En voilà un film ! Honnête, terriblement honnête. Touchant et drôle. D’une rare sincérité. Admirons et savourons le goût de la réalité, de la saveur d’un cinéma documentaire comme il en existe peu ! Capter les sentiments, les liens qui unissent chacun, l’atmosphère d’une socialité qui redonne espoir en l’humain. 68, mon père et les clous est une bouffée d’air frais, un ovni cinématographique qu’il semble impératif de voir.
Le premier film de Samuel Bigiaoui n’a pas l’étoffe d’un grand film. Il n’est ni esthétiquement beau, ni dirigé par un scénario stupéfiant d’inventivité et ni techniquement impressionnant. Mais faut-il réellement tout cela pour prétendre au titre de grand film ? Bien évidemment que non. Normaliser le cinéma reviendrait à le faire mourir. Il n’y a aucune case à cocher, aucune qualité prédéfinie à remplir. Et 68, mon père et les clous, en ce sens, n’a rien à envier à quiconque. Il est ce qu’il est : un documentaire unique et sincère, qui nous propose de plonger à l’intérieur d’un magasin de bricolage le temps de quelques mois, avant sa fermeture. Ni plus ni moins.
Ce magasin, c’est celui du père du réalisateur, un homme qui se rapproche de la retraite et à qui son fils lui offre une incroyable preuve d’amour : celle de ne jamais faire mourir Bricomonge, sa boutique, et cela en capturant des moments de vie au milieu de cet espace chaleureux, auprès des employés et des clients.
On y voit l’effervescence d’un magasin qui s’apprête à abandonner une bonne fois pour toutes ses fidèles clients devenus pour la plupart de bons amis, et dont la sympathie et le respect envers le gérant ne cesse d’être montrée. Le réalisateur prend de la place, questionne beaucoup, mais ne dérange jamais pour autant, à la manière d’Alain Cavalier dans ses portraits sortis l’année dernière au cinéma. Toujours derrière la caméra, nous sentons que Samuel Bigiaoui se préoccupe de la pertinence de ce qu’il capture et, plus que de monter un simple reportage, il souhaite faire de ses images une œuvre forte et poignante, complète et cohérente, devant piocher parmi les 70/80 heures de rushes obtenus.
Pourquoi cet homme, ancien militant de la gauche prolétarienne, est-il devenu responsable d’un magasin de bricolage ? C’est surement la question qui intrigue le plus du début jusqu’à la fin. En même temps qu’il conseille ses clients ou qu’il se rend au sous-sol dans son bureau isolé pour farfouiller dans ses papiers, Jean nous parle de son engagement passé, et nous apprend des choses parfois surprenantes. Son ami rigole quand il le voit derrière le bureau « personne ne peut se douter que c’est un ancien révolutionnaire ! » souffle-t-il à la caméra.
On sent la tristesse gagner petit à petit les employés, bien qu’ils acceptent et comprennent la décision inévitable du gérant. « C’est grâce à Bricomonge que j’ai eu mes papiers » s’exprime un homme avec émotion. Bricomonge est plus qu’un lieu de travail, c’est un véritable lieu de vie, une immense maison qui s’apprête à fermer ses portes sous l’œil désemparé de chacun. Jean est le premier concerné, c’est une partie de lui qu’il abandonne. Le film nous le fait d’ailleurs ressentir en ne sortant jamais du magasin, dans une sorte de huit clos, comme si son propriétaire n’avait pas d’autre vie sinon celle-ci. Aussi inattendu que ce choix de carrière puisse paraître en connaissant l’homme qui se cache derrière le comptoir, il a permis à ce dernier de construire quelque chose d’inestimable.
Sans vouloir faire un film nombriliste, le fils de Jean a tenté de capter l’ambiance d’un espace à la fois fermé et grandement ouvert, sa caméra toujours à la main, où une certaine nostalgie s’installe au fur et à mesure du film, alors que le magasin n’a pas encore fait ses adieux.
Entre exaspération d’apprendre que l’enseigne de grande distribution « Carrefour » pourrait être l’acheteur des locaux, et désespoir de voir Jean appeler les personnes qui lui doivent encore de l’argent, nous traversons des couloirs d’émotions et d’humanité dont on a du mal à voir le bout. Malheureusement, les portes finissent par se fermer. Au bout de plusieurs dizaines d’années de travail en équipe, les adieux se font entre patron et employés, ou plutôt entre copains.
Une larme apparaît sur notre visage, tandis que Jean s’éloigne définitivement de sa boutique, et s’engouffre dans les rues de Paris, là où la caméra refuse de le suivre et préfère rester veiller sur Bricomonge encore quelque temps. Ou plutôt indéfiniment. N’est-ce pas là le pouvoir même du cinéma ?
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