
Ça fait déjà un an et demi que Sprints a sorti son premier album ‘Letters To Self’. Nous étions en janvier 2024, à l’aube d’une année riche en terme de punk rock d’Outre-Manche : d’IDLES à Fontaines D.C. en passant par Fat White Family, le quatuor irlandais avait ouvert le bal pour une année folle. Et la bonne nouvelle, c’est qu’ils sont déjà de retour avec un deuxième album aussi puissant que le précédent : ‘All That Is Over’. Rencontre avec un groupe qui a tout pour devenir grand, très grand.
Sprints : Une deuxième chance?
Plus tôt cette année, nous avons retrouvé Sprints dans les locaux parisiens de leur label, à l’abri d’un été déjà étouffant. Sous la clim plus que bienvenue, les quatre Irlandais, souriants bien que peu habitués aux chaleurs trop intenses, nous accueillent pour discuter de leur nouveau projet. Le groupe est de passage à Paris pour promouvoir All That Is Over Now, un disque aussi viscéral qu’urgent, qui marque un tournant dans leur carrière. “C’est notre deuxième chance à un premier album,” explique Karla Chubb, chanteuse et plume principale du groupe. “Beaucoup s’est passé depuis la sortie de ‘Letters To Self’. On se sent plus assurés, plus en phase avec ce qu’on veut dire. Avec « All That Is Over », on a réussi a être plus nous mêmes aussi, moins intimidés.”
Depuis notre dernière rencontre en novembre 2023, la trajectoire de Sprints s’est considérablement accélérée. Tournées à guichets fermés, passages dans les plus grands festivals d’Europe, dont un Glastonbury mémorable en juin dernier, et une reconnaissance critique qui ne cesse de croître. Un nouveau chapitre s’ouvre, porté par une formation légèrement modifiée. Zac Stephenson, récemment arrivé à la guitare après le départ de Colm O’Reilly en début d’année, s’est rapidement fondu dans la dynamique du quatuor. “Mon intégration s’est faite naturellement, on s’est rapidement bien entendus et vite remis au travail!” affirme-t-il.
philosophie punk de Sprints
Karla Chubb, grande lectrice, continue de tisser des liens entre littérature, philosophie et rage contemporaine. Le premier single de ce nouveau cycle s’intitule « Descartes », un clin d’œil à notre philosophe nationale. L’exotisme de Descartes pour eux est un souvenir douloureux pour les feux spé philo au bac, mais passons. La chanson ouvre cette nouvelle ère avec une tonalité sombre aux paroles quasi-pessimistes. “Le morceau est aussi inspiré d’une phrase du roman ‘Outline’ de Rachel Cusk : ‘La vanité est la malédiction de notre culture.’ C’est quelque chose qui m’a marquée, dans ce climat de sur-connexion où tout est représentation. On voulait essayer de trouver un semblant de rationnel à tout ce chaos.”
Un chaos que Karla ne cesse d’interroger, notamment lorsqu’elle évoque le traitement réservé aux corps féminins dans le milieu musical. Sur son bras tatoué, on peut lire les vers : ‘I am no mother, I am no bride, I am king.’ du morceau « King » de Florence + The Machine. Une observation qui fait sauter de joie la journaliste sur sa chaise. « Pour moi, Florence est l’une des parolières les plus sous-côtées de notre génération, » explique Karla Chubb, les yeux brillants, « son esthétique a pris le dessus dans l’imaginaire des gens, mais ses textes sont d’une grande profondeur poétique. » Les deux chanteuses partagent ce regard acéré sur le traitement des femmes par la société. Le titre « Need » a été écrit après une expérience amère en France. “Une journaliste a mis dans le chapô de son article que j’avais perdu du poids depuis la dernière fois qu’on avait joué ici. J’ai voulu prendre ça à contre-pied, jouer avec les codes absurdes et les standards oppressifs qu’on impose aux femmes.”
Malgré les succès, elle confie ne pas avoir perçu de réel changement dans le regard porté sur elle en tant que femme dans un groupe de rock. Un constat lucide qui nourrit aussi une certaine rage dans l’écriture du groupe.
La place des femmes reste un vaste sujet dans la scène rock internationale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans de nombreux festivals européens, la programmation reste massivement masculine. En 2024 encore, les groupes entièrement féminins ou menés par des femmes peinaient à représenter plus de 20 % de l’affiche sur les grandes scènes.
Dublin, Paris, et ailleurs
Depuis quelques années, l’Irlande connaît une reconnaissance artistique mondiale. Au cinéma, les Paul Mescal, Cillian Murphy et autres Saoirse Ronan enchaînent les récompenses. Côté musique, le groupe de Belfast Kneecap, provocateur et engagé, continue de faire parler de lui, malgré les polémiques à répétition que certains tentent de leur coller. Dans ce paysage, Sprints ne fait pas exception. “On saurait pas trop expliquer pourquoi il y a un tel intérêt,” sourit Jack Callan, batteur. “C’est peut-être le succès de Fontaines D.C. qui a braqué les projecteurs sur notre pays.” Quand on évoque la relation culturelle entre la France et l’Irlande, il se redresse, l’œil taquin : “Ouais, la seule différence, c’est que vous avez colonisé, et nous, on a été colonisés.” Autour de la table, les rires fusent, la française un peu moins, par pudeur, mais une chose est sûre : l’union et la Révolution passe aussi par le rire, parfois.
communion
Sprints reste, fondamentalement, un groupe de scène. Même dans cette ère de concerts filmés en stories et de connexions filtrées par écran, leur musique vise le contact direct, l’émotion brute.
“Les gens ont besoin de connexion,” insiste Jack. “Et être sur scène, c’est ce qui nous permet de vraiment ressentir ça avec le public.” Leurs concerts sont cathartiques, habités, toujours sur le fil. En décembre 2024, lors de leur passage à Paris, ils clôturaient une année éreintante mais marquante.“On était épuisés mais heureux. Alors pour le rappel, on a choisi de chanter ‘Fairytale of New York’ des Pogues. La meilleure chanson de Noël, non ?” Mais attention : pas de rappel systématique. Sprints cherche aussi à casser les codes du punk classique.“On essaye de se libérer des clichés, même dans la manière dont on construit nos concerts.”
All That Is Over sera à vous le 26 septembre. En attendant, découvrez leurs singles « Descartes », « Rage » et « Beg ». Ils passeront par la France en octobre 2025 et en mars 2026, dont une date au Cabaret Sauvage le 28 mars 2026.

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