La planète Cannes est dans tous ses états, le film de Julia Ducourneau, « Titane », a gagné la Palme d’Or. Un exploit, disent-ils, une femme qui remporte le précieux trophée, nous voilà si loin de Polanski et son César. Et puis, il faut se le dire, le second film de la réalisatrice est loin d’être un film banal puisqu’elle livre ici un film de genre jusqu’au-boutiste. Un cinéma boudé par l’élite française, très rarement soutenu. Difficile de ne pas penser aux nombreux cinéastes forcés de réaliser leurs métrages à l’étranger pour pouvoir proposer de l’horreur française. Pascal Laugier (à qui on écrivait une lettre d’amour ici) ne pourra pas dire le contraire lui qui de plus avait écopé du plus gros avertissement , avec un interdit aux moins de 18 ans, lors de la sortie en salle de Martyrs, ayant pour incidence une perte tragique de possibilité d’audimat, de salles de diffusion et donc de rentabilité. Julien Maury et Alexandre Bustillo avaient eux-même fait les frais de ce mauvais traitement du cinéma d’épouvante lors de la sortie en salle du -moyen mais là n’est pas la question- Au Yeux des Vivants. Jugé dérangeant, le cinéma d’horreur est souvent passé à la trape. Quelques débordements en salles avaient d’ailleurs été l’excuse idéale pour limiter la diffusion de certaines pellicule. Cela avait d’ailleurs été le cas, avec le -très mauvais mais là n’est pas le sujet- film Annabelle de John R. Leonetti. Quelques débordements dans une salle et le voilà déprogrammé de nombreux cinéma. Le film d’horreur aurait un public intenable, enfantin peut-être même, qu’il faudrait punir ?
Et ce public au reflet de ceux qui le créent ne seraient-ils que des hommes qui passeraient leurs pellicules à créer des personnages féminins sans grandes personnalités, tout juste bonnes à se faire découper en petites tenues ? Point du tout ! De Laurie Strode (Halloween)à Sidney Prescott (Scream) en passant par les plus actuelles Tree Gelbman (Happy Birthdead) ou l’évidente Ellen Ripley (Alien), les femmes fortes ont souvent le beau rôle dans les films de genre. Le registre s’offre d’ailleurs d’innombrable finesses lorsqu’il se fait analyse social et qu’il tend un miroir sombre de la société qui nous entoure comme Ari Aster a si bien su le faire avec son « Midsommar » . Et ces visages féminins ils ne sont pas seulement devant la caméra, ils se situent aussi derrière. Le genre n’est pas et ne doit pas être enfermé dans des clichés. Que les femmes puissent en faire est une évidence qu’il semble incongrue d’évoquer. Pourtant puisque la chose doit encore être prouvée, voici une sélection d’oeuvres qu’il faut avoir vues, signées par des femmes plurielles et talentueuses. A découvrir, non pas pour le genre de la personne qui les signe, mais pour toutes leurs immenses qualités cinématographiques.
Dark Touch de Marina de Van
S’il fallait prouver qu’un film d’horreur peut avoir de nombreuses dimensions, Dark Touch mériterait d’être toujours cité en exemple. Le métrage très sombre de Marina de Van s’approprie toute la violence de l’inceste pour le retranscrire avec raffinement et sobriété. D’ailleurs, un sujet aussi lourd ne mérite-il pas une approche toute aussi difficile ? Plan par plan, la talentueuse réalisatrice plonge son spectateur dans le mutisme de Neve, sa jeune héroïne, aussi amochée et sensible qu’une certaine Carrie, des années plus tôt. Le traitement de la bobine, l’effet de froideur et de douleur laissée sur son spectateur sont autant de preuves de son aboutissement total. La française Marina de Van n’en était d’ailleurs pas à son coup d’essai puisqu’elle signait déjà en 2002, le viscérale « Dans ma peau ». Si « Dark Touch » est à l’heure actuelle son dernier film en tant que réalisatrice, il mérite aujourd’hui encore d’être visionné. Sa sensibilité au service d’une horreur jamais gratuite manque cruellement au paysage audiovisuel actuel.
De quoi ça parle ?
En Irlande, dans une maison isolée à la campagne les objets et les meubles tuent les habitants en se jetant sur eux. Seule une enfant survit, alors que la police refuse de tenir compte de son témoignage.
Mister Babadook de Jennifer Kent
Et si la maternité n’était pas un long fleuve tranquille ? La difficulté d’élever un enfant seule pour une femme est une vérité souvent tut. Après tout n’est-ce point tout bonnement son rôle ? Là encore, la thématique est d’une certaine violence pour qui la subit. C’est cette peur canalisée, cette difficulté à s’entendre avec son enfant qui sert ici de sous-titre à l’oeuvre. Pour personnifier les appréhensions de son héroïne et son immense colère, Jennifer Kent crée un monstre issu d’un livre d’enfants : « Mister Babadook ». Outre le drame psychologique qui emplit brillamment ce métrage fascinant, la réalisatrice sait créer son horreur. Les jump scares fonctionnent parfaitement, les codes du genre sont présents sans être clichés, la tension monte de bout en bout à mesure que le message se dévoile. Une réussite.
De quoi ça parle ?
