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  Cinquième collaboration entre Abel Ferrara et Willem Dafoe, et bientôt sixième avec le prochain film du réalisateur qui sortira en cours d’année (Siberia), Tommaso est une nouvelle démonstration de la symbiose des deux artistes. On sait à quel point certains réalisateurs sont attachés à leurs acteurs, et combien il est parfois essentiel de ne pas trop s’éparpiller afin de constituer une œuvre globale cohérente. Inviter un même acteur sur plusieurs de ses films, c’est lui déclarer son amour, le porter toujours plus haut, lui créer des rôles sur mesure, pourtant jamais semblables, mais qui, mis bout à bout, démontrent toute l’ingéniosité et la cohésion d’une force commune.

  Tommaso propose donc à Willem Dafoe de s’élever une nouvelle fois, davantage en tant qu’acteur que personnage, car le rôle qu’il incarne, celui d’un certain Tommy appelé Tommaso en italien, un artiste torturé, ne parvient pas vraiment à prendre de la hauteur au cours du film. Prisonnier d’une vie confortable mais ennuyante, Tommaso y navigue sans parvenir à sortir la tête de l’eau. Calme mais impulsif, le personnage partage sa vie avec sa compagne, plus jeune qu’elle (incarné par Christina Chiriac, la femme d’Abel Ferrara), et sa fille (Anna Ferrara, fille du réalisateur) avec lesquelles il tente d’adopter une attitude protectrice, mais qui ne fonctionne pas toujours. En canalisant ses émotions, il les fait jaillir de plus belle lorsque quelque chose lui échappe. Tommaso vit un double combat : celui qu’il mène contre lui-même et celui qui le rattache à sa famille. Il est difficile d’être mari et père à la fois, ces fonctions sociales n’ont pour évidence que leur nom, mais n’engagent personne de la même manière. Tommaso aime plus que tout sa famille, un amour qui provoque une torture intérieure ainsi que des accès de colère, mais il sent que ce cocon lui échappe constamment. Les attentions que sa femme lui porte se ternissent, et Tommaso doit intérioriser un grand nombre de souffrances liés à cela. Sa femme aussi, puisqu’elle semble perdre peu à peu son amour pour lui.

  A côté de cela, ses réunions aux Alcooliques Anonymes le présente comme un homme sous-contrôle, lucide et bienveillant. A la sortie de ces instants d’écoute et de partage, la vie se joue de lui. Ses visions cruelles sur la perte et l’abandon ainsi que le sort malheureux qui dirige son existence font de lui une marionnette. Il ne contrôle finalement pas grand-chose, malgré sa réussite concernant l’arrêt de l’alcool et drogue et du travail sur soi. Pourtant, Tommaso n’est pas tout blanc, il continue ses dragues intempestives, à moitié volontaires, et préfère rester seul quand sa femme et sa fille partent en voyage. Ainsi, sa misère est à l’origine d’un affrontement entrel son aspiration à une vie de famille meilleure formée d’amour, d’écoute et de compréhension, et ses actions quotidiennes, dont il peine à remarquer qu’elles ne font que l’éloigner de son objectif. Le personnage ne parvient pas à coordonner ses désirs et sa nature. Sa volonté réside dans le seul fait d’imaginer certaines choses, qui n’arriveront jamais et qui laisseront le récit monotone poursuivre son cours sans élévations.

 

 

  Les scènes de la vie conjugale sont souvent les plus sincères au cinéma (Ingmar Bergman aura atteint le sommet en la matière), Abel Ferrara les met ici en scène avec tout son talent de grand cinéaste. La manière dont il dépeint ce quotidien amer le positionne à la fois comme acteur principal (on sait d’ailleurs que certains épisodes du film sont inspirés de sa propre vie) et défenseur d’un point de vue neutre sur le cours de l’histoire. La caméra suit Tommaso dans son périple intérieur, le contemple à travers ses désirs et ses douleurs, mais n’en fait jamais un personnage ni pitoyable ni misérabiliste. Il est un homme avec ses soucis et ses peines, un homme artiste qui essaye de s’en sortir difficilement et qui trouve comme compagnon de route nous spectateurs. Nous pouvons être attachés à ce personnage, autant que nous pouvons y rester insensibles, le fait est que Willem Dafoe l’interprète assez brillamment pour ne pas prétendre à un point de vue absolu.

             

  L’aspect presque documentaire du film, facilité par un grain d’image particulier et une caméra instable qui se plaît à s’approcher du visage des personnages pour percevoir un instant l’état physique de leurs sentiments, lui donne une force secrète et indescriptible : il est certain que la réalisation influe grandement sur notre perception de l’histoire. Elle a le pouvoir de la rendre digne d’intérêt, et jamais ennuyante. La caméra laisse de la place aux protagonistes sans vouloir trop s’immiscer à tout prix dans leur intimité : on pense notamment à la longue séquence durant laquelle Tommaso raccompagne son amie des A.A jusqu’à chez elle avec un positionnement lointain de la caméra. Cette dernière rend compte passivement d’une marche accompagnée d’une discussion des plus normales, et montre à quel point la banalité est la matière centrale du film. Il n’y a rien à envier à cette vie, ni à la mépriser, il y a seulement à regarder pour essayer de comprendre, et sûrement aussi d’apprendre, car tout quotidien peut en rappeler un autre, inspirer certains états, éveiller certaines consciences, faire surgir d’anciens souvenirs ou donner quelques conseils de vie, sans pour autant prétendre détenir aucune vérité. Tommaso est donc l’histoire d’un quotidien banal, retranscrit à merveille à l’image, d’une manière aussi véritable que touchante, qui nous donne le sentiment que les actions et les gestes sont universels et se reproduisent à l’infini à travers le monde. Tommaso est l’histoire de la nature humaine, et de sa tentative à s’intégrer dans une société. Tommaso pourrait être vous, ou moi. Ce qui est sûr, c’est qu’il rassemble un bon nombre d’esprits vagabonds, dont les étoiles semblent être un refuge plus approprié que la planète Terre.

 

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