Du 4 au 9 décembre 2018, la huitième édition du PIFFF ( Paris International Fantastic Film Festival) s’est déroulée au Max Linder Panorama. Alors que le tumulte des Gilets Jaunes gagnait les Grands Boulevards, les spectateurs n’ont pas manqué l’occasion de pouvoir profiter d’une bonne fournée de films de genre(s).
Paris avait de nouveau droit à son festival de film fantastique pour la huitième année consécutive du PIFFF . Au programme, une compétition de huit films ( Piercing, Tous les dieux du ciel, Await further instructions, Terrified, The unthinkable, Girls with balls, Freaks et Achoura), la plupart étant des premiers ou seconds courts métrages de cinéastes venus des quatre coins du monde. Des vieux classiques à découvrir ou redécouvrir sur grand écran ( L’Homme qui rétrécit, Vorace, Halloween III, Next of kin et Maniac) et de nombreux films hors compétition ( Assassination Nation, Ne coupez pas!, The blood of wolves, In fabric, Punk Samourai Slash Down, Lords of chaos, Puppet Master : The Littlest Reich, The man who feels no pain, What keeps you alive, We et enfin Sorry to bother you).
PIFFF 2018 : Une ouverture de festival en deux temps
Comme le dira un peu plus tard au cours du festival Cyril Despontin, délégué-coordinateur général du PIFFF : » Paris brûle mais on s’en fout, on regarde des films d’horreur!« . Une belle note d’intention. Pour la soirée d’ouverture était prévue deux films « Assassination Nation« , brûlot présenté comme anti Trump et » Ne coupez pas!« , auréolé d’une réputation flatteuse suite à un succès surprise au Japon, grâce uniquement à un bouche à oreille réussi.
« Assassination Nation« , second film de Sam Levinson ( fils de Barry ), bénéficiait d’une certaine « hype » pour son avant première avant sa sortie le lendemain dans les salles françaises. Une hystérie collective à Salem en 2018 suite à une histoire de fuite de données et un groupe de jeunes filles vues par la population comme des sorcières 2.0. De quoi parler réseaux sociaux et vernis social d’une Amérique trumpienne prêt à craquer, à l’instar d’un sympathique « Tragedy Girls« , projeté l’an dernier. Malheureusement, de bonnes intentions ne font pas tout… Surstylisée à l’excès, Assassination Nation se perd un peu en chemin dans sa narration. Le plus grand défaut du film étant son ellipse de ce qui aurait été le plus intéressant à montrer ( la paranoïa et le chaos grandissant dans Salem suite aux révélations faites par la fuite des données).
Doté d’une critique un peu vieillotte d’Internet digne d’un épisode des Experts : Cyber et énonçant ses influences de façon trop éloquentes, au sens propre comme au sens figuré, Assassination Nation déçoit quelque peu. Ce qui est d’autant plus dommage, qu’il comporte des fulgurances comme une scène d’intrusion dans la maison d’une des héroïnes, une scène d’ébat pleine de maladresses entre deux ados ou bien encore un monologue sur la sexualisation supposée et excessive des images. Une petite frustration donc pour commencer le festival qui va être très rapidement effacé par la projection de « Ne coupez pas!« …
Le fameux « Ne coupez pas!« , comme a pu le présenter Fausto Fasulo, coordinateur artistique du festival, ne présentait pourtant pas les atours les plus attrayants : found footage (encore?!), film de zombies (re-encore?!)… Mais passé l’effroi des premières minutes ( « mais qu’est ce que c’est que ça? » pouvait-on entendre chuchoter parmi les spectateurs), le film de Shinichiro Ueda s’avère être une oeuvre généreuse, véritablement hilarante et une véritable déclaration d’amour aux artisans du cinéma. Le film devant être a priori disponible en France au printemps 2019 et sa réussite tenant dans la surprise, rien ne sera dit de plus pour ne pas gâcher le plaisir des futurs spectateurs.
PIFFF 2018 : Une compétition hétérogène avec un vainqueur incontestable !
