Depuis sa sortie le 14 mars 2018, « Ghostland » a fait couler beaucoup d’encre. Mettant qui plus est en lumière son brillant réalisateur: Pascal Laugier. Un grand prix au festival du film fantastique de Gerardmer en poche, la présence de Mylène Farmer à son casting et hop le tour était joué.
Avant première le 12 mars au Grand Rex, couverture médiatique, tout était réuni pour faire de l’OVNI cinématographique de Pascal Laugier un succès. A ce point? Oui et non puisque dans le cinéma de genre, on reste quand même limité en terme de salles. D’ailleurs si vous ne me croyez pas, tapez « Ghostland » dans votre moteur de recherche et voyez le nombre de cinémas qui l’ont joué. Pas si peu, mais pas tant que ça non plus. Passons.
Toujours est-il qu’avant « Ghostland », Laugier était déjà, l’un des meilleures réalisateurs de cinéma d’épouvante (mais pas que) de France (et même du Monde). Passé deux courts-métrages « Tête de citrouille » ( en 1993) et « 4ème sous-sol » (en 2001), notre petit génie se fait repérer par Christophe Gans pour réaliser le making-off du « Pacte des loups ». S’en suit un premier long-métrage bien à lui « Saint-Ange » avec Virginie Ledoyen – s’il vous plait quand même- avant le début des choses très sérieuses. Cet article hautement subjectif, bien loin d’être une biographie détaillée a pour but de parler des œuvres phares d’un artiste à part. Des claques cinématographiques à ne pas laisser dans toutes les mains. Allons y franchement!
Laugier te martyrise et tu kiffes quand même
En 2008, quand « Martyrs » est sorti je me souviens avoir entendu un présentateur radio en parler sur RTL. Il décrivait les premières scènes, la dureté du propos, il paraissait emballé et complètement choqué. Choqué oui, et c’est parce que de bouche à oreille tout le monde m’avait dit que Martyrs était quasi insoutenable qu’il m’a fallu quelques années pour me lancer dans ce qui fut –spoiler alert– le plus grand choc cinématographique de toute ma vie. Dire que j’ai fini en PLS, moi qui aime le cinéma d’épouvante depuis, heu toujours, serait un gentil euphémisme. Et pourtant… impossible de ne pas en parler tous les jours qui ont suivi le visionnage de ce bijou. Puisque c’est bien ce que fait cette pépite fine hautement maîtrisée. Il t’obsède, il te donne envie de tout lâcher, de tout balancer, de tout extérioriser. D’ailleurs pour la petite anecdote (ho oui, une histoire!), le film devait sortir en salle avec une interdiction aux moins de 18 ans. C’est très rare pour un film qui n’est pas un film (de boules) pornographique. Le réalisateur a dû faire des pieds et des mains pour garder son interdit aux moins de 16 ans lui permettant au moins de s’offrir une virée dans les salles obscures.
Mais déjà ça parle de quoi ton truc qui choque là tu te dis?
