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Tandis que « Dogrel », premier projet très réussi des talentueux Fontaines D.C., tourne encore régulièrement sur nos platines depuis sa sortie en 2019, le groupe de rock irlandais n’a visiblement pas fini de nous gâter puisqu’il revient aujourd’hui avec « A Hero’s Death », un deuxième album, disons-le d’entrée de jeu, grandiose. Dans une ère où les projets musicaux s’éternisent de plus en plus (deux ans minimum entre chaque album, et encore…), Fontaines D.C. a opté pour la rapidité. Quinze mois seulement séparent « Dogrel » de « A Hero’s Death ». Le groupe a-t-il pour autant négligé la qualité au profit de l’efficacité ? C’est tout l’inverse. Laissez-nous vous dire pourquoi ce nouveau projet des plus aboutis est, parmi tous les scénarios envisageables concernant la suite de « Dogrel », le meilleur.

 

Un avant-goût jouissif

Enregistré très peu de temps après le premier album (certains morceaux furent même composés durant les sessions de « Dogrel »), « A Hero’s Death » a l’immense qualité de se démarquer de son prédécesseur. Moins impulsif mais non moins puissant, ce deuxième album monte la barre d’un cran, voire de dix. A vrai dire, on ne s’y attendait pas, même si nous ne sommes pas surpris. Là où « Dogrel » jouait beaucoup sur son côté new punk, très irlandais, dans une alliance entre fougue et spontanéité, « A Hero’s Death » prend le contrepied en faisant semblant de se restreindre. Il est vrai, rien dans ce nouvel album semble nous sauter aux oreilles à la manière d’un « Liberty Belle », d’un « Boys in the Better Land » ou d’un «  Hurricane Laughter ». Et pourtant, il suffisait de bien s’empreindre des trois morceaux dévoilés en amont de la sortie de l’album : « A Hero’s Death », « Televised Mind » et « I don’t Belong », pour comprendre à quel point ce nouvel opus n’aurait rien à envier à son aîné. On y sentait déjà une profondeur nouvelle, une cible resserrée, un renouveau de leur style… Les terribles tourbillons sonores que sont la chanson éponyme et « Televised Mind » inquiètent aussi bien qu’ils nous font jouir de mille frissons. Jamais le groupe n’avait composé dans une telle maitrise de son style. Toute cette énergie contrôlée, cette ardeur retenue, font de ces titres en particulier la plus belle définition de Fontaines D.C. On y sent une rage nonchalante, portée par l’amour du minimalisme, aussi bien au niveau des textes que des compositions. Lorsque Grian Chatten répète inlassablement « Life ain’t always empty » ou « That’s a Televised Mind », d’un ton distant comme il sait si bien le faire, c’est lui qui porte et subjugue la musique, car il en est en réalité le cœur battant. Grian Chatten est incontestablement la principale force de Fontaines D.C. Et pour les avoir vu en live à la Route du Rock, il va sans dire qu’il tient majestueusement les rênes. Timidement impliqué, son air absent et son chant monotone le rende magnétique.

Ainsi, à l’écoute des trois morceaux dévoilés en amont, nous avions déjà senti la puissance bouillonnante d’un projet plus que prometteur. Pour dire vrai, nous étions tellement enthousiastes que nous les avons écouté en boucle pendant plusieurs semaines, si bien qu’au fil des jours, chacun d’eux grandissaient un peu plus, jusqu’au point de les considérer aujourd’hui parmi les meilleurs morceaux que le rock nous a offert depuis plusieurs années. Il ne restait plus qu’à prier pour que le reste soit du même acabit. Chef-d’œuvre assuré. Pari réussi ? Presque.

Photo : Daniel Topete

 

Incarnation d’une jeunesse aussi vaillante que résignée

On ne va pas se mentir, le groupe a énormément misé sur ces trois titres en particulier qui ne trouvent pas d’adversaire (ou d’alliés) de taille pour se mesurer à eux. Pour autant, nous devons désormais les inscrire dans un album complet, et non plus comme des morceaux indépendants. Et c’est bien à ce niveau-là que « A Hero’s Death » tient particulièrement la route. Dans sa globalité. L’album coule de source sans jamais devenir une évidence. Il n’est ni timide ni explosif, ni fade ni grandiloquent, et ne cherche à n’être nul autre que l’incarnation d’une jeunesse à la fois vaillante et résignée, d’une manière privilégiant la sincérité à l’emphase. Sa non-perfection l’embellit même, puisqu’à en attendre trop, nous avons fini par apprécier davantage son côté humain et artisanal grâce à ses morceaux plus terre à terre. Le dosage maitrisé entre plusieurs forces démonstratives : une certaine quiétude lancinante (« You Said », « Oh Such a Spring », le magnifique dernier « No ») combinée à une ferveur âpre (l’incroyable « Lucid Dream », « Living in America »…), rend le tout particulièrement subjuguant, comme si le groupe était définitivement parvenu à créer son identité. Au milieu de ce couloir qui se resserre en s’agrandissant tout du long vient se glisser l’étonnant « Love is the Main Thing », une lente et douloureuse course animée par une batterie étouffante et un slogan scandé comme éternellement sur un ton distant et désincarné, à croire que le groupe ne croit déjà plus à grand-chose, même en l’amour, bien que le morceau « A Hero’s Death » nous prouve le contraire. Peut-être veulent-ils simplement retranscrire un état du monde, où tout semble sans saveur sauf l’amour qui perdure avec difficulté. Encore faut-il y croire. Mais Fontaines D.C. n’est pas là pour chanter l’amour à la manière des Beatles et nous fait part d’une certaine vision du monde merveilleusement bien retranscrite. Dans « Televised Mind » par exemple, avec sa guitare et son chant hypnotiques, Grian Chatten parle des esprits dépendants des autres, ceux qui ne savent réfléchir qu’en se confiant à l’approbation générale. Le chanteur dit à propos de cela : « L’opinion des gens est renforcée par un consensus constant, et nous sommes dépouillées de notre capacité à se sentir en faute. On ne nous donne jamais la possibilité d’apprendre notre propre faillibilité ».

 

Une production à l’identité affirmée

Lorsque nous parlions plus haut d’identité, comme quoi Fontaines D.C. s’affirmait davantage dans ce deuxième album, notamment grâce à la force évidente de ces nouvelles compositions, nous n’avons néanmoins pas mentionné un point primordial qui est celui de la production, sur laquelle le groupe dit s’être longuement attardé. De fait, cela saute aux oreilles. « A Hero’s Death » sonne juste. A la frontière entre fantasme et réalité, la rêverie soulevée par une vague ambiance psychédélique se trouve vite rattrapée par des sons aiguisés. La production va droit au but, sans manquer sa cible : amoureux du son, cet album vous est destiné. A la fois sèche et onirique, elle est tout droit inspirée de l’esprit des Beach Boys, leur principale influence sur cet album selon les propres dires du groupe. On y décèle également un amour pour le Velvet Underground (« Sunny ») ou encore Suicide dans son obsession pour la répétition.

Ainsi, « A Hero’s Death », à l’image de sa magnifique pochette, profite de la maturité d’un groupe qui, libéré de leur irlandicité, s’émancipe enfin en parvenant à explorer davantage. Le bond flagrant entre « Dogrel » et ce nouvel album est d’ailleurs la preuve définitive permettant d’affirmer, avec plus de croyance aujourd’hui que l’année dernière, que Fontaines D.C. a de quoi devenir un des groupes phares de la décennie. Le troisième album nous le dira.

By Léonard Pottier