De passage au Fnac Live de Paris le 30 juin 2022 pour un concert gratuit entre grosses lumières et gros sons, l’immense maître de l’électro Vitalic a accepté de répondre aux questions de Popnshot. Dans les sublimes salons de l’Hôtel de ville de Paris, le chanteur livre une iterview fascinante et entière revenant sur les nouvelles formes de raves party, l’esprit libertaire, dresse un portrait d’une nouvelle époque, parle d’indépendance musicale, de violence dans la société, de sécurité, de découvertes musicales et en profite pour donner un petit cours de cuisine. Rencontre.

Popnshot : Tu avais un sentiment d’inachevé quand tu as fini le premier Disideance, qu’avais-tu envie de raconter ?

Vitalic : C’est un équilibre sur les sons. J’aime les contrastes avec une seule couleur très resserrée. Je voulais un équilibre entre les morceaux calmes et pêchus. J’avais fait plus de morceaux que pour un disque de dix donc je me suis dis autant en faire deux avec deux couleurs. une partie est plus pop, l’autre plus expérimentale.

Popnshot : Tu compares ça à de la cold wave et du punk. Ils t’évoquent quoi ces morceaux que l’on rapproche traditionnellement plus du rock ?

Vitalic : Il y a vraiment du rock et de la disco dans ma musique.

Popnshot : Tu as d’ailleurs un morceau qui s’appelle « Rave against the system ». Ce nom évoque forcément un rock sans concession mais il parle aussi de raves. Est-ce selon toi un dernier espace de liberté comme ont pu l’être les concerts de punk fut un temps ?

Vitalic : Ce morceau fait référence aussi aux raves illégales pendant les confinements. Il y en a eu un peu partout. Faire la fête c’est politique. Par exemple le disco des années 70, les chants des esclaves noirs dans les champs de coton. La musique est politique. La rave, ce n’est plus très nouveau, mais c’est un peu la nouvelle forme de prise de liberté sans demander l’autorisation.

Popnshot : La liberté est politique pour toi ?

Vitalic : Le fait de la prendre. Et aussi à la base les raves parties, c’était la promotion d’un nouveau style de vie, en communauté, itinérante, pour la musique, des gens qui vivent en autarcie. C’était nouveau.

 

 Je pense qu’on vend aux kids de maintenant, une sorte de Big Mac de la rave party.

Popnshot : Tu le trouves intact aujourd’hui ce mouvement ?

Vitalic : Est ce que je fais mon vieux con ? (rires) Je pense qu’on vend aux kids de maintenant, une sorte de Big Mac de la rave party. Tout ça c’est caché derrière des intérêts financiers. Maintenant elles sont souvent organisées par de gros groupes de production musicale. Ce sont des grosses machines industrielles. ce n’est plus le message de la rave. Mais les kids ont envie de vivre ça, comme j’aurai voulu vivre la folie disco des années 70.

Temps qu’on est libre de travailler avec qui on veut, alors on est indépendant.

Popnshot : Tu parles de grosses machines de l’industrie. Tu as toi même ton label qui te permet d’encadrer de jeunes artistes. J’avais un débat avec le chanteur de La Femme qui dit que l’indépendance dans le musique est mythe. Tu est d’accord avec ça ?

Vitalic : Evidement on est dépendant d’un public si on veut vivre de la musique. On peut créer sans vouloir en vivre, sans la produire, là c’est en toute indépendance. Je pense qu’on travaille avec des gens mais ce n’est pas dépendre d’eux. On dépend de son distributeur, même des photographes. Temps qu’on est libre de travailler avec qui on veut, alors on est indépendant.

Popnshot : Et avec les artistes que tu as dans ton label, entends-tu cette peur d’être trop orienté ?

