et leur rare intensité transpercent les cœurs .  Il incarne à lui seul la compréhension totale de courants qui ne se rencontrent que trop rarement. En toutes ces années les Casady n’ont pas perdu une miette de talent et n’ont jamais eu l’outrecuidance de se répéter.

« Reines »bow warriors

Très créatives, Bianca et Sierra enchaînent les sorties dont l’immense maxi « Rainbowarriors » sorti en 2007. Il faut dire que les musiciennes transportent leur univers bien au-delà de la musique. Connues pour toujours arborer une moustache dessinée sur le visage, elle portent également des immenses robes qui accentuent leur côté bohèmes. Bianca par ailleurs se produit régulièrement en tenue de drag. Ouvertement queer, elle confiait au média AfterElle ne pas comprendre la surprise des médias lorsqu’ils apprennent qu’elle est gay.  D’ailleurs concernant la moustache, Bianca développe en expliquant qu’elle n’est pas l’exploration d’un genre. Il s’agit pour elle d’une évidence : celle de se tourner vers la nature pour mieux s’intégrer dans un paysage. Leur style dès leurs débuts allait d’ailleurs en ce sens, convoquant nature et fantaisie pour mieux s’inspirer des fées et des gnomes.

20 ans, à l’Alhambra !

cocorosie alhambra paris 2024
©Kevin Gombert

C’es le 8 mars qu’ont choisi nos fées pour célébrer dans la ville qui l’a vu naître les 20 ans de leur premier album. Il fallait arriver tôt. Pas de première partie, CocoRosie se présentait sur scène dès 20 heures en compagnie du pianiste Gael Rakotonndrabe que l’on retrouve également sur leur dernier EP : « Elevator Angels ». Pendant une heure et demie, les magiciennes ont choisi d’interpréter en toute sobriété les titres issus de « La Maison de Mon Rêve » mais aussi quelques pépites sélectionnés dans leur discographie. Le public assis, a été invité à vivre le cœur au bout des lèvres et les yeux emplis de larmes, un moment qui touchait à l’extase religieuse. Les quêtes de visions auxquelles était conviée Bianca dans son enfance ont-elles eu raison d’elle ?  Toujours est-il que Sierra, aux commandes laissait transparaitre son passé à l’Opéra avec aisance, rendant chaque titre toujours et encore plus lyrique. La voix de sa soeur, en parfait écho venait sublimer une performance à couper le souffle. Aucun artifice n’était d’ailleurs de la partie. Pas de décors, d’auto-tune, d’arrangements,  les voix des deux soeurs, aussi hallucinantes soient-elles profitent de leur beauté naturelle. Au piano, un musicien de génie, en costume blanc venait sobrement habiller une prestation digne des plus grandes performances. Opéra-pop accessible, pourtant réservé à un écrin silencieux,  captivé, l’instant était à la hauteur des années de magie que les tendre Coco et Rosie ont su offrir. Quelques mouvements du bout des doigts servaient de mise en scène alors que derrière leurs immenses robes rouge et blanches, les inséparables offrait des sonorités plus légères que le chant des moineaux. Seul bémol à un moment qui transcendait l’espace temps pour faire dévoiler un conte de fées éveillé : la salle trop pleine dans laquelle il était difficile pour celles et ceux arrivés tardivement de trouver leur place. Rien qui n’effacera la beauté de la seule chose qui a pu compter : la musique, celle qui invite toutes les époques, du classique au hip hop à se rencontrer en un seul lieu et un seul temps comme le veut la tradition des pièces de théâtre classiques.


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