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Julia Escudero

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La saison 2 de Ginny & Georgia vient d’être dévoilée sur Netflix et s’est déjà inscrite parmi les tops de visionnages du géant du streaming, devenant même l’une des séries à entrer dans le top 10 des séries les plus streamées de la plateforme. Si l’annonce de la saison 3 vient cruellement à tarder, elle est pourtant l’une des plus attendues. On sait que Netflix peut réserver de mauvaises surprises à ses fans, ayant annulé certains de ses show les plus appréciés. De l’excellente The OA aux bien plus discutables Warrior None ou encore  le très mauvais The Winx. Pourtant, dans le paysage la série de Sarah Lampert recèle de son lot de très belles surprises. Celle qui s’inscrit dans ce qui pourrait être un show typique teenager sait faire la part belle à des thématiques fortes, ne se privant d’aborder aucune douleur psychologique rencontrée par les adultes et adolescent.es, le tout servi dans un cocon de douceur et une forme de nostalgie des programmes à la Gillmore Girls. Retour sur les thématiques les plus sombres de la saison 2 et leur traitement bienveillant. ATTENTION Spoilers de la saison 2 !

Ginny & Georgia
Ginny & Georgia. (L to R) Antonia Gentry as Ginny, Brianne Howey as Georgia in episode 209 of Ginny & Georgia. Cr. Courtesy of Netflix © 2022

Il aura fallu s’armer de patience pour découvrir la nouvelle saison de Giny & Georgia et retourner avec nos deux héroïnes à Wellsbury. C’est chose connu, aujourd’hui les shows télévisés suivent le schéma d’une approche bienveillante des problématiques. Les shows des années 90 avaient vocation à aborder les souffrances psychologiques avec jugement et sévérité sans jamais y offrir d’issus voir romantisant certains aspects de ces derniers. Les temps changent et Ginny & Georgia prend le pli de son époque tout en gardant l’essence même de ce qui a pu faire le succès d’autres shows par le passé : petite ville, histoires d’amour, drames, comédie… ce qui pourrait faire penser à un certain Dawson tire finalement son épingle du jeu et arrive à narrer les histoires aussi bien vécues par les ados du shows que par les parents sans jamais perdre son spectateur ou diminuer l’essence dramatique de ses personnages. En ce jeu d’écriture bien fait la série Netflix est remarquable et induit une forte addiction loin du puritanisme américain exaspérant auquel nous sommes habitués.

Des maux, des mots, des mômes

ginny-georgia-saison-2-mangLa saison 2 reprend juste après la saison 1 et décide d’attaquer très rapidement avec les problèmes de Ginny (Antonia entry), l’une des héroïnes de la série. Après avoir appris sa mère Georgia avait assassiné son ex mari, elle décide de fuguer chez son père avec son petit frère Austin. Seulement cette annonce n’est pas sans conséquence, Ginny déjà dépeinte comme un personnage à la vulnérabilité à fleur de peau entre dans un processus d’auto-mutilation. Et pour se faire, elle se brûle. Elle finit par en parler à son père Zion qui prend la nouvelle au sérieux et la pousse à consulter. L’affaire ne se règle pas en un claquement de doigts. Il ne suffit pas de parler pour être libérée de ce qu’elle traverse. Cet axe donne naissance à deux des scènes les plus fortes de la saison. La confrontation avec Georgia (Brianne Howey), habituée à tout connaître de sa fille et à la protéger quoi qu’il en coûte. Elle tente d’abord une approche lourde, difficile et intrusive avant de se raviser et de prendre un rôle d’accompagnant. Ce chemin aussi va être long, douloureux et passe par le biais de la thérapie mais pas uniquement. Les personnages évoluent lentement, prennent le temps d’aborder la problématique et d’offrir un panel de réactions : celle du père aimant qui tombe de haut, de la mère qui veut solutionner, du petit ami ( Marcus) qui s’avère être une oreille attentive à ce vécu. Elle n’est pas idéalisée, Giny avoue haïr se blesser mais le cheminement pour arrêter est long, il passe par des substitues ( un élastique à claquer, des thérapie, du dialogue, des appels nocturne) et rien en fin de saison n’indique qu’elle a définitivement arrêté, elle lutte contre ça. Le traitement scénaristique y est sensible et délicat, n’en déplaise aux détracteurs de Ginny. Twitter s’est d’ailleurs ligué à tord contre le personnage, mais bon Twitter reste le réseau social le plus intéressant et le plus abjecte en même temps. Parce que son parcours, bien que romancé et raconté sous l’œil de scénaristes cherchant à faire avancer une narration est un enjeux central et tente de proposer l’un des nombreux ressentis des personnes qui s’auto-mutilent.

