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Julia Escudero

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Clément Froissard à La Maroquinerie – Crédit Photo : Louis Comar

Ce 17 avril promettait une nuit inoubliable. En effet, Clément Froissart prenait d’assaut la Maroquinerie de paris pour présenter au public son premier album solo : « Nuits Agitées ». Un opus à la mélancolie solaire, où la douceur prime. C’est d’ailleurs le mot d’ordre d’un concert onirique où précision la dispute avec émotions à fleur de peau.

Le calme après la tempête. L’album « Nuits agitées », premier né de la vie post Concorde de Clément Froissart traite un peu de cela. De la pluralité de nuits blanches mais pas d’idées blanches. Les joies y côtoient les douleurs. Les nuits peuvent être empruntes d’amour, d’amitiés, de folies, de tristesse et s’éterniser sans jamais y rencontrer le sommeil. La mélancolie s’y dessine avec joie et lors de ces heures particulières, les ombres deviennent des amies fidèles. En cette fin de journée, la météo semble s’être mise en accord avec l’opus du chanteur. La journée grise, morne et froide laissait place, alors que la lumière diminuait doucement à une douceur plus agréable. Dans la cours de la Maroquinerie, rouverte après des déboires absolument rocambolesques, le public profite d’un verre en attendant de rejoindre la salle pour accueillir avec bienveillance un concert agité .

Clément Froissard à La Maroquinerie – Crédit Photo : Louis Comar

Si la salle n’est pas pleine à craquer, elle profite de sa configuration idéale. Le public est bien là mais il est possible de respirer, chanter, danser.  Lorsque Clément Froissart monte sur scène, son look de crooner fait mouche. Vêtu d’un costume ample, les cheveux gominés, il donne le ton dès ses premières notes : la bienveillance sera de mise. Bien souvent, les artistes changent de personnalités à la minute où ils montent sur scène. Ils deviennent un personnage, celui de leurs compositions, une forme d’objet à destination du public. Ici, la chose est différente. A la ville, le chanteur inspire aussi bien confiance que sympathie, s’exprime avec douceur, prend le temps d’écouter. Sur scène, la chose est aussi vraie. Venu aidé de ses amis et anciens coéquipiers de Concorde pour l’accompagner aux instruments, Clément tend l’oreille. Il écoute les mélodies en même temps qu’il les joue et de cette faculté née une harmonie enivrante. La précision musicale profite de la beauté de ceux qui savent jouer et qui aiment leurs instruments. Les synthés apportent leurs touches rétros à des compositions modernes qui s’inscrive dans une nouvelle vague française construite.

Notre maitre de cérémonie se revendique de Brian Eno et lui emprunte sa force créative. Contrairement à Eno en revanche, la noirceur ne sera pas reine de la soirée. Rapidement les racines rock du chanteur se rappellent à lui. Les guitares s’accélèrent, les synthés s’amplifient, la batterie s’énerve, le tout prend de l’ampleur. Le rendu est communicatif et la salle se met à onduler franchement en répondant à la voix et aux instruments. Au premier rang, certains ne manquent pas une syllabe et connaissent les morceaux par coeur. A tel point que Clément Froissart finit même par s’offrir un bain de foule et rejoint ainsi la fosse pour chanter avec elle. La set list elle, se délie et fait la part belle aux nouveaux titres du chanteur. « Aux Larmes » version étendue, « Rendez-vous », « La Vague aux cheveux d’or » se succèdent. « Nuit Agitée » le pendant au singulier du titre de l’album apparait à mi-parcours alors que « Soeur » plus tardif permet au chanteur d’avoir un mot pour sa soeur, présente dans la salle : « Je t’aime » lâche-t-il.

Nostalgie estivale

Il s’adresse d’ailleurs régulièrement à la salle, prend le temps de raconter ses titres comme il se raconte et se dévoile sur son album. Avec fierté il demande également à Leea, sa première partie de le rejoindre sur scène le temps d’un duo « Elle est tellement talentueuse. », ajoute-il.  L’alliance fonctionne parfaitement, tout comme les lumières, particulièrement maitrisées ce soir et dont les teintes ajoutent à la prestation du chanteur et son esthétique estivale. La Maroquinerie est transportée dans une fin de journée chaude et ses nuances douces qui invitent déjà à la nostalgie de l’instant passé.

