Ralph of London
crédits : Heiko Prigge

Le 13 mars 2020, tout juste avant le confinement, Ralph Of London dévoilait sa seconde galette brit-pop « The Potato Kingdom ». Porté par son talentueux chanteur originaire de  Londres, Ralph donc, le groupe indé y révèle une esthétique aussi populaire que sophistiquée et des paroles incisives oscillant entre romantisme et satyre social. Aidé par une troupe native du Nord de la France ( Diane, François, Léopold et Maxime), le musicien crée une bande son lumineuse d’une main de maître. Le 19 juin, les acolytes dévoieront le clip de leur dernier single :  « Dotty » et y parleront des folies que l’on peut faire par amour. A cette occasion, le groupe a accepté de répondre aux questions de PopnShot. Un échange passionnant  au cours duquel ils abordent tour à tour la brit pop,  les communautés musicales, la pop française, les concerts post-confinement, l’amour, le punk et  Van Gogh

Dans votre biographie, votre musique est décrite comme « do it yourself ». On sait que la charge de travail pour les artistes indépendants est colossale, comment gérez-vous tout ça et jusqu’où est-il possible de tout faire soi-même ?

Ralph : On utilise le mot « DIY » pour décrire l’esthétique de notre musique. Cela signifie que l’on reste fidèles à l’impulsion ou l’idée initiale, aussi bien dans l’enregistrement que dans le mix. Gérer nous-mêmes le côté plus “administratif” du projet sert à protéger et renforcer notre éthique. Pour le moment, c’est le seul modèle que nous avons essayé donc son efficacité se révèle en principe dans notre travail.

Vous êtes inspirés par la pop britannique, qu’est-ce qui vous parle dans ce courant ?

Ralph : Il y a toujours eu une forte veine d’irrévérence dans la musique britannique qui provient du bas de la société. Cette énergie était à un moment donné le domaine privilégié de la culture des jeunes britanniques, et l’est toujours en grande partie, mais maintenant il y a d’autres proliférations de la même énergie qui viennent d’autres générations, c’est peut-être plus intéressant maintenant que ça ne l’a été auparavant.

François : L’Angleterre a musicalement été imprégnée par son melting pot, créant des styles variés et marqués d’influences. Nous pensons davantage à la philosophie d’inspiration et d’initiation de l’Angleterre qu’à une résurgence du mouvement pop.

 

Mais la France pourrait porter plus haut cette notion de communauté musicale.

 

 Londres, que vous évoquez jusque dans votre nom de groupe, a une véritable aura musicale ; on imagine en y pensant un rock indépendant local. Alors que votre chanteur vient de Londres, pensez-vous que la France ou Paris a une telle aura musicale ?

Diane : Je ne dirais pas que Paris en particulier a une aura musicale, mais que la France, internationalement, a apporté sa pierre à l’histoire musicale. La pop française est à différencier de la pop anglaise mais n’est pas incompatible. L’aura française est à mon goût moins punk et plus sophistiquée peut-être. Paris est tout de même, pour les français, le seul moyen de vraiment percer. Comme partout, la capitale centralise les meilleures opportunités, les meilleures salles de concert et peut-être un public plus ouvert à la diversité. Mais le reste de la France offre également sa part de diversité et de belles découvertes.

Ralph : La France a cette aura dans certaines villes dans lesquelles nous avons joué. La seule différence est où ces personnes regardent. À Londres, il y avait avant un sentiment de communauté musicale très fort, communauté au sein de laquelle on trouvait représentation et validation ; je doute fort que cela existe encore. Mais la France pourrait porter plus haut cette notion de communauté musicale. C’est quelque chose que l’on garde en tête lorsque l’on communique sur notre travail, cette notion d’appartenance, de voix commune.

La crise du Coronavirus a particulièrement touché l’industrie de la musique qui en souffre encore énormément. Comment vivez-vous tout ça ?

Diane : Le confinement en France est tombé quelques jours après le lancement de notre album “The Potato Kingdom”, ce qui nous a énormément affecté. Cependant, les concerts annulés et le contexte général étant au questionnement et à la remise en question, nous avons fait de même. On a décidé de se placer en tant qu’observateurs, de composer de nouveaux morceaux et de reprendre la communication sur l’album au bon moment. C’était comme une période de résidence improvisée.

François : Oui, la période de confinement a été plutôt salutaire pour nous dans la mesure où nous venions de lancer l’album, nous étions épuisé et avions besoin de repos. Cela a également marqué une césure avec nos travaux passés, amenant une nouvelle ère pour notre musique.

 

Il n’y a rien de pire qu’un public stérile, immobile trop intellectuel pour répondre physiquement au son.

 

Le rock est vecteur de partage, de pogos et d’énergie, vous pensez que concerts pourraient réellement rimer avec gestes barrières ?

Ralph : Les concerts devraient être rythmés d’une dose d’instabilité et de frénésie. Il n’y a rien de pire qu’un public stérile, immobile trop intellectuel pour répondre physiquement au son.

François : Notre musique est plutôt de la Shit-Pop que du Rock, nos concerts ne sont pas faits pour les pogos (en tout cas pas encore).