Évidement, un show télévisé ne peut avoir vocation seul à comprendre tous les enjeux d’une personne en détresse qui souffrirait d’un besoin de s’auto-mutiler. N’empêche que l’approche de ce trouble dénote avec ce qui a pu exister dans le passé. Les séries offraient leur lot de voyeurisme en la matière. La chose n’est pas neuve, les pulsions de vie et de mort n’ont finalement pas toujours été la fontaine romantique du spectacle. Le double suicide de Roméo et Juliette n’est-il pas la quintessence de la beauté et de l’amour ? Et puis ne se doit-on pas de justifier chaque action comme étant logique et fondée. Si réaction au mal-être il y a alors elle découle d’une action, d’une souffrance et d’un maux. Il faut toujours justifier. Ce n’est pourtant pas le cas ici. En la matière, il faut le rappeler Ginny & Georgia serait la petite sœur très sage d’Euphoria. La comparaison entre les deux shows s’arrêtent bien évidement ici, la seconde ayant bien plus en rapport avec Skin qu’avec Gilmore Girl. Il n’empêche qu’elle ont, chacune à leur manière, la capacité de parler aux adolescent.es sans les juger.

Du teenage show à l’euthanasie : légèreté rime avec société

Dans l’idée de ne pas associer dépression à un simple évènement, l’évolution du personnage de Marcus (Felix Mallard) fait aussi figure de rareté dans le panel télévisé actuel.  Son entrée en dépression, cyclique, est abordé sous l’œil de son personnage. Il devient narrateur de ses pensées, de son accablement et ce en une seule scène qui tient valeur d’explication de son ressenti et de ses réactions futures. Un monologue intérieur est explicité comme une clé pour mieux le comprendre. Le personnage reste taiseux. Il ne vient pas s’exprimer, se raconter avec les autres. Il pousse par ailleurs Ginny à prendre un autre rôle : celui de la bienfaitrice, qui doit comprendre, s’adoucir et malgré ses propres troubles protéger et ce malgré le rejet dont elle est la victime. Cet axe narratif devient lui aussi central. Autant que les avancées majeures du show pour cette saison qu’ils soient le mariage de Georgia, les meurtres, les relations amicales. Il permet à ceux et celles qui le regardent une nouvelle forme d’identification, une compréhension. Abby n’est également pas en reste et est le personnage le plus mal dans sa peau de la série qui pourrait par ailleurs aborder à travers elle les TCA. La chose est sous-entendue sans jamais être clairement exprimée dans cette nouvelle saison. Mais ce qui est exprimé est que les mots ont leur importance et qu’il est facile de blesser sans y penser une personne. Ceux qui se moquent d’elle, sont par ailleurs peu montré, comme pour souligner que les petites actions ont un poids mais ne sont pas toujours immédiatement repérés par l’entourage. L’impact est grand pour la personne concernée. Elle camoufle son corps, change de couleurs de cheveux et ajoute une scène troublante à l’histoire. Alors qu’elle joue à se faire porter par Matt, il blague sur son poids. Son visage se ferme, la douleur est là mais elle est évoqué avec simplicité sans aucun besoin de trop en faire, de trop en dire. Les éléments concernant le rapport au corps d’Abby, sa problématique face à son physique sont distillés avec parcimonie et alertent le spectateur : ces troubles ne se voient pas toujours, ils ont bien des visages.

Le personnage le plus explicité, le plus raconté, comme dans un un besoin de le justifier reste celui de Georgia. Mais elle est aussi le personnage adulte, celui qui a eu le temps d’analyser ses actions et surtout de mieux les comprendre. Comprendre ne veut pas dire contrôler, ne veut pas dire arrêter. Même s’il s’agit là du pire des affres : le meurtre. Femme qui a été battue, femme forte, Georgia lutte contre un grand nombre de traumatismes. Pourtant sa force évoquée à de nombreuses reprises par sa fille est ce qui la caractérise le mieux. Elle est autant femme que mère. Les deux ne sont en rien incompatibles. Et à travers ce prisme, et le regard de sa fille, elle finit par voir la vulnérabilité comme une force, peut-être la plus grande de toute. Ses ressorts psychologiques sont complexes. Elle est un piliers mais également une personne blessée. Elle peut séduire mais toute son essence provient de son passé, de ses difficultés. D’ailleurs les nombreux flashbachs sont là pour constamment l’expliquer , mieux la comprendre et voir comme une personne peut évoluer, apprendre à se défendre. La série fait d’un personnage meurtri une véritable icône. Georgia n’est pas une victime. Sombre et pourtant lumineuse, elle se bat seule avec ses enfants et pour ses enfants. De se faire du mal à faire du mal, le pas est grand. Ginny en paye le prix et en fin de saison c’est au tour de sa mère de payer sa dette. La série est également l’occasion de rappeler que les temps ont changé. Exit « Basic Instinct » et l’image de la beauté fatale inépuisable séductrice. La beauté de Georgia est une force mais pas seulement. Elle peut aussi devenir son propre bourreau.

