Fut un temps, la Petite Ceinture de Paris a repris un intérêt aux yeux de l’urbanisme de la capitale. Soudainement les rails de ces anciennes gares désaffectées ont cessé d’être de simples champs de ruines pour devenir petit à petit la quintessence du cool. Au milieu de ces chemins de fer aux verdures proéminentes ont poussé des lieux underground au chic désuet où il était bon écouter du rock et boire une bière. La Flèche d’Or – qui manque cruellement au paysage parisien chaque jour qui passe – avait donné le ton des merveilles de réhabilitations que l’on pouvait faire d’un lieu abandonné dans des quartiers qui ne demandaient qu’à se créer une nouvelle image.
La Flèche d’Or a fermé ses jolies portes, laissant derrière elle son authenticité, sa capacité à créer un environnement aussi plaisant que délabré, amusant que décontracté. La voie était donc libre pour créer un nouveau temple en la salle du Hasard Ludique, cette fois-ci Porte de Saint-Ouen.
Version modernisé du concept, la bière premier prix y est remplacée par la IPA, des shots au mezcal, des cockatils au martini, du houmous aux baies et autres tapas aux fines herbes. Entre son espace bar, ses rails aux nombreuses tables et sa salle de concert, le lieu est la promesse de soirées branchées à la programmation léchée.
Pour cette seconde partie, il est plus qu’évident de compter sur la crème des médias indés pour proposer une soirée à la qualité indéniable et aux grosses guitares rock. Ce soir, le 5 novembre, c’est donc Tourtoisie qui invité à sa Fêlée avec pour mission de faire (re)découvrir l’excellence scénique. Au programme : du rock, encore du rock, toujours du rock et vous reprendrez bien un peu de rock ?
Place au rock !
La première tasse de notes vous est donc servie avec la courtoisie de Dye Crap. Les compères aux sonorités punk débarquent de Rouen pour tout casser. L’un cagoulé, les autres franchement déjantés et voilà que la joyeuse bande balance des sons sucrés qui donnent envie de pogoter franchement sans jamais se prendre au sérieux. Depuis quelques années, le punk avait déserté l’Hexagone, devenant un plaisir coupable réservé à de petits comités qui en écoutait encore dans le plus grand des secrets. De là à pouvoir découvrir du sang neuf ? La partie était loin d’être gagnée. Et puis enfin, comme les Doc Martens revenues en force comme le sommet du bon goût, voilà que les gros sons punks, aussi durs à cuir que les fameuses chaussures le sont à porter les premiers jours, avaient fait leur retour fracassant. Pour refaire du punk en 2020, il faut donc ratisser large, l’histoire du courant, maintenant loin des 70’s et des Pistols avaient pris, la faute aux années 2000, des accents d’insouciance à la Jackass. Dye Crap portent avec eux l’âme de cette période déjantée où il était bon se vider la tête – et pourrait-on en avoir plus besoin qu’aujourd’hui? – Voilà donc la bande de copains, avec qui on aurait facilement envie de devenir copains, balance ses samples intitulés « Cooloronie », « Game Boy » et frôle l’excellence avec son « My shits » et son refrain aussi travaillé qu’entraînant face à une salle qui se remplie doucement mais sûrement.
Le ton est donné, c’est maintenant au tour de Beach Youth de prendre place. Le quatuor plus aérien que ses prédécesseurs propose un rock au ton léger où la clarté de la voix est gage de qualité. Solaire, la formation fait la nique aux feuilles oranges dehors et aux rails trop fraîches lorsqu’une cigarette y est fumée entre deux performances. A coup de balades aux sonorités pop et aux envolées clairement travaillées, la formation happe la salle en un tourbillon de bonne humeur. Cette ballade automnale en bord de mer permet de repousser encore un peu le froid qui ne semble pas nous avoir quitté depuis maintenant plus d’un an.
Tourbillons obscures
Les concerts s’enchaînent à toute vitesse et le bar, lui est pris d’assaut. Les shots se font dans des tasses à café, les cocktails dans des verres sans pieds, l’anarchie version 2021 ? Et puis l’heure du thé avec la Fêlée est aussi le moment idéal pour laisser échapper le chapelier fou qui existe en chacun de nous. Les conversations des convives sont animées, entre deux tasses de rock, on entend ça et là des grandes conversations sur les thèmes de société, ça refait le Monde dans un bouillon effervescent de bonne intentions qui se concrétisent. Voilà que le son des guitares coupe les débats : Steve Amber est sur scène. Son chanteur porte à merveille le combo robe, baskets. Plus sombre que ses prédécesseurs, le groupe profite du timbre aux accents acérés de son frontman. Ballade sauvage et guitares hypnotiques portent avec grâce ce show qui touche aux tripes. Une goutte de new wave pimente ce set aux arrangements bien faits et aux notes ardemment travaillées. Depuis son Grand Zebrock, le groupe a peaufiner son écriture, pris de l’assurance, s’élevant de son côté psyché pour mieux définir ses nombreuses facettes. Ses montées sont profondes, pleines de sens, parlent aux maux et à la mélancolie. Pourtant, le groupe, lui, dégage une chaleur indéniable. Les plaisanteries fusent. Elles coupent et permettent de reprendre son souffle alors que le set haletant, laisse tout le monde sans voix mais heureux, convaincu s’il le fallait des immenses qualités de Steve Amber.
Un dernier shot de folie
Toutes les bonnes choses ont une fin. Même les moments les plus fous. Pour poursuivre sur le chemin puissant et saturé ouvert par le groupe précédent Moïze Turizer a la lourde tâche de clôturer la soirée. Platine et rock sombre s’invite à la soirée. Les notes sont lourdes de sens, la voix grave, les influences multiples. En duo, sans chichis, les copains invitent la salle à des tourbillons de noirceurs sans concession. Un léger manquement au niveau des régalages son altère les qualités de cette découverte scénique qui se vit comme un trip rock sous champis. Les incisions aïgues s’y répètent en boucles agitées, la voix appelle l’oreille. La soirée se finira en trans ou ne finira jamais. Et si la seconde option aurait été préférable, il faut bien quitter ce moment de folie partagée pour mieux se retrouver, au plus vite on l’espère, entre fêlés.
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