Eunice Kathleen Waymon plus connue sous le nom de Nina Simone tient un rôle de grande prêtresse dans les coeurs et les esprits.  Autrice, compositrice, militante pour les droits civique, l’immense musicienne porte en elle une histoire puissante et inspirante. Sa voix extraordinaire, utilisée comme une arme qui frappe toujours juste lui vaut d’enchaîner les morceaux à la grandeur inégalable. Le culte « Feeling Good », l’envoûtant  » I Put a spell on you », l’inoubliable « Mr Bojanglas », tous méritent autant d’écoutes que de récits pour mieux se les approprier. Parmi eux, pourtant, et puisqu’il faut en choisir un, le besoin de raconter « Sinnerman » s’est fait sentir. Peut-être parce qu’il porte en son coeur une aura et une puissance qui retournent et viennent hanter chaque écoute. Alors d’où vient ce morceau ? On vous raconte.

nina simone "sinnerman"
nina simone « sinnerman »

« Sinnerman » qui es-tu ?

Ce titre de gospel voit son interprétation de Nina Simone publié sur l’album « Pastel Blues » sorti en 1965. C’est le troisième album studio de la chanteuse. Entre son second jet « The Amazing Nina Simone » (1965) et ce nouveau chef d’oeuvre il faut compter 4 albums enregistrés en public. Pièce de 10 minutes de montée en puissance que rien ne semble pouvoir arrêter, elle devient l’atout central de son album. Pour autant Nina Simone n’en est que l’interprète. Le morceau, elle le découvre dans son enfance. Sa mère pasteur  méthodiste l’emmène avec elle à l’église où ce gospel est souvent interprété. La légende raconte que la jeune Nina Simone l’interprétait à l’orgue de l’office.

« Sinnerman » c’est l’histoire d’un pêcheur qui cherche sa rédemption à tout prix. Une course haletante en découle, une prière au piano mais surtout le cri d’une révolte.  La musicienne prend l’habitude de l’interpréter à chaque fin de concert et fini d’ailleurs par lui offrir deux enregistrements en live, publiés eux bien plus tard.

Dans sa genèse, le titre remonte à la fin du 19ème siècle. Il vient du négro spiritual des églises noires des Etats-Unis. Le négro spiritual c’est un chant religieux afro-américain inspiré par la chrétienté et chanté en langue anglaise. Le courant constitue la première manifestation musicale organisée par la communauté noire américaine. Impossible donc de détacher le chant d’un contexte politique fort, d’injustices et de luttes. Pour en revenir à notre pêcheur, il a également inspiré le chorégraphe Alvin Ailey qui l’intègre à son ballet très engagé « Révélation » créé le 31 janvier 1960 à New-York. Alvin Aley, né en 1931 au Texas et décédé des suites du SIDA en 1989 est l’un des danseurs et chorégraphes les plus réputés au Monde. Il créa près de 79 ballets au cours de sa vie mais aussi la compagnie de danse la plus importante de New-York.

A l’église et donc ses débuts, le morceau se nomme « Sinner Man », il devient un seul mot pour Nina Simone qui pousse ce cri de révolte pour la première fois au cours d’un concert à New-York.  Ce chant qui implore le pardon au moment de son jugement change radicalement de signification dans la bouche de  l’immense chanteuse. Il devient un lieu de contestation, de rébellion. Pour se faire elle transforme autant la  mélodie que le propos, y incorpore de la colère, parle d’une société où elle ne trouve pas sa place. Pour la musicienne, il n’est pas question de demander le pardon mais bien de s’affirmer et surtout de se battre.

Combat et activisme

Nina Simone Pastel BluesIl faut dire que la chanteuse est spécialisée dans les chansons de protestation. Activiste alors que les Etats-Unis traversent l’abjecte période de la ségrégation elle est proche de Malcom X, Andrew Young, Lorraine Hansberry, James Baldwin, Langston Hughes, Stokely Carmichaël. En 1964- soit un an avant « Pastel Blues »-, elle signe son premier album pour Philips et y incorpore le titre « Mississippi Goddam » où elle aborde clairement l’inégalité raciale. C’est sa réponse à l’assassinat de  Medgar Evers (le millitant américain défenseur des Droits de l’Homme et membre de la NAACP) et l’attentat dans une église en Alabama qui a tué 4 enfants noirs. A partir de cet opus, la question des droits civiques revient régulièrement dans toute l’oeuvre de la chanteuse. Contrairement à Martin Luther King qui prône la non violence, Nina Simone demande le combat par les armes. Sur « Pastel Blues », elle incorpore également « Strange Fruits » de Billie Holiday. Ce morceau tiré d’un poème est un réquisitoire contre le racisme aux Etats-Unis et cotre le lynchage qu’y subissent les Afrp-Américaines.  En 1966, elle publie également un titre interdit sur de nombreuses ondes : « Wild is the Wind » qui parle de 4 stéréotypes de femmes afro-américaines.

Si l’oeuvre de Nina Simone regorge de ses combats, de la force avec laquelle elle les a défendu, la puissance de « Sinnnerman » et sa beauté en font un morceau mythique, miroir de l’importance de son oeuvre. Son leitmotiv, obsédant en son coeur avec le mot « Power » répété en boucle est l’illustration d’une des musiciennes les plus importantes qui aient pu exister. Une voix bénie des dieux née dans une époque maudite, la musique utilisée comme une arme à ne jamais sortir de nos mémoires.


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