Reste à savoir si la saison 3 apportera une nouvelle vision d’un personnage fragilisé, rattrapé par ses démons, ses erreurs et sa tendance à les reproduire. Il faudra aussi savoir traiter de l’euthanasie, puisque c’est bien le dernier crime de notre héroïne, de façon juste en introduisant le débat comme aura su le faire depuis ses débuts ce show grandement accessible qui ouvre les yeux et la voix à un public mainstream sur des problématiques importantes. Tout cela si Netflix confirme bien cette nouvelle saison.


Sam Fabelman ( Gabriel LaBelle)
Sam Fabelman ( Gabriel LaBelle) Copyright Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

Le 22 février 2023 sortira en salles le  dernier film de Steven Spielber, son plus personnel, The Fabelmans. Le légendaire metteur en scène américain a décidé rien de moins que de nous parler de sa propre enfance et du parcours l’ayant mené à la mise en scène ! Pour quel résultat ? 

The Fabelmans : De quoi ça parle ?

Le jeune Sammy Fabelman tombe amoureux du cinéma après que ses parents l’ont emmené voir The Greatest Show on Earth. Armé d’une caméra, Sammy commence à faire ses propres films à la maison, pour le plus grand plaisir de sa mère qui le soutient. L’adolescent va un jour découvrir un secret de famille bouleversant. Il va aussi se rendre compte que le cinéma va l’aider à voir et accepter la vérité.

The Fablemans Michelle Williams
Un triangle amoureux Paul Dano – Michelle Williams – Seth Rogens Copyright Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

The Fabelmans : Est ce que c’est bien ?

Après la grande réussite du remake de West Side Story dont l’échec au box office demeure incompréhensible, rapidement l’annonce était faite du prochain projet du mondialement connu Steven Spielberg : un film sur son enfance et le divorce de ses parents. De quoi provoquer une réaction ambivalente. En effet, toute la thématique de l’absence du père imprègne une grande partie du début de carrière du metteur en scène. Ainsi, par exemple, Rencontres du Troisième Type ( SPOILER ALERT) voit le personnage de Richard Dreyfuss « abandonner » sa famille pour accompagner les extraterrestres, Empire du Soleil (chef d’œuvre beaucoup trop méconnu) voit le personnage de Christian Bale, enfant séparé de ses parents dans le tumulte de la guerre , oscille une grande partie du film entre deux modèles opposés de père de substitution. Mais aussi, la question peut facilement se poser de savoir si l’on peut être le meilleur conteur qui soit quand il s’agit de sa propre histoire ? En terrain connu, Spielberg est il tombé dans la facilité?

C’est en fait le principal reproche qui puisse être fait à The Fabelmans : conteur de sa propre histoire, Spielberg se perd dans ses souvenirs, les étirant parfois jusqu’à frôler le manque d’intérêt. Dans sa version de fiction, car l’on ne suit pas vraiment le parcours de Steven Spielberg mais celui de Samuel Fabelman ( Samuel est le prénom hébraïque de Spielberg, Fabelman signifie littéralement l’homme-fable, pas mal pour un pseudo), sa famille est irréprochable, sa mère est soutenante, son père est bienveillant à l’égard de sa famille et de Samuel. Même quand il pense que le cinéma devrait rester un hobbie pour son fils, il l’aide à le financer. A peine l’irruption du personnage de l’oncle maternel vient elle boulverser ce propret équilibre en confrontant Art et vie de famille. A 76 ans, Spielberg, probablement en paix avec son histoire, en tout cas assez pour la montrer à la face du monde, ne se sent peut être pas de juger son père ou sa mère. Humainement, cela peut s’entendre. Cinématographiquement, c’est beaucoup plus compliqué, tant il dépeint un quotidien assez ordinaire… Heureusement, Spielberg n’est pas que conteur mais aussi metteur en scène et il a l’humilité des grands en ne se focalisant pas seulement sur son histoire mais – aussi- sur son rapport au cinéma.