Amelia, veuve, élève seule son fils de six ans Samuel sujet à des terreurs nocturnes. Mais un jour arrive chez eux, sans aucune raison, un livre de contes appelé Mister Babadook. Samuel, son fils, est certain que le Babadook hante ses rêves et cauchemars tandis qu’Amelia se sent harcelée par une présence maléfique. Un soir, alors qu’elle lit à son fils ce fameux livre, le cauchemar prend vie et plusieurs événements étranges se produisent. Mister Babadook finit par se montrer, à effrayer Amelia et Samuel avant que celle-ci ne finisse finalement par lui faire peur et qu’il ne se réfugie dans le sous-sol où elle le nourrit.
Jennifer’s Body de Karyn Kusama
Comédie horrifique par excellence, Jennifer’s Body est aujourd’hui une oeuvre culte dans le paysage horrifique. Certains y verront une critique cachée de l’image du corps féminin, d’autres auront peut-être une pensée émue pour « La Mutante » tandis que la plupart se laisseront porter par le flow barré de ce film qui se déguste comme un bonbon entre scènes gores et ton complètement décalé. Une nouvelle mise en scène du mythe du succube, le démon féminin qui abuse sexuellement des hommes pendant leur sommeil mais cette fois-ci pour mieux les manger… Avec en tête d’affiche Megan Fox, Amanda Seyfried et Adam Brody, ce film grand public n’en reste pas moins un plaisir coupable à partager entre potes ou à (re)découvrir pour se booster le moral. A noter que, si les films mettant en scène des incubes ou des succubes vous intéressent, il existe un mockbuster de « Paranormal Activity » intitulé « Paranormal Entity » qui joue justement sur les mêmes codes que le célèbre film mais en changeant les caractéristiques de son démon.
De quoi ça parle ?
Saint Maud de Rose Glass
Premier long-métrage pour la britannique Rose Glass qui gagne en un seul essai le Grand Prix du jury de Gerardmer. Il faut dire que son Saint Maud s’avère être un récit à fleur de peau pour parler du fanatisme religieux. Là encore la violence répond à la violence et canalise l’horreur comme l’exutoire de pratiques encrées dans la société. La réalisatrice prend le pari de créer une héroïne fragile et influençable dont les pratiques l’enferment dans un isolement malsain aux confins de la folie. Parfois contemplatif, l’oeuvre profite d’une montée en puissance sur son final et d’un traitement intime qui touche au drame. La psychologie de ses personnages, le jeu de ses actrices, la dureté de son propos sont autant de bonnes raisons de découvrir ce métrage hybride et puissant. Restera à prendre son mal en patience puisque, loin d’être exempt de défauts, ce premier essai pourra prendre trop son temps pour parler de sa thématique centrale : une conversion récente qui plonge son personnage principal dans une descente aux enfers. S’il peut s’avérer complexe pour le cinéma d’horreur de s’offrir de véritables sorties sur grand écran, Saint Maud a failli déroger à la règle. Il devait être dévoiler en salles obscures en avril 2020. Mais la pandémie, une fois de plus, a tout détruit sur son passage.
De quoi ça parle ?
Maud, infirmière à domicile, s’installe chez Amanda, une célèbre danseuse fragilisée par la maladie qui la maintient cloîtrée dans son immense maison. Amanda est d’abord intriguée par cette étrange jeune femme très croyante, qui la distrait. Maud, elle, est fascinée par sa patiente. Mais les apparences sont trompeuses. Maud, tourmentée par un terrible secret et par les messages qu’elle pense recevoir directement de Dieu, se persuade qu’elle doit accomplir une mission : sauver l’âme d’Amanda.
The Bad Batch d’Ana Lily Amirpour
C’est en réalisant les très prisés A Girl Walks Home Alone at Night et sa suite que’Ana Lily Armipour rencontre le succès. Il faut dire que la réalisatrice puise dans son histoire familiale pour créer : ses parents ont fuit l’Iran lors de la révolution iranienne en 1979. Son premier métrage c’est à 12 ans qu’elle le réalise. Son oeuvre phare, se déroule d’ailleurs en Iran et parle de vampires et d’amour. Sans concession, la réalisatrice revient en 2016 avec The Bad Batch disponible sur Netflix. Un métrage barré qui suit une jeune héroïne aux membres amputés par des cannibales dans une société futuriste. Loin d’être un film anodin, il s’offre un immense casting (Suki Waterhouse, Keanu Reves, Jason Momoa, Jim Carrey …) et une critique aussi acerbe que celle de Romero de la société contemporaine et de ses luttes des classes. Les « mauvaises graines » de cette oeuvre au visuel très fort y sont expulsés et forcés de survivre dans un environnement aussi hostile que déshumanisé. Un parallèle évident pourrait être fait avec les camps de sans papiers qu’ont connu les américains durant le mandat de Donald Trump. Avec une bande son pop, un look d’une modernité pointue, une ironie maitrisée, un romantisme aussi improbable que candide et de la violence omniprésente et calculée , ce Bad Batch est un OVNI inclassable et immanquable.
De quoi ça parle ?
Bannie au milieu d’un désert peuplé d’indésirables, une jeune femme tente de trouver sa place parmi les drogués et les cannibales.
A noter qu’en 2017, nous vous parlions déjà d’horreur au féminin avec XX dont la critique est à lire ici.
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