Un petit résumé et puis s’en vont:
L’histoire se déroule en France, au début des années 1970. Enlevée quelques mois plus tôt, séquestrée et torturée dans un endroit mystérieux, la jeune Lucie est retrouvée errante sur une route de campagne, incapable de raconter ce qu’elle a enduré. Quinze années passent avant que la fillette, devenue femme, retrouve l’un de ses bourreaux, qu’elle exécute froidement au fusil de chasse, ainsi que toute sa famille. Rejointe rapidement sur les lieux du drame par sa seule amie Anna, Lucie tente d’échapper à des hallucinations qui prennent la forme d’une créature cauchemardesque la traquant sans cesse depuis son évasion…
Maintenant que le décor est placé, passons à la suite. Cette certitude simple, le cinéma de Laugier est toujours construit en plusieurs couches. Il y a ce qu’on te donne à manger de prime à bord: la vendetta d’une héroïne, sa folie. Est-elle le bourreau d’une famille aimante? Pourquoi? Avait-elle tord? Et puis, il y a la suite. Ce schéma narratif utilisé par notre petit génie permet de te donner ensuite seulement quand tu n’y es plus préparée la véritable intention de son œuvre. Sans trop spoiler cette partie, ce serait bien dommage, on peut néanmoins aborder une question primordiale face à cette œuvre…
La violence, la grosse violence, celle qui te fait mal quand tu regarde:
Nombreux sont les cinéastes qui tentent avec un film d’épouvante de choquer leurs spectateurs par une violence visuelle forte. « Martyrs » joue sur deux tableaux, la violence physique et celle psychologique. Est-ce qu’elle va loin? Très, tellement. Trop? Non puisque finalement son propos y gagne en valeur. La quête de la connaissance ultime, ce qui se trouve après la mort, la curiosité de l’homme, ses capacités à aller toujours plus loin dans la violence pour avoir la réponse à ses peurs, tout cela prend sens à travers les images que le réalisateur nous présente. Le martyr prend alors tout son sens. Impossible d’éprouver de la demie-mesure face à cette œuvre jusqu’au boutiste qu’on adorera ou qu’on détestera. Ce qui est déjà un point énorme. Habitués à la tiédeur du cinéma, à aimer « bien » une œuvre voilà qui vous changera. Marqués, horrifiés, vous ressortirez de votre séance l’estomac retourné et avec une grosse envie de débattre le mal passé. Et c’est finalement la preuve première du talent de notre réalisateur chouchou: créer une émotion entière dans une œuvre horrifique pensée et réfléchie. Vraiment c’est déjà énorme.
A cela s’ajoute sa phrase finale, celle qui vous fera passer des nuits blanches, celle qu’on cite encore des années plus tard avec ce léger frisson… »doutez… »
« The Secret »: partir d’une œuvre parfaite, faire encore plus fort:
En 2012, après avoir traumatisé tous ces spectateurs, voilà notre réalisateur qui revient avec un nouveau film du genre mettant à son affiche Jessica Biel. Celle qui a tout fait pour se détacher de son rôle de Mary Camden dans « 7 à la maison » opte donc, une fois de plus pour un film d’horreur, histoire de prouver qu’elle est loin d’être la petite fille sage de la famille parfaite dont tout le monde se souvient. D’aucun lui dirait que c’était pas la peine de se donner tout ce mal, le père de famille, Stephen Collins a à lui seul détruit toute trace de bienveillance de ce show mielleux (il a en effet été accusé de pédophilie). Mais ceci est une autre histoire.
Toujours est-il que notre conteur promet cette fois une histoire de boogeyman sombre aux éléments classiques. En voici d’ailleurs le résumé non spoilant: À Cold Rock, petite ville minière isolée des Etats-Unis, de nombreux enfants ont disparu sans laisser de traces au fil des années, et n’ont jamais été retrouvés. Chaque habitant semble avoir sa théorie sur le sujet mais pour Julia, le médecin dans cette ville sinistrée, ce ne sont que des légendes urbaines. Une nuit, son fils de 6 ans est enlevé sous ses yeux par un individu mystérieux. Elle se lance à sa poursuite sachant que si elle le perd de vue, elle ne reverra jamais son enfant.
Des kidnappings d’enfants? Une petite ville? En voilà des éléments qu’on connaît! Et bien non, Pascal Laugier est un grand artiste et nous dit ceci:
Un film peut en cacher un autre
Un film de Laugier c’est comme un bonbon, il y a une deuxième couche cachée et contrairement à ce qui est évoqué dans « Le Père Noël est une ordure » c’est ça qui est bon. Comme à son habitude, en nous attirant avec un film de genre, le voilà qui nous transporte doucement vers un drame sombre qui permet de cogiter. Alors qu’il propose le meilleur retournement de situation de l’histoire du cinéma ( si si, l’objectivité c’est pas pour cet article), notre frenchie crée une œuvre entière atypique qui nécessite un second visionnage ne serait-ce que pour le re-découvrir sous un jour nouveau. Un peu comme quand tu te rends compte que Tyler Durden de « Fight Club » n’existe pas. Si en 2018 je t’ai spoilé ça, tu peux avoir la honte voilà, je ne m’excuserai même pas. En revanche je te laisse te délecter de ce « Tall Man », sa maîtrise incroyable, ses jeux d’acteurs puissants, ses tournures scénaristiques digne des montagnes russes sans en dire plus.
