A l’origine de l’indie, à l’origine même de Fontaines D.C et de toute la vague dublinoise qui déferle sur le rock, il y avait les Smiths. L’un des plus grands groupes de rock du Royaume-Unis, le timbre particulier de Morrissey, les guitares sublimes de Johnny Marr. Les deux hommes ont refusé de se retrouver sur scène. La faute de Marr, en partie puisque c’est celui qui a refusé. La faute du Moz surtout, ses débordements politiques, ses sorties problématiques, ses prises de positions scandaleuses, ont eu raison de l’envie du guitariste à être de nouveau associé à son chanteur. Mais voilà qui n’empêche pas de se replonger à corps perdu dans l’un des plus grands albums de tous les temps, j’ai nommé The Queen is dead. Est-ce le meilleur album des Smiths ? Le débat fait rage alors que les puristes lui préfèrent bien souvent Hatful of Hollow. Pour autant, il reste mon favori. Une excellente raison donc de raconter son histoire et de parler de sa pochette culte avec Alain Delon.
The Queen is dead, vive the queen !
Il ne sont pas les seuls à avoir critiqué la royauté via le titre de leur album. Les Sex Pistols avant eux s’étaient essayé à cette exercice difficile. God Saves the Queen n’avait pas plu à la famille royale et lui avait valu la censure. En 1986, les Smiths tentent à nouveau l’essai avec leur The Queen is dead. Seulement le ton s’y alterne en continu. Sarcasme et humour s’y croisent autant que conversation imaginée avec la reine au cours des 6 minutes 30 qui composent le morceau qui donnera son titre à l’album. Cette façon de jouer la carte de la subtilité, de marcher sur la pointe des pieds sera un bon résumé des paroles de cet opus. Le second titre, par exemple « Frankly, Mr. Shankly », est une giffle au visage du patron de Rough Trade qui empêchait alors Morrissey de rejoindre une major. Pour autant le chanteur prend le temps de se moquer de lui-même et de sa propre ambition, dissimulant en partie son propos.
Le décalage est toujours de mise, la marque de fabrique du Moz pour ainsi dire. Et on la retrouve sur la totalité de cet album. « There is a light that never goes out », la chanson d’amour culte au sonorités si douces parle de mourir aux côtés de l’être aimé. « Vicar in a Tutu » est l’occasion de moquer l’église et « Some Girls are Bigger than Others » en fin de galette deviendra même un hymne anti- grossophobie ! Tout un programme donc.
De la princesse à la reine
Côté écriture le duo Marr / Morrissey fonctionne divinement. L’alternance dans la travail de composition leur permet de réaliser l’album parfait. Nous sommes le 16 juin 1986 lorsque celui-ci voit le jour. Troisième album du groupe qui est alors très populaire, il est aussi le prémisse de sa fin autant qu’il l’aidera à devenir culte. Le single « Bigmouth Strikes Again » qui en est issu lui permet d’ailleurs de se placer en deuxième place des charts. Et puis le prestigieux magazine NME en profite pour en faire trois fois d’affilé, le groupe de l’année.Pour autant, l’existence éclair du groupe formé en 1982, prendra fin un an après la sortie de ce chef d’œuvre soit en 1987. Une révélation de rupture qui sera d’ailleurs partagée à un magazine tout aussi culte et bien de chez nous, les Inrockuptibles, un comble quand on sait que l’amour des Smiths a pousser à la création de ce média. Un amour pour la formation que le journal n’aura eu de cesse d’exploiter et de conter, sélections après interviews et compilations.
Côté création, l’album qui nous intéresse est composé par son duo culte au cours de différentes sessions d’écritures mais aussi de tests sons qui ont lieu alors que The Smiths est en pleine tournée pour « Meat is Murder ». Le succès de cette pépite tient aussi en son chanteur et frontman, rebelle à grande gueule qui s’exprime et s’oppose clairement au gouvernement Tatcher alors en place. Jusqu’au-boutiste, tous les titres qui viennent à la composer constituent des tornades émotionnelles sans commune mesure. Impossible de rester de marbre face à la beauté des paroles des titres mais surtout du travail de composition, urgent, puissant, toujours à fleur de peau. On y trouve des émotions décuplées. Si aujourd’hui le terme indie a perdu de sa grandeur, étant un four-tout difficile à démêler, à la sortie de « The Queen is dead », il était au contraire, la définition même de ce courant à part. En cause également l’incroyable jeu à la guitare de Marr, génie reconnu de son époque et compositeur au talent incontestable. C’est au cœur de cette alliance que réside toute l’âme punk de la formation. Un guitare sophistiquée rencontre des paroles abruptes et irrévérencieuses qui en font un meilleur moyen de faire passer les messages dans les consciences. Jamais policée et pour autant accessible, la formation saura retourner les esprits de toute une génération et d’autres après elles.