Même le nuits les plus agitées doivent malheureusement prendre fin. Après un rappel, il est temps de tirer sa révérence et de poursuivre ses déambulations nocturnes dans un Paris en lutte qui quelques heures plus tôt offrait un concert de casseroles à ses fenêtres pour montrer son désaccord contre l’allocution d’Emmanuel Macron. « Je reviendrai avec un plus de morceau et un second album » promet sourire aux lèvres notre homme. Reste à lui espérer quelques insomnies créatrices pour s’exaucer. En attendant, le retour dans le nuit se fera sur l’air de ses titres, le doigt sur repeat pour mieux contrer la mélancolie qui s’installe trop vite une fois un bon moment terminé.

Clément Froissard à La Maroquinerie – Crédit Photo : Louis Comar

New-York, berceau de la musique, repère des nuits et ses multitudes de temples pour ceux qui ne rentrent pas dans les cases étroites de la société. En 1979, le Pyramid Club y ouvre ses portes dans l’East Village. Très vite il devient le repère d’une « nouvelle race de performers drag politisés ».  Parmi les premier.es à s’y produire : des personnalités : Ru Paul en tête de liste mais aussi Lydia Lunch,  Nirvana, Sonic Youth, les Red Hot Chili Peppers pour leurs premiers shows dans la grande pomme. Madonna elle y organise son premier concert caritatif contre le SIDA.  Le lieu devient un repère et une des emblèmes qui fait du East Village un quartier privilégié autant pour les scènes drag, gay, punk et artistiques que pour un public qui s’y reconnait.

black lips barEn 1992, ANOHNI, femme trans, connue pour sa carrière dans Antony and the Johnsons et pour sa proximité artistique avec Lou Reed s’unit avec Johanna Constantine et Psychotic Eve alors qu’elles sont dans leur vingtaine. Elles forment le Black Lips Performance Cult. Avec environ 13 autres personnes, elles décident d’écrire des pièces irrévérencieuses. Le Blackl Lips pose ses valises au Pyramid Club et prend le créneau des lundis pour présenter ses créations. L’esthétique prime alors qu’elles subliment autant la culture gothique que drag. Parmi leurs performances, « La naissance d’Anne Frank » mais aussi l’arrachage d’un faux foetus en sang du corps du performer James F. Murphy ou bien la troupe qui vomi le corps de Jake L’éventreur. A l’époque il était possible d’être subversifs et créatifs. Les voilà donc qui se mettent à la chanson. Leurs représentations sont parfois drôles, parfois dévastatrices et empreintes d’une réalité qui s’inscrit en parallèles avec la montée du SIDA.

Blacklips Bar: Androgyns and Deviants —  1992 – 1995

pyramid clubBlacklips Bar: Androgyns and Deviants — Industrial Romance for Bruised and Battered Angels, 1992 – 1995, de son nom complet est la compil qui s’inscrit dans trois années de cette histoire. A l’initiative d’ANOHNI, les 90 minutes qui la composent sont un hommage vibrant  au Black Lips Performance Cult, leurs prédécesseurs, inspirations et des enregistrements rares des titres composés par leurs membres. Le parcours y est incroyable, d’autant plus que la pluralité musicale est de mise alors que chaque piste profite d’une véritable force underground.

Meng & Ecker ouvre le bal avec un morceau plutôt dansant. Son histoire, à l’image de la compilation est atypique et barrée. Savoy Books fut fondé en 1976 en Angleterre. Les livres qui y furent publiés incluaient des contenus plus que sensibles allant du « Lord Horror » de David Britton avec parmi ses personnages principaux Hitler et le nazi Lord Haw-Haw (un ouvrage nihiliste et sadique) ou encore des romans graphiques entre pornographie et sci-fi et donc « Meng & Ecker » (illustré par Kris Guidio) qui retrace le parcours cauchemardesque d’une personne transsexuelle et punk dans un décor anarchique.Les ouvrages étaient si choquants qu’ils valurent à l’un des créateurs de Savoy, David Britton, deux ans de prison. En 1989, Denis Johnson et Rowetta créèrent un titre électro, illustration sonore du fameux texte « Meng & Ecker ».  Johanna Constantine, une membre du Blacklips, tombe sur la librairie alors qu’elle est étudiante à Leeds. Elle suit la trace de leurs bureaux jusqu’à Manchester non sans avoir pris le temps de fouiller et s’approprier leurs oeuvres. Lorsqu’elle les retrouve, Savoy vient de subir une descente de police. Pour y répondre, ils impriment des tee-shirts représentant le chef de la police locale la tête explosée. Voilà qui donne le ton d’un album pluriel qui ne rentrera jamais dans les cases.