La compétition a commencé avec la diffusion de l’attendu Piercing, adaptation du roman de Ryu Murakami, auteur d’Audition dont l’adaptation par Takashi Miike il y a une petite vingtaine d’années avait marqué les esprits. La mise en scène est assurée par Nicolas Pesce, le réalisateur du remarqué The Eyes of My Mother, dans une esthétique lorgnant (trop?) sur les 70’s. Cette histoire d’un homme, bien sous tout rapports mais perdant peu à peu pied, la faute à des pulsions meurtrières qu’il ne contrôle presque plus et qui aimerait les défouler sur une call girl a tout d’une histoire que l’on espère délicieusement vicieuse. Extrêmement pertinent dans son exposition et dans la façon dont la mécanique mise en place par Reed ( joué Christopher Abbott) s’enraye progressivement, le film finit par pêcher par quelques longueurs (un comble pour un film de 82 minutes!) quand les rôles commencent à s’inverser et que le personnage de Mia Wasikowska ( très belle performance de cette dernière au demeurant) prend toute son envergure. Las, le film s’arrête même là ou son dernier acte aurait du commencer. Une fin pour prendre le spectateur à contre-pied? Peut être, mais d’une façon laissant drôlement sur sa fin.
Un sentiment bien loin de l’impression laissé par Tous les dieux du ciel, le long métrage de Quarxx, version longue de son court primé dans de nombreux festivals. Bénéficiant d’une ambiance comme on en voit rarement, le film a le mérite d’être original et d’aller au bout de l’histoire qu’il veut raconter, donnant une belle note finale à ce qui reste l’histoire d’un frère et d’une sœur plongée dans une ambiance de fin du monde prenante. Un film qui marque et qui reste assurément en mémoire.
De famille, il est aussi question dans Await further instructions, deuxième long métrage du britannique Johnny Kevorkian. Ou plutôt de famille dysfonctionnelle. On ne peut rater l’occasion de citer Fausto Fasulo qui en présentant le film a dit de lui » qu’il parlait de la pire chose qui soit dans la vie : la famille! ». Chacun pourra méditer là dessus quand il sera coincé sur sa chaise entre les différents plats au réveillon de Noel… Racontant l’histoire d’une famille bloqué sans raison dans son pavillon à l’occasion du réveillon, Await Further Instructions est doté d’une bonne montée en tension en ménageant habilement son suspense, on ne sait véritablement pas ce qui se passe et vers quoi le film veut nous emmener pendant une très grande partie du métrage. Malheureusement, des relations entre membres de la famille animées de ficelles un peu grosses et une certaine confusion vers la fin du film amoindrissent l’impact d’Await Further Instructions. Mais pas de quoi rejeter ce bon effet de style, sorte d’épisode de « Black Mirror » qui aurait été réalisé par Cronenberg. A voir dès qu’il sera disponible.
En contradiction totale avec le titre de cette partie, place maintenant à « Terrified« , clairement le long métrage le plus faible de la compétition, et du PIFFF 2018 par la même occasion. Ce « wannabe Blumhouse Productions » avec son horreur circonscrite dans un bout de pavillon de banlieue de Buenos Aires, des jump scares prévisibles et une interprétation hasardeuse de la part de son casting ne marquera pas franchement les esprits. A voir ce que donnera le remake U.S d’ores et déjà annoncé ! Il est vrai que l’horreur « à la Blumhouse » marche bien, commercialement parlant…
The Unthinkable, premier long métrage du collectif Crazy Pictures, est impressionnant quand on pense que son budget est à peine de 2 millions d’euros. Maîtrisé de bout en bout, notamment visuellement, le film pêche par un personnage principal particulièrement impulsif et égoïste ( sans dépasser celui de John Cusack dans 2012 sur ce point mais presque) auquel on peine clairement à s’attacher et à une menace qui aurait gagné à rester dans le non dit, à l’instar d’un Tomorrow when the war began, sorti il y a quelques années, plutôt que de verser dans une Aube Rouge à la suédoise. Au vu des nombreuses qualités de ce coup d’essai, ce collectif est assurément à suivre pour les prochaines années.
Fun, hystérique et outrancier. Voilà trois adjectifs, voire qualités qu’il est très facile d’apposer au premier long métrage d’Olivier Afonso : Girls with balls , l‘histoire d’une équipe de volleyeuses perdue dans les bois et traquer par des rednecks consanguins. Avec une énergie folle, sans temps mort, ne se prenant jamais, mais alors jamais une seconde au sérieux, agrémenté de caméos savoureux, le film d’Afonso vient percuter le genre à la française en brouillant les pistes entre gore et comédie. Inégal mais rafraîchissant, c’est le moins qu’on puisse dire. Et clairement la palme de la meilleure ambiance dans la salle lors de la projection cette année tout au long du PIFFF.