Vitalic : Nous on oriente vraiment pas. On donne des avis. Une fois qu’on signe on laisse une grande liberté. Après quand ça marche pas, ce qui peut arriver, il vont m’entendre parce que je préviens. Mais c’est vrai que la jeune génération est très frileuse pour signer des contrats. Pas frileuse pour obtenir de la tune mais  pour les contrats. Mais c’est beaucoup plus professionnalisé qu’on pouvait l’être début 80 / 90.

  Quand j’ai commencé, on signait des contrats avec des labels qui ne nous payaient jamais.

Popnshot : Comment ça se passait à tes débuts ?

Vitalic : On signait des contrats sans savoir où ça allait. On était pas à la Sacem. On signait des contrats avec des labels qui ne nous payaient jamais. C’était mieux que maintenant, heureusement que ça s’est professionnalisé.

Popnshot : D’ailleurs en parlant de générations, tu as un titre qui s’appelle « Boomer OK »…

Vitalic : C’est une phrase que mon grand de 20 ans m’a dit. C’est une façon d’envoyer bouler son père avec une forme d’ironie. Je lui ai répondu du tac au tac oui, boomer ok, je suis bien content de mes 45 ans, d’avoir vécu mon époque. Tout ça avec de l’humour. Il n’y pas de clash de générations, surtout qu’ils écoutent la même musique que nous on écoutait à leur âge.

Popnshot : Il y a un retour à des artistes plus anciens …

Vitalic : Ou même récents mais qui sont la même chose qu’on écoutait à leur âge.

 C’est la limite des machines, c’est plus difficile de créer de nouveaux sons aujourd’hui

Popnshot : Il y avait moins cette forme de retour musical dans les scènes de ton époque ?

Vitalic : Il y a toujours de petits bons dans le passé. Finalement 70, 80 et 90, il y a eu beaucoup de nouveaux sons. C’est moins vrai aujourd’hui. C’est la limite des machines, c’est plus difficile de créer de nouveaux sons. La production est plus accessible, la création moins. La techno avant ça n’existait pas par exemple… Mais on va avoir une révolution sur cette période, je la sens…

Popnshot : Tu t’attends à quoi ?

Vitalic : J’en sais rien mais je crois que le dernier truc nouveau que j’ai écouté c’est James Blake mais ça date. Le mélange jazz et électro très froide, j’avais jamais entendu ça. Depuis j’entends des trucs intéressants mais pas aussi novateurs.

Popnshot : D’ailleurs tu aimes chercher des nouveaux morceaux à écouter, comment fais-tu toi et quels conseils donnerais-tu pour découvrir de la musique ?

Vitalic : Il y a beaucoup de musique qui se transmet avec tes amis, il y a aussi les réseaux sociaux. Comme je fais des dj sets, je dig, je vais acheter des morceaux sur des distributeurs indépendants et puis aussi j’en découvre en festival et en soirées.

Popnshot : Tu achètes en digital, pas en physique ?

Vitalic : J’achète des vinyles mais pour les dj sets c’est des waves que j’achète. Mais j’ai sorti tous mes albums en physique. C’est un format important. Je suis attaché à l’objet. Je n’ai pas tout ce que j’écoute en vinyle mais quand j’aime un album, je l’achète. j’ai toujours le plaisir quand je cuisine de prendre un verre de rouge et de me mettre mon disque. C’est un truc de papi (rires).

Popnshot : Tu compares d’ailleurs le fait de faire un album au fait de cuisiner. Pourquoi ça ?

Vitalic : Mes fameuses métaphores culinaires ! Tout le monde se moque de moi dans mon cercle proche à cause de ces métaphores (rires).

La musique c’est aussi l’assemblage d’ingrédients pour que tout soit harmonieux.

