Saltburn, c’est le carton de ce début d’année 2024. Exit déjà Barbie ou Oppenheimer, l »heure est au film d’Emerald Fennel, une fable puissante sur les classes sociales, l’extrême richesse, l’envie et surtout les obsessions. Il aura d’ailleurs suffit de quelques semaines pour que le film, initialement paru le 17 novembre 2023 sur Amazon Prime ne se retrouve nommé aux Golden. Derrière un tel succès, des scènes choc, une scénario bien construit, une bande originale qui fonctionne, un casting richement sélectionné et une comédie noire, aussi originale que dérangeante. Mais finalement outre son succès, Saltburn vaut-il son succès ? On en parle. Attention spoilers.
Saltburn, de quoi ça parle ?
L’étudiant Oliver Quick, qui peine à trouver sa place à l’université d’Oxford, se retrouve entraîné dans le monde du charmant et aristocratique Felix Catton, qui l’invite à Saltburn, le vaste domaine de sa famille excentrique, pour un été qu’il n’oubliera pas de sitôt.
Saltburn, pourquoi ça plait ?
C’est un genre oublié que celui de Saltburn. Celui de la comédie noire mêlée au drame mais aussi de personnages sombres sur fonds politisés. Il y avait eu, certes, « Le talentueux Monsieur Ripley » en 1999 dont l’intrigue pourrait au moins dans les grandes lignes rappeler le film de Fennel. Mais outre cet exemple, rares sont les films à évoquer avec tant de finesse un récit similaire. Et c’est aussi sûrement ce qui plait de prime abord. L’originalité d’une trame qui n’y va pas par 4 chemins et s’offre le luxe d’aller au bout de chacune de ses idées. Ainsi plus la réalisatrice pousse ses personnages dans leurs pires actions, plus le spectateur jubilera, gêné quelque part d’embrasser avec temps de plaisir les vices des anti-héros qui nous sont dépeints à commencer par ceux de son personnage principal : Oliver Quick.
Il est bien énigmatique le taiseux Oliver (Barry Keogan). Et c’est lui, ce narrateur peu fiable, qu’il faudra suivre tout au long de l’histoire avant qu’il ne se révèle image après image dans ses véritables aspects. Le voilà obsédé par son nouvel ami, le beau, riche et populaire Félix Catton (Jacob Elordi) . La bobine s’ouvre d’ailleurs sur cette question : : « Est-ce que j’étais amoureux de lui ? ». La réponse s’avère plus compliquée qu’elle n’y parait. Toute l’introduction à Oxford ne sert en réalité qu’ à placer le cadre et présenter ses personnages. Felix donc, le parvenu Farleigh (Archie Madekwe) et Oliver. La différence des mondes qui les séparent, les relations qui s’instaurent, le pourquoi.
Et puis, voilà que Félix invite Oliver à passer ses vacances d’été à Saltburn, riche et luxueuse demeure familiale, impressionnante dans chacun de ses angles. Dès son arrivée sur la propriété Oliver n’a de cesse de commettre des faux pas. Il arrive en avance et s’attire les foudres du major d’homme. Puis continuellement, la différence de classes entre Oliver et la famille Catton est soulevée. Lorsque Oliver demande des œufs au petit déjeuner, il peine tellement à communiquer avec le personnel qu’il se retrouve à obtenir exactement ce qu’il ne veut pas. Même dans les actions les plus banales du quotidien, il est évident qu’il n’est pas à sa place et pourtant, il s’accroche, se fraie un chemin dans le cœur de chaque membre de la famille à l’exception de Farleigh, lui-même entretenu par la famille qui voit en lui une menace à ses privilèges.
Obsessions chéries, miroir de tous les vices
C’est dans sa façon de raconter les obsessions que Saltburn devient particulièrement efficace. Elspeth Catton (Rosamund Pike à son apogée), la mère de famille est obsédée par la beauté. Mais aussi par elle-même. Caricature de ce que la richesse peut corrompre et de comment rendre laid le beau, elle signe une des phrases les plus satiriques du film. Quand on lui apprend le décès de son amie, elle balancera un simple : « Elle ferait n’importe quoi pour être au centre de l’attention ». Elspeth domine son royaume comme une reine et y fixe les règles de conduite. Le diner de famille soit se faire en tenue de soirée. Tout ne doit être qu’élégance et rien ne doit être plus beau qu’elle.
Cette obsession a corrompu sa fille, Venetia (Alison Oliver), elle même obsédée par son poids. Elle souffre de troubles du comportement alimentaire et Oliver vient créer la tentation, l’obligeant à rompre avec sa volonté de ne pas se nourrir au moins un temps. Avec cette emprise, il expose une forme de pouvoir sur la jeune sœur de Félix mais aussi sur les corps et la beauté de la famille. C’est aussi avec elle que naitra une des scènes cultes et « dérangeante » ( à en croire les bruits de couloir internet) du film alors qu’il lui fait un cunnilingus pendant qu’elle a ses règles. Une scène d’une grande modernité qui questionne au rapport aux règles de par sa mise en scène mais aussi les réactions qu’elle provoque.