La grande réussite incontestable de la compétition vient de Freaks du duo de réalisateurs Lipovsky et Stein, à l’origine du reboot de Leprechaun ou bien encore de l’adaptation du jeu vidéo Dead Rising. Ce film tenant, lui aussi, à la révélation de ce qu’est vraiment la petite Chloé ( Lexy Kolker) protégé plus que de raison par son père ( Emile Hirsch) en étant confiné dans une maison décrépie, pas trop de détails ne sera donné sur ce film. La réalisation du duo Lipovsky-Stein couplé à un script malin et enfin interprété solidement par son casting ( Bruce Dern fait aussi partie de la distribution) met particulièrement bien en valeur son histoire et joue avec des codes déjà vus ailleurs à une toute autre échelle mais apporte une simplicité rafraîchissante à l’ensemble avec des enjeux à hauteur de ses personnages.
Une bien belle réussite enthousiasmante que ne viendra pas contester le dernier film de la compétition Achoura, deuxième film de Talal Selhami pourtant généreux tant dans sa forme que dans son fond. Mais un « development hell » malheureusement parfois visible à l’écran, une interprétation inégale et des influences pas toujours bien digérées ( Stephen King) contrebalancent trop une esthétique toujours impeccable et une créature absolument superbe. De bien belles qualités néanmoins pour ce conte horrifique franco-marocain.
PIFFF 2018 : Le ciné de genre tricolore en a sous la semelle !
Petit focus sur la production tricolore. S’il est bon ton de dire que le cinéma de genre à la française a de grosses difficultés et que les différentes déclarations, de part et d’autre, tout au long du festival viennent confirmer cela, force est de constater que la qualité, elle était au rendez vous! Tout d’abord, dans la compétition internationale avec Tous les dieux du ciel et Girls with balls, mentionnés précédemment et qui ont le mérite d’aller jusqu’au bout de leurs idées et d’assumer leurs partis pris, radicalement opposés les concernant d’ailleurs. Achoura, avec une grande partie de l’équipe française peut facilement être inclu dans cette digression.
La compétition de court métrage français cette année était particulièrement relevé. Le coup de cœur de la rédaction aura été pour « Les Appelés » de Mathias Couquet, qui en une petite demi heure parvient parfaitement une ambiance anxiogène, faite de mystères insondables et de reveries dangereuses, lovecraftienne en diable. Clairement, le genre de projet que l’on souhaiterait voir adapté en long métrage ou en mini série, tellement cette histoire a du potentiel. Du potentiel, Thymésis en a avec son histoire de deuil et de voyage mémorielle, doté d’une belle esthétique et d’effets simples mais efficaces. Clairement, il y a là aussi le potentiel pour un développement plus long.
Ce potentiel, dans le fond, on ne le trouve pas forcément dans « Belles à croquer » d’Axel Courtière mais il l’est assurément dans la forme avec son esthétique délicieusement rétro kitsch et son sens de l’absurde particulièrement bien dosé. Par leurs esthétiques soignées, Déguste et Graines appellent à réfléchir, de deux façons différentes, sur notre rapport à la nourriture de façon assez surprenante. Enfin mention spéciale aux » Neuf milliards de noms de dieux« , adaptation de la nouvelle d’Arthur C. Clarke qui aura fait fantasmer toute une génération d’adeptes de science fiction avec son ésotérisme particulièrement bien dosé et son final marquant au possible. Un grand bravo à Dominique Filhol pour avoir très bien réussi à mettre en images ce court classique. Le signe d’une délégation tricolore cette année au PIFFF qui a su montrer que malgré les difficultés du système français, notre pays avait clairement les moyens de ses ambitions!
PIFFF 2018 : Plaisirs variés pour le reste du festival
Parmi les nombreux autres films projetés au cours de cette huitième édition du PIFFF se trouvait aussi de belles séances cultes avec la projection de Vorace ou bien encore L’Homme qui rétrécit par exemple. Mais aussi d’Halloween III avec son slogan entêtant et son personnage principal de médecin porté sur la gnôle tapant sur les fesses des infirmières qu’on est pas près de revoir dans notre époque post-#meetoo. Bien qu’ayant quelque peu vieilli, le final est vraiment sympa et aura de quoi marquer les esprits. Quel dommage que cette tentative de faire d’Halloween une anthologie de l’horreur chaque année sur un thème différent, près d’un quart de siècle avant American Horror Story n’ait pas marché en soi, et que la franchise ait du se contenter d’épuiser l’aura de Michael Myers à coup de séquelles ne se prenant pas en compte les uns les autres et de reboots multiples. A noter aussi la projection de Next of kin, un bon petit film d’exploitation australien esthétisant et jouant principalement sur son ambiance avec un final plus qu’explosif. Enfin, quel plaisir de pouvoir découvrir Maniac, le classique de William Lustig sur grand écran! L’ambiance poisseuse du New York de la fin des années 70 y est particulièrement bien retranscrite au diapason avec le mental déséquilibré de Frank Zito brillamment incarné dans toute sa complexité par Joe Spinell ( inoubliable Tony Gazzo dans Rocky, entre autre).
