Lion d’Or de la dernière Mostra de Venise, Roma, le dernier film d’Alfonso Cuaron a fait l’unanimité, tant auprès de la critique que du public, confirmant tout le talent du cinéaste mexicain. Et remettant sur le tapis le débat Netflix/Cinéma par la même occasion. Mettant de coté les avis des uns et des autres sur le sujet, une question demeure : Est ce que Roma est un bon film? Critique.

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Dans quelques années, les historiens du Septième Art se pencheront probablement avec un certain recul sur le débat qui aura marqué la deuxième moitié des années 2010 avec l’émergence des plateformes de visionnage. Signe des mentalités qui évoluent? Roma aura remporté le Lion d’Or, avec quelques grincements de dents, certes, mais sans contestation là ou un Okja, il y a un an encore avait tout juste eu le droit de s’estimer heureux de faire partie de la compétition du Festival de Cannes. Courage fuyons, sans prendre position, Pop&Shot revient sur la dernière oeuvre en date d’Alfonso Cuaron. Une vraie belle oeuvre de cinéma.

Roma : Le fond et la forme

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1970, Mexico, quartier de Roma. Dans une petite maison bourgeoise, la vie suit son cours au sein d’une famille nombreuse, entre les leçons des enfants, les voyages du père de famille et les taches effectuées par les deux servantes. Sous une apparence parfaite, néanmoins, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Au loin, la colère monte dans le Mexique de Luis Echeverria Alvarez. Ici, la routine fait se craqueler la famille bien sous tout rapport.

Une des premières choses qui marque dans Roma, c’est son esthétique. Le noir et blanc impeccable d’Alfonso Cuaron et Galo Olivares sert très justement le récit scénarisé par Cuaron. Le plan d’ouverture marque d’entrée les esprits et peut servir de leçon de cinéma tel quel. La cour pavée de la maison est entrain d’être nettoyée. Encore et encore, l’eau savonnée est balayée par la serpillière. Là ou au début, on ne remarquait que la souillure, au fur et à mesure, la lumière commence à se refléter dans la flaque, laissant apparaître un avion qui traverse le ciel. Lentement. La scène dure plusieurs minutes. Il faudra tout ce temps pour nettoyer cette partie de la cour, et pour la tache laissé place à la propreté et à tout l’espoir qui y est associé. Tout le film est là. Tout au long du film, Cuaron ne fera que parler de cycle. De remous. D’un va et vient.

Roma : Un pamphlet façon « La Règle du Jeu »?

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De prime abord, on voit venir Cuaron. Ou plutôt, on a l’impression de le voir venir. Assez cyniquement, on se dit que la métaphore de la famille bien sous tout rapport de la petite bourgeoisie mexicaine qui se délite est une métaphore, un parallèle de la société mexicaine qui gronde. Tout pourrait le laisser penser. Cette présentation de la famille via le prisme d’une servante, ce basculement progressif vers le quotidien du personnage principal, Cléo ( Yalitza Aparico), pour voir « l’envers du décor ». Sans misérabilisme, Cuaron montre frontalement les personnages tels qu’ils sont. Le père de famille est brillamment introduit via ses possessions ( voiture, bague, briquet) avant que l’on aperçoive pour la première fois son visage dans l’obscurité. Par la suite, il ne sera vu que fuyant, absent, pour au final finir par ne plus être littéralement présent. Le petit ami de Cléo sera vu, lui aussi en retrait dans la première scène ou il apparaît, ne s’intéressant pas à la conversation en cours et finissant par se rapprocher de l’écran à la fin de la première séquence pour finir en douce la bouteille de Coca entamée par Cléo et son amie. Un personnage uniquement satisfait par son désir personnel? La suite des événements le confirmera.

En se replongeant dans le Mexico de son enfance ( Cuaron est né à Mexico en 1961), le réalisateur mexicain cherche t-il à parler de son pays à cette époque? Ou bien est ce une ode à ces femmes qui, malgré tout, continuent de tenir bon malgré la fuite et l’absence des principales figures masculines du film? Probablement un peu des deux mais , et surtout, bien plus que cela. Pourtant, l’aspect critique sociale du film est la première chose que Cuaron nous présente. Pour atteindre un paroxysme lors d’une scène d’incendie, ou, hilare, la petite troupe d’invités bourgeois, costumée pour le Nouvel An, essaye tant bien que mal d’éteindre un feu de foret venant de se déclencher (la faute à des paysans en colère contre le grand propriétaire? la piste est envisagée au cours d’un des dialogues juste avant la scène). Sans vraiment parvenir à contenir efficacement le feu, les convives sirotent du champagne alors que les flammes commencent à grimper… Une scène puissante, lourde de sens, comme le film va nous en réserver d’autres… Comme par exemple,  quand la petite histoire finira par rencontrer la grande et Cléo se retrouver à voir se conclure définitivement une histoire en plein « Massacre du Corpus Christi » et finit transportée à l’hôpital. Là, Cuaron en un plan fixe long de plusieurs minutes interminables, mêle Eros et Thanatos, au cours d’une scène estomaquante qui marque un basculement dans le film. Et étrangement, qui va mener le film vers son pendant le plus lumineux…

Roma : Quand on a que l’amour… ( Et surtout, est ce que c’est bien?)

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Résumons, Roma est un drame social mais pas que. Il peut aussi être vue comme une ode aux femmes dans un monde ou les hommes fuient et/ou tuent. Mais Roma brille finalement par ce qu’il y a de plus beau (sortez vos mouchoirs), l’Amour. La scène vers la fin du film, magnifique, et qui offre, très justement, le plan servant de couverture à l’affiche du film est là pour l’illustrer. Tout au long du film, on aura pu se demander ce que voulait nous raconter Alfonso Cuaron dans ce récit semi autobiographique. L’avant dernière scène, ou toutes les émotions se mêlent et tout se joue au cours d’un long plan séquence ( Vous avez dit Les Fils de l’Homme?), est là pour le démontrer. Va t-on avoir à faire à un drame, après avoir vu le pays se déliter, est-on entrain d’assister à un drame, plus intime cette fois touchant la famille qu’on nous présente depuis le début du film? Non.

Au final, aussi étonnant que cela puisse paraître, et à contresens du cynisme ambiant, Cuaron vient nous parler d’amour. Les réactions des personnages qui restent sont bienveillants et emplis d’amour les uns pour les autres désamorçant là tout ce qu’on pouvait penser qui allait arriver, comme la réaction de la mère de famille à la grossesse non désirée de Cléo ou bien encore la scène de la baignade à la fin du film. Alfonso Cuaron pendant un peu plus de deux heures aura parlé d’amour et de personnages positifs. Envers et contre tout. Peu importe ce qui peut arriver au dehors ou en dedans, nous aurons eu à faire avec des personnages qui auront continué d’espérer et d’avancer. Un message positif, idéaliste peut être mais nullement naïf. Cléo retrouve sa place de bonne lors de la séquence finale, filmée de façon identique à la première séquence du film nous la présentant. Comme un cycle redémarrant, comme la vie qui continue…

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