Mateo Zoryan Francis-DeFord as younger Sammy Fabelman in The Fabelmans
Mateo Zoryan Francis-DeFord as younger Sammy Fabelman in The Fabelmans Copyright Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

Spielberg a du talent. Pléonasme bien sur. Pourtant, dès la première scène de The Fabelmans, le réalisateur américain démontre avec peu d’effets qu’il est l’un des meilleurs dans sa partie. Un enfant va au cinéma mais commence à avoir peur. De la foule, du bruit, de la taille de l’écran. Sa mère puis son père vont le rassurer. L’une en mettant en avant la féerie du spectacle qui va s’offrir à lui, l’autre lui assénant des termes techniques pour rationaliser ce qui va se passer. En une simple scène, Spielberg vient de brosser trois personnages d’un coup. Les trois qui constitueront les piliers de son récit.

En fait, Spielberg n’est jamais aussi bon dans The Fabelmans que quand il se souvient qu’il est entrain de signer un film, une œuvre de fiction. Ainsi, passé la description quasi chirurgicale de la décomposition du couple de ses parents, le film trouve un second souffle quand il fait de Sam Fabelman un personnage de teen movie dans la partie lycéenne, très probablement romancée du film. Pourtant c’est dans cette dernière qu’il réussit à livrer une des plus belles déclarations d’amour au Septième Art avec le passage du film de fin d’année, le réalisateur semblant détenir des pouvoirs au delà du commun des mortels.

The Fablemans
Copyright Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

De même, l’une des seules scènes ou Spielberg semble prendre de la hauteur avec/à son sujet, est le plan furtif mais fascinant de son alter ego vu dans le reflet d’un miroir ( tropisme spielbergien s’il en est) entrain de filmer ses parents annonçant à ses sœurs leur divorce. Et on se prête à rêver d’un film entier sur un adolescent, qui, voulant fuir la réalité s’enfermerait dans un monde où la fiction qu’il créerait prendrait de plus en plus de place… Malheureusement, The Fabelmans n’est pas ce film là. Il est autre chose. Tentative de biographie en lissant les bords. Déclaration d’amour au cinéma. Même si l’ensemble est assez maladroit, à l’image de la prestation de Michelle Williams dans le rôle de la maman, The Fabelmans est un film d’excellente qualité et mérite d’être vu, dans les conditions pour lesquelles il a été pensé, dans un cinéma. Et puis David Lynch dans le rôle fugace de John Ford mérite à lui seul un visionnage, donc, n’hésitez pas !

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Monte ton groupeIl fait froid, les sorties sont compliquées et tu attends les beaux jours pour retrouver enfin les terrasses. D’ici là,  il faut quand même rester occupé, continuer d’enrichir sa culture scènes indé et faire autre chose que scroller sur son téléphone et mater Netflix. Le Supersonic a une solution pour toi !

La salle parisienne qui fêtera du 2 au 4 février ses 7 ans a en effet « profité » de la crise sanitaire qu’on a tous connu pour prendre le temps d’élaborer un jeu de société. Au programme de ce jeu de plateau intitulé Monte ton Groupe 900 questions tournées sur les scènes rock des années 60, 70, 80, 90, 2000 et 2010. De quoi apprendre plein de choses tout en s’amusant.

Le but du jeu ?  Répondez aux questions en vous baladant dans les différents recoins du Supersonic et montez le groupe de vos rêves en recrutant les musiciens et musiciennes qui ont marqué l’histoire du rock et de la pop music !

En pratique, le jeu coûte 36 euros et est disponible au disquaire du Supersonic rue Biscornet. On peut aussi le retrouver en ligne ici. 

Bonne partie !


Quel grand raté cet été que d’être passé à côté du dernier né d’Ezra Furman. Il faut dire que la sortie d' »All of us flames » s’est faite de façon relativement confidentielle. Une faute lourde alors que l’artiste dévoilait au mois d’août 2022, l’une des plus belles pépites de l’année. Un chef d’œuvre viscéral, magnifiquement écrit, à fleur de peau qui touche juste et fort. Mieux vaut tard que jamais, on vous parle de cet opus.