Retour en force et succès avec « Ghostland »
2018, année de la consécration? Toujours est-il que notre Pascal international revient avec un nouveau film jusqu’au-boutiste qui fait immédiatement parlé de lui. Et pour cause, Mylène Farmer y tient l’un des rôles titres. C’est cette dernière et un grand prix au (cœur cœur love) festival du film fantastique de Gérardmer qui pousse un public parfois peu expert à se jeter dans les salles obscures pour découvrir cette nouvelle pépite.
Une chose à la fois, déjà le résumé ( jingle):
Suite au décès de sa tante, Pauline et ses deux filles héritent d’une maison. Mais dès la première nuit, des meurtriers pénètrent dans la demeure et Pauline doit se battre pour sauver ses filles. Un drame qui va traumatiser toute la famille mais surtout affecter différemment chacune des jeunes filles dont les personnalités vont diverger davantage à la suite de cette nuit cauchemardesque. Tandis que Beth devient une autrice renommée spécialisée dans la littérature horrifique, Vera s’enlise dans une paranoïa destructrice. Seize ans plus tard, la famille est à nouveau réunie dans la maison que Vera et Pauline n’ont jamais quittée. Des événements étranges vont alors commencer à se produire.
Verdict?
La critique est unanime et pourtant il manque un petit quelque chose à ce Laugier. Bien que violent physiquement comme psychologiquement, bien que travaillé, « Ghostland » promettait bien plus. Son retournement de situation n’a pas la puissance de celui de son grand frère, tout comme sa violence qui est bien plus légère que celle de Martyrs. Quelques incohérences scénaristiques se greffent ça et là et l’on regrettera que la sorcière et l’ogre ne soient point plus exploités. Pas besoin de toujours en revenir aux origines des origines, merci bien, pourtant un semblant d’explications en plus auraient pu être bon. Tout comme un Lovely Bones qui souhaitait parler de la candeur d’une jeune fille, Laugier nous dépeint une fan girl pleine de rêveries et de projets en la personne de son héroïne, Beth. Dommage pourtant d’oublier de prendre en compte le détail de la psyché d’une jeune fille idéaliste de 14 ans, dans son imaginaire, ses complexités et ses évidences. Ce « Ghostland » n’est pas exempt de défauts et pourtant… n’est ce pas de la faute de notre très talentueux réalisateur qui a trop bien habitué son public. Puisqu’en dehors de ces faiblesses, ce nouveau métrage ne manque pas d’être jusqu’au boutiste, de reconnaître ses aînés (coucou Rob Zombie, coucou Lovecraft), de créer ses boogey men et de se détacher largement d’un cinéma de genre qui ne produit pas toujours les meilleurs des œuvres. Notamment en France où il est tout particulièrement dénigré. Cette nouvelle œuvre est un bel essai qui veut dire beaucoup de choses. Simplement voilà, Laugier touche du bout du doigts des notions qu’il connaît pourtant bien: celle du rêve et de la créativité confrontés à l’horreur du monde réel. Reste à lui accorder que la seconde notion du film, la sororité, elle est parfaitement maîtrisée.
Et surtout à vous dire, qu’un film imparfait de Laugier reste un excellent film qu’il faut quand même aller voir.
Pascal Laugier, si par hasard tu nous lisais, sait-on jamais (j’te kiffe bébé): bravo pour ces nuits d’insomnies, pour cette finesse que l’on ne retrouve chez aucun auteur de genre, pour cette amour pour l’horreur sans jamais la prendre de haut, pour ton originalité, ta créativité, tes histoires, leurs réflexions. Les regarder ne m’a jamais laissé indifférente et j’attends les prochaines avec une impatience démesurée. Où l’occasion de t’en parler. Qui sait?
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