ANOHNI : âme rebelle aux manettes

AnohniEvidemment ANOHNI étant à la tête de la création de ce joyau et de cette quête d’une histoire si significative, ses titres peuplent en nombre cette galette.  L’un des plus incroyables moments de cet opus est une version précoce du titre « Rapture » qu’elle éditera par la suite avec The Johnson puis en featuring avec Lou Reed. On retrouve également « People are Small » (avec Justin Grey), « Blacklips » ou « Love Letter ».  C’est elle qui raconte l’histoire de ce collectif artistique dont les créations sont parfois le reflet violent de la réalité toute aussi violente qui les frappe : les années SIDA. Pour  en parler, les titres s’entrecoupent d’extraits d’interviews, très vite on retrouve d’ailleurs Vito Russo, activiste d’AIDS. Des temps différents, parfaitement efficaces dans ce tourbillon mélodique souvent sombre, hallucinant, vibrant au plus fort.

Bouillon artistique

La noirceur, elle s’illustre aussi par l’horreur, le jusqu’au boutisme, les cris, les interludes. Un extrait d’une publicité pour un show d’Halloween rencontre des extraits de DJ sets. Pas étonnant donc d’y retrouver Diamanda Galás. Chanteuse, performeuse, peintre, pianiste. En 1991 elle publie l’album « Plague Mass »  enregistré dans une église new-yorkaise où elle livre une violente attaque contre l’attitude de l’Eglise face au SIDA. ANOHNI découvre son album « Panoptikon » quand elle est adolescente. Sa voix lui fait l’effet d’une arme qu’elle utilise pour défendre la cause. Son morceau « Double-Barrel Prayer » a donc une place centrale sur cet opus. Il faut ajouter que Galás est l’une des maîtresses des mélodies et esthétiques horrifiques et porte ces propos avec une voix de trois octaves et demi.

leigh bowery
Leigh Bowery

Autre artiste auquel la compilation rend hommage : Leigh Bowery prend place sur « Useless Man » par Minty. Présenté à ANOHNI par l’intermédiaire de Charles Atlas, il était un artiste, styliste, créateur de clubs australien. Son influence sur le monde de la mode a eu un impact considérable sur ses successeurs d’Alexander McQueen à Lady Gaga en passant par David Lachapelle ou encore Boy Georges, tous se revendiquent de ses créations. Pour cause, à l’ouverture de son club Taboo, sa phrase fétiche sera « Habillez-vous comme si votre vie en dépendait, ou ne vous déplacez même pas ».  Lunette de W-C en guise de collier, combinaison en latex, chapeau en forme de phallus ou robe gâteau d’anniversaire sont autant de ses tenues. A son décès, ANOHNI, dévastée décide de lui rendre hommage en vidéo. Avec le mot « YES’ écrit sur le front en hommage à Yoko Ono, elle grimpe sur une jetée en train de s’écrouler, sous l’œil horrifié des employés de la ville, elle s’avance sur ce cadre dangereux  filmée par la caméra qui l’accompagne. C’est la police qui la délogera.

Parmi les morceaux les plus importants de cet opus figure « 13 ways to die ». Un titre que l’on doit à Dr. Clark Render (dont le monologue était l’ouverture du show des Black Lips pendant des années) et joué par le groupe qui sorti en mars 1995. On retrouve là toute la mélancolie des Black Lips et une confrontation directe à la pandémie du SIDA et la découverte d’un New-York en mouvement et évolution, comme le Monde qui se transforme à toute allure. Une belle approche de la fin de cette incroyable compilation.

Fin 1995, ANOHNI  a commencé à se produire dans un autre club du East Village : le PS122 avant de se mettre pleinement à la composition musicale. Les autres membres du collectif ont poursuivi leurs carrières de performeurs drags, maquilleurs et DJ. De quoi clôturer une époque mais aussi s’inscrire dans les mémoires comme l’image d’une époque aussi sombre qu’artistiquement puissante. La compilation, disponible en vinyle et sur les plateformes est à chérir et écouter comme un trésor incontournable. Le Pyramid Club lui, qui avait fermé un temps à cause du COVID a pu être sauvé. Un lieu qu’il ne faut pas manquer lorsque l’on se rend à New-York pour garder vivante l’âme d’un temps important et très proche du nôtre.