Se brûler les ailes

album art - Ezra Furman - All Of Us FlamesD’entrée, Ezra Furman que le grand public a pu découvrir alors qu’elle signait le BO de « Sex Education », frappe juste. Bien décidée à nous embarquer dans un voyage sous forme de déclaration à la liberté, la musicienne nous propose d’embarquer dans son train aux milles merveilles. « Train Comes Through » promet de s’échapper. La rythmique répétitive et puissante sonne comme une ode à la découverte de soi, du Monde, une bouffée mélancolique, pleine de promesses. L’incroyable prouesse du morceau tient bien à sa capacité à promettre du beau au milieu de la difficulté, de la lumière dans l’ombre. Il suffit donc de quelques seconde de ce tour de force musicale pour se l’avouer : on tient ici un très grand album.

Bijou certes, mais bijou indé surtout. D’ailleurs la production est là pour le rappeler. Un son grisé, presque ancien accompagne les douces mélodies de ce « All of us flames ». Et avec cette grille de lecture, la chanteuse prévient : rien ne sera ici épargné. Voilà que ses morceaux ont la finesse de lames de rasoirs. Ils coupent dans le vif, des entailles avec une précision millimétrée. Pour porter cette fascinante épopée : le plus important et le plus acéré des instruments trône en son centre : la voix d’Ezra Furman. Toujours elle aussi sur le fil, elle oscille entre douceur et morceaux presque crachés, comme un exutoire entre retenue et pulsions. Elle y expluse ses douleurs et les transmet comme une grande leçon d’empathie.

Dans un opus incroyablement cohérent de 12 titres, la musicienne ne fait pas de fausse note, pas de faux pas et aucun morceau ne semble être de trop. Parfois pourtant, elle brille tout particulièrement avec des titres qui viennent immédiatement happer l’oreille. « Book of our Names » est de ceux-là. En cinquième position, il est aussi le morceau qui contient dans ses paroles le titre de l’opus. Comme souvent Ezra Furman joue sur un gimmick qui se répète et prend comme des vagues, les notes s’y balancent et viennent s’écraser sur l’auditeur là aussi avec un jeu entre ombres et lumière. Elle y fait un parallèle entre l’oppression vécue par la communauté transsexuelle et l’exode du peuple juif (la musicienne est de concession juive) créant par la même occasion un nouveau texte sacré.

ode à la liberté

Si l’essaie est si réussi c’est peut-être aussi parce que notre chanteuse n’en est pas à son coup d’essai. De 2006 à 2011, elle officiait dans le groupe de rock Ezra Furman and the Harpoons et son premier né en solo « The Year of no returning » voyait le jour en 2012. Déjà elle savait créer un univers où rock et folk faisaient bon ménage comme c’est toujours le cas. Et lorsqu’aujourd’hui, elle chante avec une telle fougue et force des hymnes qui sentent l’envie de s’affranchir et de crier la liberté c’est peut-être aussi parce qu’en avril 2021 une petite année avant la sortie de « All of us flames », elle faisait son coming out en tant que femme transsexuelle.

C’est bien l’émotion, juste, jamais exagérée, qui fait de cet œuvre un trésor beaucoup trop rare. A mi parcours « Lilac and Black » offre un tournant à l’opus et s’avère par la même occasion être le titre le plus efficace de n’ayons pas peur des mots, ce chef d’œuvre. On ne peut lui enlever le sens de son refrain, à scander comme un slogan, à ressentir comme une promesse ou du juste dosage des quelques notes de guitares qui le suivent. Là, la voix de notre chanteuse trouve toutes ses nuances. Parfois chaleureuse pour inviter à la rejoindre, parfois dure comme une insulte, une claque, une révolte. Et c’est aussi en cette diction, cette sincérité que tient toute l’immense perfection d’un titre qui a la force d’un coming-of-age movie mais avec la poigne de l’âge adulte. Un parcours initiatique bien moins définitif que ne veut nous le faire croire le cinéma.

Mélancolie chérie

Sur « Ally Sheedy in the Breakfast Club », les notes sont susurrées, en demie teinte. Une accalmie pour mieux préparer la suite : le dernier looping avant la fin qui réside dans l’écrin pluriel des trois derniers titres. « Temple of broken dreams » est sans conteste un moment majeur de l’album qui sait utiliser ses montées pour chauffer les cœurs meurtris, un appel à la survie. La suite se délie de plus en plus doucement, chaque morceau chuchotant avec bienveillance à l’oreille de celui qui l’écoute. Jusqu’au doux « Come closer to me », forme de promesse entre conte et berceuse. Toute la noirceur de la voix, les crachats et la rage sont parties, reste une accalmie tristement heureuse. La façon parfaite de se quitter, plus forts, plus proches et d’éveiller la flamme en chacun d’entre nous.