Vous citez le génial Elliott Smith parmi vos références, qu’est-ce qui vous parle chez cet artiste ? Sa musique est une véritable catharsis, c’est quelque chose qui existe également pour vous lorsque vous composez ?

Ralph : Elliott Smith a un style de composition qui correspond à sa façon de conjurer et de transporter l’émotion. Il est l’un des oracles du songwriting. Si vous soupçonnez que votre travail manque de quelque chose, vous consultez l’oracle.

Diane : Oui, je pense que dans notre cas, comme dans le cas de beaucoup d’artistes, la composition et l’écriture sont le moyen d’exorciser des émotions internes et personnelles ou alors universelles pour lesquelles nous sommes hôtes pour un certain temps.

François : L’humour en interne au sein du groupe est aussi une catharsis ; un humour à l’image des facettes les plus noires de l’humanité parfois.

Votre dernier single « Dotty » parle de ceux qui sont capables de faire des folies par amour. Quelle est la chose la plus folle que vous ayez faite par amour ?

Ralph : Me déraciner de ma vie londonienne et emménager en France pour continuer la musique.

Diane : J’ai conduit à droite un énorme SUV dans les Cornouailles sur des petites routes rocailleuses dans la nuit et en hauteur et je me suis retrouvée au bord d’un précipice, une roue dans le vide.

La chose la plus folle que tu peux faire pour l’amour de la musique, c’est te débarrasser de toutes les illusions de sécurité et de confort, de gain matériel et te plonger simplement dans ton travail la tête la première.

Quelle est la chose la plus folle que l’on pourrait faire selon vous par amour de la musique ? Est-il encore possible de choquer et dépasser les limites en musique comme le punk avait pu le faire en son temps ?

Ralph : Je dirais que la musique est un véhicule pour porter l’énergie de l’amour, de la politique ou de la philosophie. Dans le cas de la musique Punk, la musique coïncide avec quelque chose qui bouillonnait déjà à la surface de la société. Le punk était un bon catalyseur pour beaucoup de changements sociaux. Je pense que c’est toujours possible mais le faire ne te permettra pas nécessairement de faire la une des magazines et de la TV. L’industrie musicale est trop intelligente maintenant pour ce type de synthèse cinétique entre idées et sons pour être à la tête d’un mouvement. De nos jours, tout tourne autour des gens qui doivent payer leurs factures. La chose la plus folle que tu peux faire pour l’amour de la musique, c’est te débarrasser de toutes les illusions de sécurité et de confort, de gain matériel et te plonger simplement dans ton travail la tête la première.

François : Travailler dur pour la musique est le meilleur exemple. Le mythe de Sisyphe d’un groupe indépendant. Si nous composions un album par semaine avec pochette et clips, cela serait une belle preuve d’amour mais nous mourrions littéralement de fatigue. Quoi de plus romantique ? La frenzy scénique est ce qu’il reste de plus évocateur, la fureur de jouer, la vraie. Les ersatz du jeu de scène actuellement me font rire ; ce sont des pièces de théâtre calibrées, pré-écrites, rien de plus.

 

Nous rappelons que la pop est populaire.

Votre univers est empreint d’un certain grain de folie, d’ailleurs c’est bien ce qu’évoque un titre comme « The Potato Kingdom », d’où vient-il et que signifie-t-il ?

Ralph : Vraiment ? Nous pensions que toute la folie venait du monde par-delà les murs du Royaume. La plupart des gens ne savent pas avec certitude s’ils sont intramuros ou extramuros.

Diane : Tout est dit dans l’album : “Tout est rien, la vie est une patate”.

François : Nous avions un jour parlé avec Ralph du tableau de Van Gogh “ les Mangeurs de pommes de terre », qui demeure une peinture populiste, portée par un médium réservé à une certaine élite pour représenter le peuple. Je pense que cela représente bien la philosophie du Potato Kingdom avec ses travers et ses joies. Nous rappelons que la pop est populaire.

On traverse une période particulière, alors quel morceau serait selon vous, la bande originale parfaite pour raconter l’année 2020 ? 

Ralph : « Riverman » de Nick Drake. Il y a quelque chose qui hante et qui est incertain dans ce morceau. Comme si la nature conspirait, le morceau nous laisse comme à la merci d’une force inconnue. J’aime la capacité qu’a la musique à désarmer la conscience de l’égo.

Diane : La nature tente de reprendre ses droits avec violence ; les oubliés, les trop longtemps rabaissés se soulèvent. C’est une période excitante dans un sens, qui laisse entrevoir que peut-être le monde pourrait s’embellir. Mais pour ça il faut que chacun prenne ses responsabilités, change sa façon de consommer et de penser le monde, et surtout il faut que personne n’ait la mémoire courte…  Kel Tinawen – Tinariwen “The uprising will be impossible to suppress”

 François : Le choix est difficile. Je dirais « Down of the Iconoclast » de Dead Can Dance qui est un groupe que j’admire ; la chanson sonne comme un Lacrimosa, une Thrène, en la mémoire des victimes. Le recueillement est nécessaire pour apaiser les âmes des défunts.


 

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