La compétition de courts métrages internationaux aura, elle aussi été d’excellente facture. A noter un angoissant The Blue Door, un Laboratory Conditions qui a tout les atours d’un potentiel futur long métrage (mais tout n’a t-il pas été dit dans ce court?) ou bien encore un techniquement très réussi La Noria. Mais la palme est allée à Baghead, dont le changement de ton, excellemment maîtrisé fait du court métrage d’Alberto Corredor un excellent moment de festival en jouant habilement avec les codes du genre. La séance de minuit détonnait avec un Puppet Master : The Littlest Reich à la générosité gore indéniable mais à la direction d’acteurs déclamant avec un sérieux monacal des dialogues auxquels ils ne semblent pas croire baigné dans une très belle musique de Fabio Frizzi donnant à l’ensemble du film un aspect plus qu’étrange baigné dans une sorte de faux rythme.
In Fabric, le troisième film du réalisateur en vogue Peter Strickland est peut être la plus accessible de ses œuvres après Berberian Studio et The Duke of Burgundy. Malgré son univers bien à lui, toujours ancré dans les années 70 de ses illustres prédécesseurs, Strickland a réussi à mêler à sa thématique favorite du fétichisme un humour bienvenu et pour le coup, particulièrement réussi, à travers un duo de personnages secondaires amenant une légèreté bienvenue parvenant même à apaiser les éventuelles longueurs d’un deuxième acte répétitif. Punk Samurai Slash Down de Gakuryu Ishii est un dingue. Vraiment fun et vraiment drôle de par ses situations non sensiques et la jubilation qu’il a de briser les codes, notamment, du film de sabre. Trainant un peu en longueur dans son dernier tiers, le film aurait gagné à être un poil plus court pour garder le même punch qu’il avait dans sa première partie.
Lords of Chaos de Jonas Akerlund est un bon petit film décrivant le fait divers qui a conduit au meurtre du leader du groupe Mayhem dans la paisible Norvège des années 90. Un engrenage malsain et violent entre deux forts caractères très bien interprétés ou admiration et haine vont se mêler pour le pire. La projection de What keeps you alive de Colin Minhian a été l’occasion de voir un bon petit survival bien équilibré et réussissant à tenir en haleine le spectateur malgré quelques décisions de l’héroïne parfois plus que surprenantes… Avec la publicité d’Halloween III, la chanson – prémonitoire- « Roll Demon Roll » interprétée à la guitare par le personnage d’Hannah Emily Anderson aura aussi eu le don de bien rester en tète tout au long du visionnage de cette lune de miel qui tourne au massacre.
« We » est un petit bijou de construction dans sa mise en scène. S’il sera remarqué par ce qu’il montre peut être trop, entre full frontal et prostitution à peine pubère, il marque véritablement par ses non dits et ses zones d’ombre sans réponses dont le mystère viendra hanter le spectateur d’une chronique adolescente comme on en voit peu… Sorry to bother you, avec son monde subtilement décalé mais avec une cohérence interne forte avait tout ce qu’il fallait pour accompagner le public vers la fin du festival qui n’aura été que peu impacté par les événements des Grands Boulevards survenus durant la journée de samedi. Forçant parfois un peu trop le trait pour exposer l’aliénation de notre société actuelle, Sorry to bother you a pour lui d’être particulièrement drôle. Une très belle façon de conclure cette huitième édition du PIFFF!
PIFFF 2018 : Le palmarès complet
Oeil d’or 2018 Long-métrage international : Freaks
Oeil d’or 2018 Court-métrage international : Baghead
Oeil d’or 2018 Court-métrage Français : Belle à croquer
Prix du jury 2018 Court-métrage Français : Déguste
Prix des lecteurs de Mad Movies 2018 : Freaks , mention pour Tous les Dieux du Ciel
Prix Ciné+ du courts métrages internationaux : Belle à croquer
Prix Ciné+ du long-métrage international : Freaks