La plus évidente est évidemment celle qu’Oliver voue à Felix et qui est à elle seule le point central du film. Elle donne naissance à deux des scènes mythiques du film. On commence évidemment par celle du bain. Son érotisme explicite et son aspect stalkeur gênant à tant fait parler de lui qu’une gamme de bougie senteur eau de bain de Felix est déjà commercialisée. On arrête pas les folies internet. La seconde elle vraiment dérangeante est celle des funérailles et de ce qu’Oliver fait sur une certaine tombe. Cette scène est d’ailleurs une totale improvisation de la part de son interprète, Barry Keogan, qui s’est laissé aller et a écouté son corps. Il devait selon le script, pleurer et mettre ses doigts dans la terre. Oliver veut-il être proche de Felix ? Le posséder ? Devenir lui ou bien ce qu’il représente ? Ce sont les questions qui viennent hanter le film. Mais aussi de manière plus globale le spectateur. A quel point la classe moyenne est-elle obsédée par l’ultra richesse ? L’envie-t-elle au point du dégout ? A quoi sommes-nous prêts pour changer de statut social ?
Tout dans le film tient également à sa mythologie. Pour la créer elle emprunte à d’autres. Venetia est l’Ophelie d’Hamlet. Son destin sera d’ailleurs identique à celui de la sœur de Félix. Toutes les morts sont annoncées en amont comme par un oracle. La noyade certes, mais aussi Elspeth qui s’étouffe pendant le repas et meurt plus tard en suffocant, Félix qui regarde par la fenêtre alors qu’à sa mort les rideaux seront tirés sans doute pour mieux symboliser la difficulté du deuil, rien n’est laissé au hasard.
Une B.O obsédante pour en faire un film épique
Enfin, pour faire d’un film comme celui-ci une réussite totale il faudra compter sur une bande originale réussie. C’était déjà le cas avec Sexe Intentions en 1999. Comédie sombre destinée également à un public jeune qui s’il était moins sombre osait aussi parler de personnages construits comme des anti-héros. Une sorte de pendant d’un autre temps à notre Saltburn au moins dans son public cible et dans sa capacité à choquer fut un temps tout en se jouant des codes de son époque.
Ici « Time to Pretend » d’MGMT ouvre le bal des moments inoubliables et illustre en musique comme en paroles la tragédie qui va nous être contée. Les Yeah Yeah Yeahs, The Killers, Bloc Party, Arcade Fire, tous les morceaux cultes d’une époque s’invitent à la danse pour signer la bande originale idéale, connue mais flirtant pourtant avec l’indé. Elle donne le ton du film, vient cueillir le/ la specteur.trice et épouse à la perfection une réalisation majestueuse à l’image de la démesure de son propos. Et surtout, par ses titres connus prend le spectateur pour la main comme pour lui raconter une histoire dans laquelle il se sentirait à son aise et mieux le sortir de son confort, scène choc après scène choc.
Evidemment, la palme revient au retour en force du titre- pourtant oublié – « Murder on the dancefloor » de Sophie Ellis-Bextor qui vient clôturer le film. Depuis, la fameuse danse d’Oliver fait le tour des réseaux sociaux. Son interprète d’origine, sûrement d’ailleurs aussi surprise de Kate Bush avec Stranger Things, s’est elle-même amusée à reprendre la fameuse scène en dansant dans ses longs couloirs. Comme tout un tas de tik tokeurs.euses aisé.es qui dansent dans leurs immenses maisons au risque de prouver qu’ils sont entièrement passés à côté du message premier du film.
Et finalement quel est-il vraiment ? Est-ce un banal Eat the Rich ? Ou plutôt à quoi serions-nous prêt par envie ? Celle de rejoindre leur monde et de le leur prendre au risque de devenir bien pire que ce que l’on méprise.
Her Smell d’Alex Ross Perry : odyssée au coeur des opiacés (critique)
Le Festival des Femmes S’en Mêlent existe depuis plus de 20 ans et s’active à…
Gen V : Caution, it’s Very show ! (critique du spin off de The Boys)
Il était attendu le spin off de The Boys. Et c’est normal. La série de…
Anatomie d’une Chute (Justine Triet, 2023) : une palme qui vaut son pesant d’or
Si les deux dernières palmes d’or (Sans Filtre de Ruben Ostlund en 2022 et Titane…
1 Comment
Haaaa j’attendais la critique justement ! J’en attendais pas moins de Barry Keoghan depuis qu’il m’avait subjugué dans the Banshees of Inisherin.
Perso je me suis fait avoir et complètement surprendre par ce film. J’en avais lu et vu aucune critique, BA, RIEN ! Donc zéro idée de ce que j’allais voir. Et bah enfin un film qui ose et c’est presque triste comme constat au 21ème siècle qu’une scène de cuni fasse autant parler d’elle (parce que « choquante » plus que pourquoi elle est utile dans le contexte du film. En ce sens ce film est d’ailleurs très riche en idée de mise en scène, pensé et travailler pour que toujours l’image est un sens et soit utile. Un plan n’est jamais juste un plan. Je crois que toute l’imagerie du labyrinthe et des créatures mythologiques de fin m’ont aussi beaucoup touché pour l’imaginaire qu’elle invoqué. Bref… on peut en parler des heures !