Dans le cadre du Club 300 d’Allociné, était projeté au Forum des Images, Les Misérables, le premier film de Ladj Ly (du collectif Kourtrajmé) qui avait fait l’ouverture du 72ème Festival de Cannes. Sortant dans les salles le 20 novembre 2019, que vaut le film qui fait tant parler de lui depuis sa présentation sur la Croisette? Critique.
Il y a des films que personne n’attend et qui font tout de suite office de rouleau compresseur, emportant l’adhésion générale sur son passage. Avant de le découvrir, Les Misérables semblait être de ceux là. Ouverture du festival de Cannes et Prix du Jury de ce dernier en mai. Annonce en septembre qu’il sera le représentant de la France lors de la sélection pour les nominations pour l’Oscar 2020 du meilleur film étranger en février prochain. Une véritable success story pour Les Misérables qui a fait beaucoup parler. A tort ou à raison pour le film qui ambitionne de succéder au Indochine de Régis Wargnier, dernier lauréat français de la catégorie en 1993 ?
Les Misérables : De quoi ça parle ?
Stéphane (Damien Bonnard, Rester vertical, En liberté!), tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris (Alexis Manenti) et Gwada (Djebril Didier Zonga), deux « Bacqueux » d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone appartenant au jeune Buzz (Al Hassan Ly) filme leurs moindres faits et gestes…
Les Misérables : Est ce que c’est bien ?
Les Misérables est un film génial. Voilà. Comme ça c’est dit. Les Misérables est un film génial parce que c’est un film intelligent. La scène d’introduction, qui donne sa très belle affiche au film, nous présente une bande de jeunes préados quittant la banlieue pour aller assister à la finale de la Coupe du Monde 2018 de foot sur un des nombreux écrans présents dans Paris. Moment de liesse populaire, de rassemblement et de ferveur. Le spectateur ne peut être « qu’accroché » émotionnellement, il est à la fois marquant et récent, et un lien va donc se créer avec ce groupe de jeunes avec qui, d’ou qu’il vienne, il partage donc quelque chose. Pourtant à y regarder de plus près, les jeunes ne voient pas vraiment la télévision qui diffuse le match. Ils assistent, en spectateurs, à un mouvement de foule qui s’anime. Dans cette première scène, les enjeux à venir du film sont posés, mais Ladj Ly a fait en sorte de détourner l’attention du spectateur en l’incluant dans un souvenir collectif plaisant.
Venant du documentaire, le réalisateur du film Les Misérables nous pose le cadre de son histoire de manière quasi chirurgicale. Nous débutons donc le film à travers les premiers pas de Stéphane à la BAC de Montfermeil, fraîchement muté de Normandie. Si le personnage est volontairement montré comme ayant de l’expérience, afin de désamorcer le stéréotype du jeune débutant, il lui faut néanmoins appréhender son nouvel environnement. Ce que vont se charger de faire son supérieur, Chris et son collègue, Gwada. L’autre personnage du film par lequel est posé le cadre est celui Buzz est un jeune collégien de Montfermeil. Incarné par Al Hassan Ly, fils du réalisateur, véritable mise en abyme de Ladj Ly lui même, ce dernier ayant débuté derrière la caméra en filmant les violences policières dans sa cité. Passionné de technologie mais probablement timide, il se sert de son drone pour observer son entourage à distance. La présentation de Montfermeil se fait donc à distance, le « training day » de Stephane et les survols en drone de Buzz étant là pour nous poser un cadre objectif de la cité.
Une grande partie du film est donc passé à présenter ce qu’est Montfermeil et les différents groupes la composant. Sans jugement mais avec truculence (la découverte du personnage du « Maire », l’arrivée des propriétaires d’un lionceau qui a été volé), une bonne partie de Les Misérables nous dépeint donc un cadre se maintenant avec un statu quo imparfait ( tout le monde compose avec tout le monde contre mauvaise fortune bon cœur) mais qui existe et semble tenir. Mais nous sommes dans un film et non un documentaire. Le ressort dramaturgique de la bavure, dont le contexte ne sera pas dévoilé afin de ne pas divulgacher Les Misérables, intervient pour dynamiser le récit. Les trois flics vont se déchirer et s’échiner à « rattraper le coup », non pas de la bavure en elle-même mais du fait que celle-ci ait été filmée (par le drone de Buzz) et pourrait être publiée.
La deuxième partie est donc consacré à voir comment s’agitent en période de crise les différents groupes présentés au début du film : BAC, religieux, trafiquants. Certains cherchent à maintenir le statu quo, d’autres à le modifier… Et quand cette intrigue finit par se résoudre à la fin de cette première journée de Stéphane à la BAC de Montfermeil, on peut rester sur sa faim. Comme lui dit un de ses collègues : « Tu es là depuis une journée et tu te permets de nous juger?« . Mais (évidemment) tout n’est pas si simple…
Car le véritable tour de force du film Les Misérables se situe dans sa toute dernière partie. Après le premier jour de présentation vient le moment des explications. Car Ladj Ly ne se contente pas d’un état des lieux de la banlieue de 2019 comme, en leur temps avaient pu le faire La Haine ou Ma 6-T va crack-er. Non le réalisateur sonne véritablement l’alarme sur ce qui ne manquera pas d’advenir si la situation reste en l’état. La banlieue ne supportera plus très longtemps le statu quo actuel qui tient vaille que vaille et l’ordre établi risque de voler en éclats sous les coups de butoir d’une génération ne se satisfaisant plus des accords tacites du passé. Pour illustration le personnage d’Issa, blessé au cours d’une bavure, figure métaphorique de la victime des agissements de la société en place, brinquebalé entre les différents acteurs de la cité et utilisés en fonction de leurs intérêts sans que jamais il ne soit véritablement pris en compte. Comme dans Le Bûcher des Vanités, le drame n’est bon qu’à être exploité au lieu d’être considéré.
Et tout va finir par voler littéralement en éclats dans un épilogue sur fond d’émeute de banlieue menée par Issa ou la jeunesse balaye sans distinction les différentes figures d’autorité régissant la cité. Les deux personnages que l’on nous présentait si ce n’est comme innocents, au moins vierges, et qui nous ont servis de guides au début du film sont à jamais changés (Stéphane n’a cessé de monter en pression tout au long du film et démontré qu’il n’est pas si éloigné d’un Chris finalement et Buzz fermera les yeux à un moment fatidique). Avec un final en sorte de huis clos carpenterien ou l’action, la tension et le danger sont parfaitement retranscrites, Ladj Ly démontre avec assurance que le Rubicon est franchi… Et le plan final confrontant deux personnages dans une fin ouverte qui ne peut qu’être bien sombre finit d’asséner ce qui est le véritable coup de poing de l’année cinématographique 2019.
Véritable cri du cœur, Les Misérables fait plus que dresser un constat sur l’état des banlieues en France. Alors, Monsieur le Président, vous en avez pensé quoi vous, des Misérables ?