Popnshot : Je te rejoins, l’oreille s’éduque comme le palais. Il faut goûter beaucoup de choses pour appréhender les saveurs et en écouter beaucoup pour mieux comprendre les sons …

Vitalic : L’oreille c’est pareil c’est vrai. Et aussi il y a beaucoup de parallèles. Il y a l’entrainement, la cuisine plus tu en fais, plus tu maîtrises et plus tu trouves ta voie culinaire. Il y a le fait de faire quelque chose pour le partager. la musique c’est aussi l’assemblage d’ingrédients pour que tout soit harmonieux. Les épices, ce serait les effets par exemple.

Popnshot :  Si on reprend cette métaphore pour parler de ton album, l’entrée de Dissidaence est très apocalyptique avec « Sirens », pourquoi ce choix ?

Vitalic : C’est un truc que j’avais longtemps en tête. Il est passé par beaucoup de phases ce morceau mais j’avais envie de ces deux sirènes, de ces deux alarmes. Avec une explosion comme ça, c’est très new wave. j’ai des impressions, j’en fais des brouillons et puis je les adapte. Au début ça fait une vague, puis ça créé une urgence.

Les tensions, le politiquement correct, les gens qui s’insurgent pour tout et pour rien. Je trouve ça violent.

Popnshot : Cet opus débute par ce sentiment mais tu avouais en interview qu’il traite d’une forme de violence. Tu disais par exemple avoir été inspiré par les gilets jaunes.

Vitalic : Les tensions, le politiquement correct, les gens qui s’insurgent pour tout et pour rien. Je trouve ça violent. Ce n’est pas une époque plus violente que les autres mais je la trouve tendue. Même verbalement, on n’est pas en 76, ce n’est pas relax. On a eu le Covid en plus mais j’avais déjà ce sentiment d’époque plombée même si c’est peut-être une perception, on ne vit pas plus mal qu’il y a 20 ans… je n’en ai pas l’impression. Mais tout le monde est un peu colère, tout le monde a envie de polémiquer et ça me gonfle. Je prends mon van, je vais dans la pampa, je vois mes amis mais je suis moins les informations par exemple.

Popnshot : Tu penses qu’il y aura un après et une période plus relax qui suivra ?

Vitalic : Je ne sais pas. Je pensais tout à l’heure qu’à chaque fois qu’on a fait des trucs pour la sécurité on est jamais revenu en arrière. Les aéroports par exemple, il y a 15, 20 on a commencé à vérifier les liquides et maintenant on continue à les vérifier. Le plan Vigipirate est toujours en vigueur, même s’il n’y pas d’alarme, on ne peut plus faire rentrer qui on veut en loge, ou c’est très restreint. La sécurité ne fait que se resserrer. C’est une époque étrange.

Les raves avant, ce n’était pas avec le cashless et le prix des boissons incroyable.

Popnshot : Tout ça revient à ce qu’on disait tout à l’heure, les parts de libertés sont plus restreintes et factices …

Vitalic : Quand on pense aux raves, on pense toujours à 20 000 personnes dans des champs. Moi j’en ai fait des petites de 1500 personnes et pour moi c’est ça les raves. C’était un truc de hippie. C’était pas avec le cashless et le prix des boissons incroyables. J’en ai fait une petite en Angleterre,  les boissons étaient si chères qu’à deux on a claqué 90 pounds en trois heures, donc ça c’est pas une rave. Avec peu de service et beaucoup de choses payantes, c’est une soirée pour un promoteur qui va en vivre et pourquoi pas mais on appelle pas ça rave. Quand j’étais gamin, on ramenait notre bouteille, c’est une fête sauvage et il n’y a pas de bar dans une fête sauvage. Je pense que c’est un truc qui a disparu.

Popnshot : Ton album il est inspiré par les années 70, c’est une époque importante pour toi ?

Vitalic : Oui on peut s’en inspirer parce qu’on a remplacé les instruments par les machines. L’EBM, c’est du rock avec des machines. Donc les chanteur.euses ont ce côte homme ou femme machine, c’est une chose que je trouve d’intéressant. C’est brutal et poétique et ça m’intéresse. C’est antinomique de passer de l’hyper violence au slow.


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