The Smiths et Alain Delon
Difficile de parler de The Queen is Dead sans évoquer la pochette culte du disque qui met en scène Alain Delon. On l’y voit dans un ton vert saturé. Cette image est en réalité tirée de du film L’Insoumis, d’Alain Cavalier. Le film sorti en 1964 profite d’un Alain Delon au sommet de sa beauté. Morrissey ne s’y trompe pas, lui qui aime tout particulièrement les acteurs beaux gosses de James Dean à Jean Marais. Le film parle d’un soldat français qui désobéit pendant la guerre d’Algérie, désertant le front de bataille puis libérant une avocate, otage d’un kidnapping, contre l’avis de ses commanditaires. Coup de feu, coup de foudre et passion au funeste sort font partie du métrage, comme dans tout le meilleur cinéma d’Alain Delon.
L’obsession de Morrissey pour les beaux hommes n’existe pas uniquement sur les pochettes de ses albums. Il se revendique majoritairement asexuel, raconte qu’il aurait finit moine s’il n’était pas devenu une rock star tant il considère le sexe comme une perte de temps. Pour autant dans son autobiographie il confira une liaison avec le photographe Jack Owen. Et d’ajouter, plus tard, qu’une population LGBT+ dominante règlerait les conflits à travers le Monde : « Les guerres et les armées, et les armes atomiques, sont essentiellement des hobbies hétérosexuels. »
The Smiths is dead
Si l’ambiance en studio était plutôt bonne lors de l’enregistrement de « The Queen is Dead », les tensions étaient déjà existantes. Marr en a déjà marre (jeu de mots obligatoire) de Morrissey. Il le trouve trop imposant, trop présent dans les médias. Les frictions entre ces membres fondateurs ne sont pas les seuls problématiques que rencontre le groupe. Le bassiste Andy Rourke a de sérieux problèmes avec l’héroïne. Voilà qui sonne le début de la fin. Mais c’est surtout Marr qui souhaite quitter le groupe. Le festival de San Remo en mai ne suffit pas à lui donner envie de poursuivre. Plus tard, il confiera sur le livre « Les Smiths Morrissey and Marr, the Severed Alliance » : « Les Smiths étaient devenus un genre de club où toutes nouvelles influences étaient déconsidérées, voire taboues » . Le guitariste souhaite développer ses influences dance, ses envies d’électro. Il souhaite aussi s’éloigner de Morrissey. Ainsi il restera un seul album à dévoiler pour The Smiths, « Strangeways, here we come » qui sortira après l’officialisation de leur séparation en septembre 1987. D’ailleurs dans son auto-biographie, le guitariste ajoute : « Les Smiths n’auraient pas pu avoir une plus longue durée de vie, compte tenu de tout ce qui distinguait ma personnalité de celle de Morrissey. »
Marre de Morrissey
Et la personnalité de Morrissey, elle pose aujourd’hui autant problème à Marr qu’au public. Le Moz reste une idole indétrônable mais ses sorties lui valent des appels au boycott à tel point que certaines de ses dates en solo aient dû être reportées. L’anti-royaliste est aujourd’hui un soutien à l’extrême droite britannique et donc au parti For Britain. Mais il choque également régulièrement par ses positions en interview à caractère raciste ou islamophobe. Ce comportement est aussi celui qui privera les fans d’une réunion scénique des Smiths. La question avait été abordée en 2024 et une proposition officielle avait été faite aux anciens membres de se retrouver en tournée. Johnny Marr avait alors choisi d’y répondre par la négative pour ne plus être associé aux propos de Steven Morrissey.
Malgré tout, « The Queen is dead » reste l’un des plus grands albums de tous les temps. Un monument qui ne souffre d’aucun vieillissement. Au contraire, aujourd’hui encore, il représente le meilleur de la scène indie et continue d’influencer des génération des musiciens. Il est la lumière qui ne s’éteint jamais.
Sur une note très personnelle, je tient à dédicacer ce papier à Evelyne, reine elle aussi partie, qui m’aura permis de découvrir toute la grandeur de ce groupe mythique et qui vivra toujours lorsque je lance un de leurs albums.
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