Clément Froissart
Clément Froissart par Marion Passerat

Le 10 mars, Clément Froissart, ex Concorde, publiait son premier album en solo. Intitulé « Nuits Agitées » il y alterne  une mélancolie douce et des percées lumineuses. Thérapeutique, il y évoque autant ses amitiés que sa paternité précoce, s’aventure dans les sonorités et le porte avec des clips à la cinématographie évidente. Le chanteur s’y raconte, multiplie ses influences sans pour autant oublier les grands qui l’ont inspiré de Brian Eno à David Bowie. Il y ajoute claviers et guitares avec en tête de rendre sa fille fière, motrice incontournable de sa créativité. Les nuits de Clément Froissart sont certes agitées mais elles sont aussi agiles, douces et se déclinent d' »Aux larmes » jusqu’au « Disco Bar ». Des titres qui ouvrent et clôturent cet opus et s’en font le miroir de tristesses qui deviennent des éclats. Maître de la chanson, certes, mais aussi de rythmes grooves, d’effluves de world music, de langue anglaise et française qui se croisent, les facettes du chanteur sont multiples.

Pour le présenter, Clément Froissart a choisi de se livrer à fleur de peau à travers deux sessions acoustiques pour ses titres « Nuit Agitée » et « Rendez-vous ». Des instants à chérir comme des étoiles dans une nuit trop sombre.

A noter que le musicien sera de passage à Paris pour présenter cet opus à la Maroquinerie le 17 avril.

Découvrez le session de « Nuit Agitée »

« Rendez-vous »

 


En février 2022, Big Thief publiait une petite merveille au nom épique « Dragon New Warm Mountain I Believe in you ». Au programme une pépite de 20 titres, rien que ça, emprunts d’un univers magique où la folk et le rock font bon ménage. On s’y sentait comme au coin d’un feu de camps, avec l’aisance que l’on a avec de bons amis. En confiance, en harmonie.Au creux de cet opus, de la diversité : parfois entraînant  « Spud Infinity », d’autres fois porté par des cassures de rythmes « Little Things », de la folk bien écrite « Certainly » ou les balades accrocheuses « Simulation Swarm ». Le tout porté par la voix inimitable de sa chanteuse, aérienne, profondément touchante. De quoi satisfaire un public exigeant, féru de folk rock mais pas que.

Big Thief - La Cigale - 2022
Big Thief à La Cigale – Photo : Louis Comar

Depuis la troupe d’Adrianne Lenker a parcouru le monde pour le défendre. La tournée américaine touchant à sa fin c’est vers l’Europe que les 4 inséparables s’envoleront pour y passer le printemps. Aucun passage français n’est pour autant programmé, parce que la vie est injuste tout simplement. Toujours est-il qu’au milieu des dates et des tours bus, Big Thief a pris le temps de composer et de tester ses nouveautés en live. Si les groupes de fans partagent quelques extraits captés ça et là au téléphone portable, laissant juste entre-apercevoir ce que pourrait donner le prochain opus du groupe, c’est finalement grâce au Late Show qu’il a été possible d’en écouter un peu plus.

« Vampire Empire » : vol au dessus d’un nid de chœurs

Intitulé « Vampire Empire » ce tout premier nouvel extrait convoque le meilleur de Big Thief. Partant d’un démarrage très folk rock, le titre dose à juste titre son envolé. L’aisance indé du groupe est toujours saisissante. Comme dans un « Little Things », les rythmiques et les voix s’y enter-mêlent, les éléments se mélangent. Le dialogue est là entre les instruments et le chant. Le groupe a le don de créer des morceaux planants où l’osmose est maîtresse. Ici, l’impression de voler entre les notes domine. La voix aérienne d’Adrianne Lenker y est pour beaucoup. Elle s’accélère, se pousse dans ses retranchement, d’abord aiguë, elle finit par se dévoiler plus grave allant jusqu’à pousser un cri bien senti à la « Contact » en fin de morceau. Léger comme les ailes d’un oiseau, ce titre promet un nouveau voyage enchanté pour le prochain album qu’on espère écouter au plus tôt.